Les ateliers de l'éthique
The Ethics Forum
Volume 15, numéro 1-2, automne 2020
Sommaire (8 articles)
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Liminaire / Frontmatter
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LES ENJEUX QUÉBÉCOIS DE LA DISCRIMINATION GÉNÉTIQUE : L’EXPÉRIENCE D’UN FORUM EN LIGNE
Gratien Dalpé, Miriam Pinkesz, Gabriel Marrocco et Yann Joly
p. 4–38
RésuméFR :
La recherche empirique sur la problématique de la discrimination génétique (DG) au Québec est généralement limitée. À ce titre, cette étude vise, au moyen d’une méthodologie qualitative, à explorer et à recueillir les opinions, les expériences et les connaissances des Québécois à l’égard de la DG. En concordance avec les objectifs exploratoires de cette étude, nous avons choisi l’approche du forum en ligne afin de pouvoir extraire des données qualitatives représentant le plus fidèlement possible les perspectives du public québécois sur différents thèmes touchant la DG. L’expérience du forum indique que des craintes tangibles existent par rapport à la DG au Québec, et que s’exprime le besoin d’un débat de société sur cet important enjeu faisant partie intégrante de la révolution génétique et des soins de santé personnalisés.
EN :
Empirical research regarding genetic discrimination (GD) in the province of Quebec is largely limited. As such, this study aims, through a qualitative methodology, to explore and collect the opinions, experiences and knowledge of Quebecers regarding GD. In accordance with the exploratory objectives of this study, we chose the online forum approach as a means to extract qualitative data that would most accurately represent the perspectives of the Quebec public on various themes relating to GD. Participants’ comments on the forum indicate that there are tangible fears concerning DG in Quebec as well as a need for social debate on this important issue, as an integral part of the genetic revolution and personalized healthcare.
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DOES VICTIMLESS DAMAGE EXIST?
Mar Cabezas
p. 39–66
RésuméEN :
This article aims to explore the concept of victimless damage. This refers to paradoxical cases where a perpetrator and a moral wrong can be easily identified, but where somehow the role of the victim as such can be questioned. In order to explore this concept, I will first offer a typology of cases that could be labelled under this umbrella concept—namely, (1) cases of deceased victims, (2) biotechnological or no-identity cases, and (3) the ones related to lack of awareness due to epistemic injustice. Then, after highlighting the common traits and discussing some fuzzy cases, I will flesh out the main arguments for and against of the existence of and need for this concept, on the basis of both moral objectivism and subjectivism. In my view, delving into these arguments could shed some light on the metaethical debate on the sine qua non conditions of moral damage and its relation to moral wrongness. Finally, I will conclude by advocating for the need to introduce a gradational concept of moral damage and the second-person perspective into moral philosophy in order to take into account potential cases of victimless damage, but without having to accept the premises of moral realism.
FR :
Cet article vise à explorer le concept de dommages sans victime. Cela ferait référence à des cas paradoxaux dans lesquels un sujet et un tort moral pourraient être bien identifiés, mais où le rôle de la victime en tant que tel pourrait être remis en question. Pour ce faire, je proposerai d’abord une typologie des cas pouvant être étiquetés selon ce concept général, à savoir: 1) les victimes décédées, 2) les cas biotechnologiques ou sans identité, et 3) ceux liés au manque de sensibilisation dû à l’injustice épistémique. Deuxièmement, après avoir mis en évidence les traces communes et discuté de cas flous, je développerai les principaux arguments potentiels contre et en faveur de l’existence et de la nécessité de ce concept, à la fois à partir de traditions d’objectifs moraux et subjectivistes. À mon avis, approfondir ces arguments pourrait éclairer le débat méta-éthique sur les conditions sine qua non du dommage moral et son rapport avec le tort moral. Finalement, je conclurai en plaidant pour la nécessité d’introduire des concepts graduels et le point de vue de la seconde personne en philosophie morale afin de mieux rendre compte de la complexité inhérente aux cas de la vie quotidienne.
