L’Hôpital général de Québec a connu de graves revers de fortune à la suite de la guerre de Sept Ans, qui a conduit les Augustines au bord de la faillite. « À dater de la prise du Canada, [la communauté] a été pendant bien des années réduite à la plus grande gêne et à la plus désolante défection, sans compter les craintes et les anxiétés sur le résultat de nos affaires desquelles dépendait notre avenir », peut-on lire dans les annales de l’hôpital. À partir de 1760, la situation financière des Augustines est critique. Elles s’adresseront par lettre officielle aux anciennes autorités métropolitaines pour faire entendre leurs revendications. Les religieuses le feront plusieurs fois durant cette décennie, particulièrement au moment de la liquidation de la dette de la France, puis en 1775. Utilisant la filière ecclésiastique pour prévenir Versailles de leur infortune, elles étendront leur réseau des communautés religieuses françaises à l’abbé de l’Isle-Dieu, en passant par l’archevêque de Paris et Louise de France, tout cela pour atteindre ultimement le roi lui-même, Louis XV. N’ayant pas obtenu de réponse favorable à leur demande, les hospitalières reviennent à la charge en 1802. Cette fois, elles emploieront la filière administrative puisqu’elles s’adresseront au lieutenant-gouverneur du Bas-Canada. L’exemple des Augustines permet de comprendre les répercussions de la cession de la colonie sur les mécanismes de représentation, plus particulièrement la forme des demandes faites par les religieuses et le chemin qu’elles ont parcouru. Nous verrons que ces représentations sont traditionnelles dans la forme et le processus, les religieuses s’y prenant comme elles l’auraient fait sous le Régime français. Elles sont toutefois singulières dans le contexte de changement de régime, la Conquête ne mettant pas fin immédiatement aux canaux de représentation qui unissaient jusqu’alors les sujets canadiens au roi de France. Les représentations des Augustines sont le reflet du processus de distanciation avec la mère patrie qui s’opère dans les décennies suivant la signature du traité de Paris en 1763. Marcel Trudel et Yves Guillet ont écrit sur les Augustines de l’Hôpital général pendant la Conquête. Le premier leur consacre, notamment dans L’Église canadienne sous le Régime militaire, 1759-1764, un chapitre où il fait une analyse sociodémographique de la communauté en plus d’aborder largement la question financière. Le deuxième s’attarde à leur seigneurie de Saint-Vallier dans des articles. Micheline D’Allaire traite pour sa part de l’Hôpital général dans un ouvrage, mais elle s’arrête à la fin du Régime militaire, soit en 1764. John R. Porter a examiné une fonction en particulier, le soin des aliénés, à long terme. Enfin, mentionnons l’essai de Colleen Gray qui analyse l’exercice du pouvoir à l’intérieur de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal à partir de l’exemple de supérieures qui l’ont dirigée et de leurs interactions, comme femmes, avec les instances extérieures, majoritairement masculines. Le présent article porte également sur les Augustines, communauté religieuse française cloîtrée, après la Conquête et leurs relations avec la société civile et militaire. Il se démarque toutefois de l’historiographie, en ce sens qu’il s’arrête plus particulièrement au mécanisme de réclamations financières et aux représentations politiques des Augustines dans le contexte du changement de métropole. La ville de Québec est bombardée à partir du 12 juillet 1759 pendant 66 jours consécutifs depuis la pointe De Lévy. Une pluie de bombes ravage et détruit la ville. On dénombre entre autres la destruction de la cathédrale de Québec (22 et 23 juillet) et de l’église Notre-Dame-des-Victoires (8 et 9 août). La population est ainsi maintenue en état d’alarme constant. Les religieuses de l’Hôtel-Dieu obtiennent la permission de leur …
« Victimes de leurs devoirs et de leur zèle » : les requêtes des Augustines de l’Hôpital général de Québec après la Conquête (1759-1819)[Notice]
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Sophie Imbeault
Historienne