Dossier : Francofugies et francopétiesArticles

Le pouvoir de la langue dans la construction du « mythomoteur » du nationalisme corse : la langue comme vecteur identitaire et lien de massification populaire[Notice]

  • Thierry Dominici

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  • Thierry Dominici
    Chercheur associé au Centre Montesquieu de recherche politique, Université de Bordeaux

Dans les sciences humaines, la pensée nationaliste est souvent considérée comme étant une idéologie inhérente au concept de nation. Cette conceptualisation accentue nettement l’importance d’un lien entre des éléments de revendication ou de contestation identitaire et des notions de souveraineté nationale, voire d’identité et d’histoire collective, et même parfois d’ethnicité. Toutefois, cette définition du nationalisme est jugée trop restrictive et donc inopérante en science politique, car elle se focaliserait sur des principes d’appartenance à une communauté. De fait, une grande majorité de politologues depuis plus d’une trentaine d’années adopte plutôt l’approche de l’entrecroisement du clivage centre-périphérie inhérent au processus de construction nationale. Cependant, répondre d’une manière ad hoc à la problématique des francofugies et des francopéties au Canada et en France au xxe siècle nécessite un certain détachement de ce modèle conceptuel. Pour notre propos, l’intérêt n’est pas de partir de l’hypothèse que la nature du nationalisme se situe au coeur de la confrontation entre « le centre édificateur d’une culture nationale et la résistance croissante des populations assujetties et ethniquement, linguistiquement ou religieusement distinctes, en province et dans les périphéries ». Si l’angle du processus d’édification nationale permet d’étudier la question du nationalisme en matière de mobilisations politiques (mouvements sociaux, partis, etc.), il ne permet pas d’observer clairement ces mêmes mobilisations sous l’angle qui nous intéresse. En effet, l’objectif de notre propos réside uniquement dans l’observation de l’utilisation de la langue corse ou linguanustrale (langue vernaculaire et identitaire) comme outil de revendication politique ou idéologique par les forces nationalistes corses (de 1896 à 2017). Certes, pour tenter de circonscrire ce rapport politique et identitaire entre la langue et le nationalisme, la littérature scientifique dispose d’autres modèles que ceux qui se bornent à analyser le clivage centre/périphérie. L’un des plus prégnants est, assurément, celui qui a été conceptualisé par John A. Armstrong : l’étude du « mythomoteur ». Nous rappelons brièvement que, pour Armstrong, les « mythomoteurs » constituent les modalités d’émergence et de recomposition des identités nationalistes. Celles-ci sont portées par des réactions de groupes qui tendent à se définir par rapport à « l’Autre » – l’étranger et l’envahisseur, et non en référence à leurs propres caractéristiques groupales. Ces réactions se créent, selon Armstrong, sur des répertoires symboliques traditionnels tels que la conscience d’appartenir à un groupe ethnique ou à une communauté ethnolinguistique différents. Ces situations sont très souvent inhérentes à un rapport (conflictuel ou non) entre « Nous » et « Eux » (ou « l’Autre »). Cependant, la lecture d’Armstrong ne montre pas quels sont les marqueurs identitaires clés qui constitueraient ces « mythomoteurs ». Est-ce la langue partagée ? Est-ce le territoire ? Est-ce la tradition commune ? Cette série de questions clés inhérente au concept de « mythomoteur » nous renvoie aux travaux de l’historien Anthony David Smith. Ce dernier a utilisé, dans plusieurs de ses publications, cette notion ou modèle conceptuel. Pour Smith, tous les « mythomoteurs » se composent de six éléments repérables sur le plan socio-historique. Ainsi tout « mythomoteur » : 1) serait constitué d’une population qui possède un nom ; 2) se référerait à un mythe d’ancêtres communs ; 3) partagerait une mémoire ; 4) partagerait aussi des éléments de culture – ici, Smith prend en compte tout particulièrement la langue et la religion, etc. ; 5) aurait un lien à un territoire d’origine et/ou à une patrie ; 6) inclurait un sentiment de solidarité ou la conscience d’appartenir à une communauté. Cet article n’aspire pas à brosser un portrait des six éléments smithiens du mythomoteur en Corse, mais …

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