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JUSTIFICATIONS PHILOSOPHIQUES DU CRITERE DE FAIR INNINGS ET CONTROVERSES
Clémence Thébaut, Paul-Loup Weil-Dubuc et Jérôme Wittwer
p. 67–86
RésuméFR :
L’arrivée récente de thérapies innovantes et coûteuses dans divers champs thérapeutiques suscite des espoirs importants du point de vue de la santé publique. Offrir un accès équitable à ces innovations entre toutefois en concurrence avec d’autres investissements publics qui font également l’objet d’attentes sociales fortes. Elle contraint donc les acteurs à définir le montant maximum que la collectivité est prête à dépenser pour des gains de santé donnés. Survient alors la question de savoir si ce montant maximum varie en fonction des circonstances qui entourent les individus, notamment la rareté de la maladie, leurs modes de vie, les inégalités sociales qu’ils ont subies tout au long de leur vie... Nous nous intéressons dans le cadre de cet article à une priorité particulière, celle accordée aux populations les plus jeunes et qui est le plus souvent désignée, à la suite des travaux de Harris, sous le terme fair innings. Nous nous demandons ce qui pourrait justifier une telle priorisation. Dans le cadre de cet article nous examinons trois arguments. Dans un premier temps nous proposons de justifier le critère de fair innings au nom d’un objectif d’égalisation des possibilités de bien-être dans la population. Dans un deuxième temps, nous proposons de le justifier au nom d’un objectif d’égalisation du temps offert aux individus pour réaliser leurs plans de vie, conformément à la théorie de la justice comme équité de Rawls. Enfin, nous proposons de le justifier au nom d’un objectif d’égalisation du temps offert aux individus pour accepter la mort. Ces trois arguments présentent bien sûr de nombreuses limites et nous soulignons certaines d’entre elles. L’objectif que nous poursuivons dans cet article n’est pas de convaincre de la supériorité d’un argument par rapport aux autres. Nous cherchons plutôt à contribuer aux discussions sur les critères de priorisation en santé, en explicitant ce qui pourrait justifier un des critères particuliers : celui de l’âge.
EN :
Financing innovative and costly treatments in various therapeutic fields entails a number of problems in countries where costs are covered by public services. Providing these drugs is forcing actors to define the maximum sums of money society is willing to spend for given health improvements. This raises the question of whether maximum financing should vary according individuals’ circumstances, such as the rareness of a disease, lifestyles, social inequalities experienced over a life time, etc. This article examines a particular priority, namely that given to the youngest patients, such prioritising usually refers to the “fair innings argument” (FIA). We question what could justify such a prioritization criterion. Three arguments are considered. At first we consider that FIA could be justified by the objective of equalizing the opportunities of well-being. Next, we proposed justifying the fair innings argument with the aim of equalizing the time provided to individuals to achieve their plan of life, in accordance with Rawls’s theory of justice as fairness. Finally, we proposed considering the FIA as being justified because of the goal of equalizing the time provided to individuals to accept death. These three arguments, of course, have many limitations, some of which we have highlighted. This article doesn’t aim to convince about the superiority of one argument over the other ones. We seek to contribute to the discussions which could happen on prioritization criteria regarding health care, by making explicit what could justify one specific criterion: the age criterion.
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LES RELIGIONS POSSÈDENT-ELLES LE DROIT D’ÊTRE PROTÉGÉES CONTRE LES EXPRESSIONS OFFENSANTES ?
Stéphane Courtois
p. 87–112
RésuméFR :
Dans un contexte mondial de plus en plus tendu depuis les événements du 11 septembre 2001 où de simples caricatures satiriques ont semé la controverse et ont même déclenché des attaques terroristes, la question se pose de savoir si les religions possèdent le droit d’être protégées contre le blasphème et les expressions offensantes Le présent texte entend répondre à cette question par la négative. Il montre que les lois contre le blasphème sont tombées en désuétude dans la plupart des démocraties libérales et que les principales justifications connues avancées en leur faveur sont mal fondées. Il tente ensuite de solutionner deux problèmes importants qui découlent de cette position. Le premier est de savoir comment répondre au sentiment d’outrage des croyants une fois que la criminalisation ou la prohibition des offenses ne sont plus des options disponibles. Le second est de savoir si la tolérance dont nos sociétés doivent faire preuve à l’endroit des expressions offensantes s’étend également à la propagande haineuse.
EN :
In the tense times in the world following the September 11 attacks where mere satirical cartoons have generated controversy and even triggered terrorist acts, we may wonder whether religions have the right to be protected against blasphemous and offensive expressions. I provide in this paper a negative answer to this question. I demonstrate that blasphemy laws have fallen into disuse in most liberal democracies and that the main known justifications for them are today either obsolete or ill-founded. Then I seek to solve two ensuing problems. The first is how to respond to the believers’ remaining sense of grievance when the prohibition or criminalization of offenses are no longer available. The second is to know how far the tolerance of our societies towards offensive expressions should go and if this tolerance should also extend to hate propaganda
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DE LA MENACE DU BIAIS D’ANTHROPOMORPHISME DANS NOS RAPPORTS MORAUX AUX NON-HUMAINS
Timothée Gallen et Richard Monvoisin
p. 113–133
RésuméFR :
La philosophie antispéciste souffre-t-elle d’un angle mort en accordant des sentiments et des capacités aux autres animaux ? Ce texte examine la critique du biais d’anthropomorphisme, qui atteindrait la philosophie animaliste. En analysant de quelle manière se construisent nos connaissances sur les comportements des animaux non humains, nous montrons que faire appel à un anthropomorphisme critique est non seulement une option logique et rationnelle, mais surtout la seule dont nous disposons pour comprendre le comportement des autres animaux. Ainsi, l’une des critiques principales faites aux conclusions morales de la philosophie animaliste n’a selon nous pas lieu d’être.
