Est-ce que l’agitation toute relative des leaders nationalistes canadiens-français comptait vraiment dans la fabrique de l’opinion publique, par exemple les déclarations d’un Camillien Houde ou celles d’un René Chaloult, évoquées dans la première partie de cet article ? Si on étudiait sérieusement les événements de 1940, ce qu’à mon avis on n’a pas encore fait, on se poserait plutôt une question comme celle-ci : comment les appelés et leurs proches ont-ils réagi ? C’est une question difficile, car il est toujours plus compliqué de sonder le coeur des masses que celui de leurs élites. Les favorisés se représentent dans les journaux, et font représentation de ce qu’ils croient que les « autres » pensent, alors que ces autres avaient des moyens d’expression plus limités. Mais ils en avaient. L’attitude qu’auraient les premiers conscrits et leurs proches suscitait l’inquiétude à Ottawa. La revue de presse est ici un outil insuffisant. Pour cette raison, le gouvernement King aura de plus en plus recours aux sondages Gallup durant la guerre. Mais il possédait dès 1939-1940 un outil fiable : les rapports de la censure postale. Les relevés de censure postale sont supérieurs aux sondages, même s’ils ont des défauts : ils sont coûteux et il est difficile d’en changer la forme pour répondre à une question d’actualité qui n’aurait pas été prévue des semaines à l’avance. Les résultats mettent aussi de deux à trois semaines à parvenir aux autorités. Pour préserver leur fiabilité à long terme, les sondages dans le courrier ne doivent pas entraîner une censure trop perceptible ; le courrier intercepté doit être remis en circulation assez vite, généralement sans être caviardé. Cela pose aussi la question de la fréquence des interceptions. Étant donné les volumes de courrier, il fallait procéder par prélèvement de sacs postaux choisis au hasard. Une armée de lectrices et d’analystes était nécessaire pour en tirer quelque chose. Cette forme de « censure », qui imite les procédés du ministère britannique des Postes, aussi choquante qu’elle paraisse à nos âmes facilement choquées d’aujourd’hui, n’avait donc pas pour fonction d’empêcher la communication, mais de donner aux dirigeants le pouls de l’opinion publique. Rares sont les lettres transmises à la GRC. On possède un sondage du genre réalisé du 9 au 22 février 1941 par les officiers de renseignements des unités stationnées dans le District militaire no 5 ayant son quartier général à Québec, et dont dépendent les unités à l’est d’une ligne passant à mi-chemin entre Trois-Rivières et la ville de Québec même, et de là jusqu’au Nouveau-Brunswick et au Labrador. C’est le district le plus francophone du Canada, celui de Montréal (le no 4) comprenant évidemment beaucoup d’anglophones (Westmount, West Island, Argenteuil, Cantons-de-l’Est, etc.). Si l’on en croit le document, la déloyauté active est presque absente, le « sentiment communiste » nul. Pas non plus de pacifisme. Le principal problème est la monotonie de l’entraînement, aggravée par la courte période en uniforme, trente jours à ce stade de la guerre, temps insuffisant pour aborder les aspects plus complexes et potentiellement plus intéressants de l’entraînement. Reste la drill sur le terrain de parade et les longues marches en dehors du camp. La première est particulièrement détestée. Malgré cette routine peu engageante, le moral est jugé élevé, ceci en dépit des attitudes de la plupart des recrues à leur arrivée dans les camps : suspicion, ressentiment, crainte d’être envoyée outre-mer même si à cette date la loi ne le permet pas. C’est une claire indication que la culture canadienne-française reste marquée par les événements de 1917-1918. Un autre fait culturel, un brin comique, attire l’attention : beaucoup …
1940, la conscription (2e partie)[Notice]
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Yves Tremblay
Historien, ministère de la Défense nationale