Les membres de l’élite qui s’établissaient en Nouvelle-France tentaient de reproduire un mode de vie propre à la France d’Ancien Régime. Dans cette société, la représentation était au coeur des rapports interpersonnels. Il fallait affirmer son rang pour le maintenir et pour justifier son autorité. La résidence était, par conséquent, un outil d’une grande valeur qui permettait à son propriétaire de se mettre en scène. D’ailleurs, le sociologue Norbert Elias dans son étude sur la société de cour française a déclaré : « Un duc qui n’aménage pas sa maison comme il convient à un duc, qui, de ce fait, ne peut satisfaire aux obligations sociales d’un duc, a pour ainsi dire cessé d’être un duc. » Le pouvoir politique s’appuyait donc sur une représentation adéquate du rang de ceux qui l’exerçaient. L’apparence de la demeure et la manière de l’habiter étaient intimement liées à la reconnaissance publique des pouvoirs des individus. Par leur volonté de constamment embellir et rénover leur demeure de façon à ce qu’elle convienne à leurs besoins, le gouverneur, l’évêque et l’intendant illustrent l’intérêt de résider dans un lieu manifestant le statut social, et ce même à des milliers de kilomètres de Paris. Les autres membres de l’élite habitant les villes du Canada n’échappaient pas à cette logique d’Ancien Régime. Mais à quel point l’aristocrate arrivait-il à se démarquer du bourgeois et du commerçant grâce à l’aménagement intérieur de sa résidence ? De 1663, moment où la Nouvelle-France devient une province royale, à 1763, année de la signature du traité de Paris, nobles et bourgeois se construisaient, achetaient ou louaient des demeures en milieu urbain devant répondre à leurs besoins. Comment les aristocrates ont-ils importé dans la colonie les façons de faire architecturales de la société de cour métropolitaine ? Entretenaient-ils une image de supériorité vis-à-vis de la bourgeoisie coloniale ? Est-ce que la représentation du statut social propre à la société de cour française était un critère déterminant dans la conceptualisation du décor et de la distribution intérieure des résidences ? D’ailleurs, nous nous interrogerons à savoir de quelle manière la maison permettait une recherche d’avancement et de promotion sociale en plus d’affirmer ou non la situation hiérarchique de l’occupant. Comme plusieurs aristocrates étaient de court passage en Nouvelle-France, il est justifié de se demander si ce n’est pas essentiellement le décor, plus aisément transportable, qui mettait en évidence l’appartenance sociale. L’analyse des inventaires après décès concernant les membres de l’élite coloniale nous a permis de constater que le besoin de représentation et de différenciation sociale se manifestait dans les demeures des aristocrates et des bourgeois installés à Québec ainsi qu’à Montréal, et ce, suivant les mouvances sociales observées dans la métropole. Dans un premier temps, nous ferons un rapide survol des caractéristiques propres à la société canadienne, afin de définir cette élite dont nous analyserons l’habitat. Ensuite, il sera question du concept de représentation, en le remettant dans son contexte des XVIIe et XVIIIe siècles. Cette mise en scène de soi avait une influence certaine sur l’architecture des demeures particulières en France ; nous verrons comment cette idée a déjà été explorée pour comprendre l’architecture de la Nouvelle-France et de quelle façon les hauts dirigeants ont utilisé cet outil pour affirmer leurs pouvoirs. Nous terminerons avec un survol des maisons habitées par l’élite en milieu urbain. Nous verrons ainsi que dans la dernière partie du XVIIe siècle, les nobles habitaient des intérieurs ayant une distribution et une ornementation plus sophistiquées que ceux des bourgeois et des commerçants. Ces intérieurs permettaient de renforcer leur position d’autorité au sein de la …
Demeures et positionnement social dans les villes de la Nouvelle-France[Notice]
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Rosalie Mercier-Méthé
Candidate au doctorat, concentration histoire de l’art, Département des sciences historiques, Université Laval