
Les ateliers de l'éthique
The Ethics Forum
Volume 18, numéro 1, 2024
Sommaire (9 articles)
Article de recherche
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Les conseillers en politiques du secteur public devraient-ils se soucier de la théorie des optima de second rang ?
Marc-Kevin Daoust et Victor Babin
p. 4–28
RésuméFR :
La théorie des optima de second rang est une contribution formelle au domaine de l’optimisation de l’utilité (ou du bien-être). Elle stipule que, dans certaines circonstances «imparfaites », l’approximation d’un idéal est sous-optimale. Dans cet article, nous tentons de déterminer si la théorie peut être utile aux conseillers oeuvrant dans le secteur public. Nous présentons les conditions dans lesquelles la théorie pourrait s’avérer pertinente pour les conseillers du secteur public, et en particulier la condition d’inséparabilité entre différentes variables d’un problème de politiques publiques. Nous tentons aussi de déterminer si ces conditions sont réunies dans différents documents produits par les conseillers en politiques publiques. Pour ce faire, nous analysons 40 publications récentes du secteur public québécois comprenant des recommandations.
EN :
The Theory of Second-Best is a formal contribution to the field of utility (or welfare) optimization. It states that, under some "imperfect" circumstances, the approximation of an ideal is sub-optimal. In this article, we investigate whether the theory can be of use to advisors working in the public sector. We discuss the conditions under which the theory could be relevant to public sector advisors, particularly the condition of inseparability between variables in a public policy problem. We also examine whether these conditions are met in various documents produced by public policy advisors. To do so, we analyze 40 recent Quebec public sector publications that include recommendations.
Commentaire critique
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La nature des émotions : une recension partisane
Constant Bonard
p. 29–49
RésuméFR :
Dans cette recension, je proposerai un résumé ainsi que des commentaires critiques, chapitre par chapitre, du livre de Samuel Lepine La nature des émotions : Une introduction partisane (2023). Je ferai un rapide compte-rendu des premiers chapitres, mais discuterai plus en détail les trois derniers, où se situent les contributions les plus inédites et, à mes yeux, les plus intéressantes.
EN :
In this review, I will offer a summary as well as critical comments, chapter by chapter, of Samuel Lepine's book La nature des émotions: Une introduction partisane [The nature of emotions: An opiniated introduction] (2023). I will briefly summarize the first few chapters and discuss in more detail the last three chapters, where the most novel and most interesting contributions of the author are to be found.
Dossier : Le spécisme et les injustices envers certains groupes humains / Speciesism and Injustices Toward Marginalized Human Group
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Sous la direction de Valéry Giroux et Kristin Voigt
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Introduction : Le spécisme et les injustices envers certains groupes humains
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Comment les théories philosophiques sur le racisme pourraient-elles éclairer le spécisme ordinaire ?
Luc Faucher
p. 62–95
RésuméFR :
Même s’il existe un large consensus dans le domaine des études sur le racisme concernant le fait que le concept de « racisme » est essentiellement « normatif », une discussion bat son plein dans ce domaine entre les nombreux partisans du normativisme et ceux qui prônent une position descriptiviste. C’est ce débat que je revisite dans cet article. Dans ce cadre, je m’intéresse moins au débat « sémantique » concernant le type de concept (évaluatif ou descriptif) qu’est celui de « racisme » qu’à la proposition d’auteurs comme Mills et Shelby au sujet de la nature du « phénomène » désigné par le terme (donc à un débat de nature plus « métaphysique »). J’aimerais expliquer et développer cette proposition et suggérer l’idée qu’elle pourrait permettre de mieux comprendre ce que je nomme le « spécisme ordinaire » (c’est-à-dire la forme la plus courante du spécisme dans les sociétés occidentales actuelles). Pour ce faire, je présente d’abord les différentes façons de comprendre le racisme et j’avance que les modèles agentiels devraient être supplémentés par une approche non agentielle du phénomène. Je montre ensuite comment cette proposition pourrait mieux rendre compte du spécisme ordinaire. Je réfléchis finalement sur les différents mécanismes par lesquels ce spécisme peut fonctionner et je propose un type d’investigation qui devrait être exploré plus avant par ceux et celles qui voudraient l’étudier et le contrer.