EN :
Does anti-speciesist philosophy have a blind spot, as many of its critics claim, wrongly granting feelings and abilities to other animals? This text questions the criticism of anthropomorphism bias that may affect animalist philosophy. By analyzing how our knowledge of the behaviour of non-human animals is elaborated, we show that appealing to a critical anthropomorphism is not only a logical and rational option, but above all the only one we have at our disposal to understand the behaviour of other animals. Therefore, one of the main criticisms made of the moral conclusions of animal philosophy seems, to us, irrelevant.
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L’INÉGALITÉ EST-ELLE INJUSTE ? LES RICHES, LES PAUVRES, L’INCITATION AU TRAVAIL ET L’ENVIE
Judith Notter
p. 134–162
RésuméFR :
Il existe un important argument en faveur des inégalités de richesse, à savoir « l’argument de l’incitation au travail ». Selon cet argument, les inégalités sont justes car elles motivent les riches à travailler davantage, ce qui augmente la richesse collective et améliore le sort des plus démunis – par l’investissement, l’épargne et la redistribution. Cet argument est problématique car il existe un argument parfaitement similaire qui peut être utilisé pour critiquer les inégalités. Il s’agit de « l’argument de l’envie ». Selon cet argument, les inégalités sont injustes car elles motivent les plus démunis à nuire aux intérêts des plus riches, ce qui détériore la situation économique collective. La similitude des deux arguments a pour conséquence que, si les partisans des inégalités veulent utiliser l’argument de l’incitation au travail en faveur de leur position, ils sont contraints d’admettre simultanément l’argument de l’envie à l’encontre de leur position. Pour sortir de cette situation difficile, les anti-égalitaristes avancent plusieurs arguments pour montrer que l’envie des pauvres et le besoin d’incitation au travail des riches doivent être traités différemment. Dans cet article, nous soutenons, contre les anti-égalitaristes, qu’il n’existe aucune raison de traiter différemment l’envie et le besoin d’incitation au travail.
EN :
There is an important argument in favor of wealth inequalities, namely the “incentives argument”. According to this argument, inequalities are legitimate because they motivate advantaged people to work more, which in turn increases society’s wealth and improve the situation of the worst-off –through investment, saving, and redistribution. This argument faces a difficulty because there is a perfectly similar argument that can be used to criticize inequalities, namely the “envy argument”. According to this argument, big inequalities are unjust because they motivate the worst-off to harm the better-off, which in turn harms the economic situation of all. The similarity between the two arguments implies that, if advocates of inequality want to use the “incentives argument” to defend their position, they are forced to accept also the envy argument against their own position. To get out of this difficult situation, anti-equalitarians put forward various arguments to show that envy and motivation to work must be treated differently. In this article, we argue, against anti-equalitarians, that there is no good reason to treat envy and the need for incentives differently.
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WHAT’S WRONG WITH ESOTERIC MORALITY
Michael Cholbi
p. 163–185
RésuméFR :
Une théorie morale T est ésotérique si et seulement si T est vraie, mais il y a des individus qui, à la lumière de T même, ne doivent pas embrasser T, où embrasser T signifie croire et s’appuyer sur lui dans des délibérations pratiques. Certains philosophes considèrent que l’ésotérisme est une raison forte, voire décisive, de rejeter une théorie morale. Cependant, les partisans de cette objection ont souvent supposé que sa force était évidente et ont peu parlé pour l’exprimer. Je défends une version de cette objection, à savoir que, à la lumière de la première épistémologie personnelle bienfaisante des avantages et des inconvénients, les théories ésotériques ne justifient pas l’allocation des avantages et des inconvénients aux agents moraux qui seraient assujettis à leurs théories. En raison de la nature holistique de la justification de la théorie morale, cette conclusion implique à son tour que l’ensemble d’une théorie morale doit être soumis à l’examen public afin que la théorie soit justifiée. Je termine en répondant à plusieurs objections à mon compte de l’objection ésotérique.
EN :
A moral theory T is esoteric if and only if T is true but there are some individuals who, by the lights of T itself, ought not to embrace T, where to embrace T is to believe T and rely upon it in practical deliberation. Some philosophers hold that esotericism is a strong, perhaps even decisive, reason to reject a moral theory. However, proponents of this objection have often supposed its force is obvious and have said little to articulate it. I defend a version of this objection—namely, that, in light of the strongly first-personal epistemology of benefit and burden, esoteric theories fail to justify the allocation of benefits and burdens to which moral agents would be subject under such theories. Because of the holistic nature of moral-theory justification, this conclusion in turn implies that the entirety of a moral theory must be open to public scrutiny in order for the theory to be justified. I conclude by answering several objections to my account of the esotericism objection.