Les ateliers de l'éthique
The Ethics Forum
Volume 14, numéro 2, automne 2019
Sommaire (12 articles)
Dossier : Et après ? Mémoire, histoire et éthique pour faire face au passé / Dealing with Difficult Pasts: Memory, History and Ethics
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Sous la direction de Florence Larocque et Anne-Marie Reynaud
Façonner la mémoire : Regards sur la représentation, la politique et les archive / Shaping Memory Processes: Views on Politics, Representation and Archives
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THE VIETNAM PIETA: SHAPING THE MEMORY OF SOUTH KOREA’S PARTICIPATION IN THE VIETNAM WAR
Justine Guichard
p. 21–42
RésuméEN :
Conceived to commemorate the victims of South Korea’s participation in the Vietnam War, the statue of the Vietnam Pieta invites us to question who shapes the memory of this neglected facet of the conflict. The present article analyzes the various actors involved in this contentious process in and across both countries, starting with the South Korean activists behind the statue’s making and the movement for recognizing the crimes committed by their army. Examining these activists’ advocacy work since the late 1990s, the article argues that they are triply situated in the fight over remembering South Korea’s intervention in Vietnam. Truth advocates first appear in a position of privilege and leadership vis-à-vis Vietnamese victims of South Korean military wrongdoings, which raises the issue of the material and political asymmetries at stake in the construction of memory. Simultaneously, the same advocates occupy a position of marginality vis-à-vis the dominant public discourse held on the war by Hanoi and Seoul, whose common interest lies in deepening their mutually beneficial but unequal economic partnership. Thirdly, the memory of the conflict pits truth activists against another group within their own civil society: veterans’ organizations aggressively denying all war crimes accusations. Ultimately, remembering the war is not the object of a bilateral dispute between the South Korean and Vietnamese states, but rather a site of domestic tensions within South Korea itself.
FR :
Conçue pour commémorer les victimes de l’intervention sud-coréenne dans la Guerre du Viêt Nam, la statue de la Pietà vietnamienne nous invite à interroger qui façonne la mémoire de ce pan négligé des hostilités. Le présent article analyse les acteurs impliqués dans ce processus conflictuel de part et d’autre de chaque pays, à commencer par les activistes sud-coréens à l’origine de la statue et du mouvement pour la reconnaissance des crimes de leur armée. Examinant le travail militant qu’ils ont mené depuis la fin des années 90, l’article soutient que ces activistes sont triplement situés dans le combat autour de la mémoire de l’intervention sud-coréenne au Vietnam. Ils occupent tout d’abord une position de privilège et de leadership vis-à-vis des victimes vietnamiennes des violences militaires sud-coréennes, soulevant la question des asymétries matérielles et politiques à l’oeuvre dans tout processus de construction mémorielle. Simultanément, ces mêmes activistes apparaissent dans une position de marginalité vis-à-vis du discours public dominant qu’Hanoï et Séoul entretiennent dans l’intérêt de leur partenariat économique. Enfin, la mémoire de la guerre oppose les militants sud-coréens à un autre groupe de leur société civile : les associations d’anciens combattants niant toute accusation de crimes. Cette mémoire ne fait donc pas l’objet d’une dispute bilatérale entre le Vietnam et la Corée du Sud mais bien plutôt d’un conflit au sein de ce dernier pays.