EN :
Even though there is broad consensus in the field of racism studies regarding the idea that the concept of “racism” is essentially “normative”, there is an ongoing discussion between the many proponents of normativism and those advocating for a descriptivist position. This debate is revisited in this article. In this context, I focus less on the “semantic” debate about the type of concept (evaluative or descriptive) that “racism” is and more on the proposal by authors like Mills and Shelby concerning the nature of the “phenomenon” designated by the term (thus a more “metaphysical” debate). I would like to explain and develop this proposal and suggest the idea that it could help better understand what I call “ordinary speciesism” (i.e., the most common form of speciesism in contemporary Western societies). To do this, I first present the different ways of understanding racism and argue that agent-based models should be supplemented by a non-agent-based approach to the phenomenon. I then show how this proposal could better account for ordinary speciesism. Finally, I reflect on the various mechanisms through which this speciesism can operate and propose a type of investigation that should be further explored by those who wish to study and counter it.
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Ambivalent Speciesism
Frauke Albersmeier
p. 96–123
RésuméEN :
This paper explores the idea of ambivalent speciesism—speciesism that expresses itself both in hostile and benevolent attitudes and behaviours, while remaining, overall, disrespectful or inconsiderate towards members of certain species. It has long been acknowledged that phenomena such as racism and sexism are marked by ambivalence. The same is likely to be the case with respect to speciesism. This prospect has conceptual implications because making sense of positively valenced components of speciesism requires clarifying the connection between discrimination and prejudice. After raising this conceptual issue, this paper focuses on outlining possible patterns of ambivalent speciesism, distinguishing ambivalence from complex negativity and indicating benevolent speciesism’s potential to harm animals. Benevolent speciesism can come with some local benefits for some animals but eventually harms them by working as a facilitating factor for their subordination, underpinning negligence and entailing punishment when positive stereotypes are disappointed. While hostile speciesism rightly draws our attention, we should also look out for its positive forms which are likely to become more practically relevant as efforts for the recognition of animals’ moral considerability are underway.
FR :
Cet article explore l’idée de spécisme ambivalent – un spécisme qui s’exprime à la fois dans des attitudes et des comportements hostiles et bienveillants, tout en restant, dans l’ensemble, irrespectueux ou inattentives envers les membres de certaines espèces. Il est reconnu depuis longtemps que des phénomènes tels que le racisme et le sexisme sont marqués par l’ambivalence. Il est probable qu’il en soit de même pour le spécisme. Cette perspective a des implications conceptuelles, car pour donner un sens aux composantes à valence positive du spécisme, il faut clarifier le lien entre la discrimination et les préjugés. En soulevant cette question conceptuelle, cet article se concentre sur la description des modèles possibles de spécisme ambivalent, en distinguant l’ambivalence de ce que j’appellerai la « négativité complexe » et en indiquant quels types de torts le spécisme bienveillant peut potentiellement causer aux animaux. Le spécisme bienveillant peut apporter certains avantages locaux à certains animaux, mais finit par leur nuire en facilitant leur subordination, en sous-tendant la négligence et en entraînant une punition lorsque les stéréotypes positifs sont déçus. Si le spécisme hostile attire à juste titre notre attention, nous devrions également nous intéresser à ses formes positives, qui sont susceptibles de devenir plus pertinentes sur le plan pratique à mesure que les efforts visant à reconnaître la considération morale des animaux sont en cours.
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Oppression and Nonhuman Animals
Natalie Stoljar
p. 124–138
RésuméEN :
This discussion examines the plausibility of applying an oppression framework to the case of nonhuman animals. I identify two conceptions of oppression, which I call the social group conception and the ideological conception. The former is the standard account of oppression advanced by feminist philosophers. On this account, the existence of social groups (gender groups, racial groups) is a necessary condition of oppression. The second approach, which is also drawn from Marxist analysis and critical theory, treats oppression as “pejorative” ideology which is both epistemically and morally criticizable. I argue that the application of the social group conception to nonhuman animals faces explanatory and conceptual obstacles. While the application of the ideological conception is more straightforward, it is difficult to articulate an effective notion of ideology critique for the case of nonhuman animals.
FR :
Cet article examine la plausibilité de l’application du cadre de l’oppression au cas des animaux non-humains. J’identifie deux conceptions de l’oppression, que j’appelle la conception de groupe social et la conception idéologique. La première est la conception standard de l’oppression avancée par les philosophes féministes. Selon cette conception, l’existence de groupes sociaux (groupes de genre, groupes raciaux) est une condition nécessaire de l’oppression. La deuxième approche, tirée de l’analyse marxiste et de la théorie critique, traite l’oppression comme une idéologie « péjorative » qui est à la fois épistémiquement et moralement critiquable. Je soutiens que l’application de la conception de groupe social aux animaux non-humains rencontre des obstacles explicatifs et conceptuels. Bien que l’application de la conception idéologique soit plus directe, il est difficile d’articuler une notion efficace de critique idéologique pour le cas des animaux non-humains.
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Des animaux et des femmes : la thèse des oppressions liées selon les écoféministes antispécistes
Christiane Bailey
p. 139–162
RésuméFR :
Cet article développe la thèse selon laquelle l’oppression des femmes et celle des autres animaux sont profondément interconnectées. Selon les écoféministes antispécistes, plusieurs oppressions humaines sont liées à la domination considérée naturellement juste des humains sur les autres animaux. Cette thèse va plus loin que l’approche analogique qui repose sur l’affirmation selon laquelle le spécisme est analogue au racisme et au sexisme parce qu’il s’agit d’une discrimination injuste fondée sur des critères moralement arbitraires. Au-delà des rapports analogiques entre ces oppressions, il existe des liens matériels, culturels, sociologiques, historiques, psychologiques et idéologiques entre l’oppression des animaux et celle des êtres humains, notamment des femmes. Ces analyses des écoféministes antispécistes sont désormais appuyées par plusieurs études empiriques en psychologie morale et sociale. Des considérations sociologiques et historiques révèlent que la cause animale est largement un mouvement de femmes méprisé pour des raisons souvent sexistes et qu’il existe une division genrée de la violence et du care envers les animaux. Par conséquent, nous avons de bonnes raisons de penser que la libération des femmes et celle des animaux sont reliées à plusieurs égards et qu’un mouvement écologiste prenant au sérieux les perspectives féministes devrait être plus sensible au sort des animaux – et inversement.
EN :
This paper develops the thesis according to which the oppression of women and other animals are deeply interconnected. According to antispeciesist ecofeminists, many forms of human oppression are related to the domination considered “naturally just” of humans over other animals. This thesis goes beyond asserting that speciesism is analogous to racism and sexism because it is an unjust discrimination based on morally arbitrary criteria. Beyond the analogical relationships between these oppressions, there are material, cultural, sociological, historical, psychological and ideological links between the oppression of animals and that of human beings, particularly women. These analyses of antispeciesist ecofeminists are now supported by empirical studies on the links between different oppressions in moral and social psychology. Sociological and historical considerations also indicate that the animal rights movement is largely a women’s movement, dismissed for reasons that are often sexist and that there is a gendered division of violence and care towards animals. Consequently, we have reasons to believe that the liberation of women and the liberation of other animals are intertwined in various respects, and that an environmental movement that takes women’s perspectives seriously should be more sensitive to the plight of animals – and vice versa.
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Autour de La politique sexuelle de la viande de Carol J. Adams : féminisme et véganisme
Félix St-Germain
p. 163–182
RésuméFR :
Ovrage pionnier dans les études animales intersectionnelles, La Politique sexuelle de la viande (1990) de Carol Adams analyse l’imbrication du sexisme et du spécisme pour montrer comment le patriarcat maintient une double domination sur les femmes et les animaux. Le présent article retrace le contexte intellectuel du livre et expose quelques-uns de ses concepts clés, tels que le « référent absent » et le « dédeçage », qui révèlent les mécanismes d’invisibilisation et de pérennisation de violences systémiques. Il s’agit surtout de mettre en évidence la pertinence de la théorie critique féministe végane dans la déconstruction des discours de naturalisation des oppressions. Envisagée sous un angle politique, la consommation de viande apparaît en tant que symbole par excellence de subjectivation masculine et de réification de l’autre.
EN :
A pioneering work in intersectional animal studies, The Sexual Politics of Meat (1990) by Carol Adams analyzes the links between sexism and speciesism to demonstrate how patriarchy sustains a dual domination over women and animals. This article explores the intellectual context of the book and highlights some of its key concepts, such as the "absent referent" and "butchering", which reveal the mechanisms that render systemic violence invisible and perpetuate it. The primary aim is to show the relevance of feminist-vegan critical theory in deconstructing the discourses that naturalize oppression. Viewed through a political lens, meat consumption emerges as the ultimate symbol of masculine subjectivation and the reification of the other.