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LE RÔLE POLITIQUE DE LA MÉMOIRE EN COLOMBIE ET AU CHILI : IMAGINAIRES, MOBILISATIONS, INSTITUTIONS
Marie-Christine Doran
p. 43–75
RésuméFR :
Le Chili et la Colombie ont vécu des processus de sortie de violence bien différents : au Chili, sortie négociée par les élites d’une dictature marquée par la terreur d’État contre une population revendiquant la démocratie; en Colombie, sortie graduelle d’un conflit armé aux multiples acteurs et paix fragmentée dans l’une des démocraties les plus stables, sur le plan formel, d’Amérique latine. Un trait commun émerge pourtant dans les processus de construction de mémoire de ces deux pays : la présence de mouvements mobilisés autour de la mémoire – notamment des groupes d’étudiants, d’afro-descendants, d’autochtones et de paysans, de femmes, c’est-à-dire que ces mouvements dépassent le cercle des victimes directes. Ces mobilisations « populaires » pour la mémoire semblent se situer ailleurs que sur le plan institutionnel puisque les deux pays présentent des contextes presque opposés, le Chili ayant adopté des politiques renforçant l’amnistie pour les crimes passés et de timides mesures commémoratives 20 ans après la fin de la dictature, tandis que la Colombie, en plein coeur du conflit, a plutôt adopté de nombreuses lois permettant une présence officielle de la mémoire, notamment par la création du Centre national de la mémoire historique. Dans une perspective de politique comparée, ces contextes institutionnels si distincts posent la question des causes communes des fortes mobilisations pour la mémoire issues « d’en bas » : des entretiens de participants des deux pays montrent que ces mouvements portent un rôle politique de la mémoire et un imaginaire de la souffrance partagée face aux violences d’État, situant les violations passées des droits humains dans un continuum avec la violence structurelle et coloniale criminalisant encore les mouvements sociaux en démocratie.
EN :
Chile and Colombia have undergone very different postconflict processes. Whereas in Chile there was an elite-based negotiated transition from a state terror regime, Colombia presents a gradual exit from an armed conflict involving multiple actors and taking place in one of Latin America’s most stable democracies. A strong common feature nevertheless exists in these two countries: important social movements—notably, student, afro-descendant, Indigenous, and peasant movements—that put forward memory, but which reach beyond the circle of direct victims. These “memory from below” movements in both countries cannot be understood from their institutional contexts, since these are so different: while Chile’s democratic governments strengthened the amnesty law and led only to timid commemorative initiatives twenty years after the end of the dictatorship, Colombia adopted numerous laws that allowed an institutional presence of memory—notably, through the creation of the National Center for Historic Memory—while the armed conflict was still fully fledged. From a comparative politics perspective, these institutional differences lead one to investigate other causes for the presence of “memory from below” movements in both countries: interviews of participants show that these movements stem from a common understanding of the political role of memory, as well as from a common social imaginary of “shared suffering” that seeks to uncover state violence and that understands past human rights violations as being part of a historic continuum of structural and colonial violence aimed at criminalizing and crushing social movements in democracy.
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BLACK CANADA AND WHY THE ARCHIVAL LOGIC OF MEMORY NEEDS REFORM
Cheryl Thompson
p. 76–106
RésuméEN :
The problem with many archives is that they are searchable only by supplementary metadata (anecdotal data not provided by the original source), rather than secondary metadata (descriptive information that covers dates, origin, history, and cross-referencing); information about a visual object is not always reliable, especially when it comes to Black Canadians. Supplementary metadata in Canadian archives are not classified by race or ethnicity, thus, the very structure of the archive erases from public memory the lived experiences of Black Canadians. Given the move toward digitization over the last fifteen years, the importance of the archive has become a topic of discussion. Since the public can now search through on-line collections, the need to protect and promote material archives has never been more important. This paper will explore the question of the archive-as-subject, rather than archive-as-source, through storytelling. Storytelling is one of the many cultural expressions that have connected Black populations. Using first-person narrative, I give examples from my ten-year-long experience working in Black Canadian archives to probe how the archive can move from its depository role to become a site where memories about Black Canadian experiences across time, space, and place are curated and narrated. What are the ethical challenges around this kind of reform?
FR :
La recherche dans plusieurs archives est problématique du fait qu’elle est tributaire de métadonnées complémentaires (dont des anecdotes ne provenant pas de sources originelles), plutôt que de métadonnées secondaires (dont l’information descriptive comprenant les dates, l’origine, l’histoire et le croisement de références). L’information accompagnant les objets visuels n’est pas nécessairement fiable, d’autant plus que la race et l’ethnicité sont souvent omises dans leur description. Or, celles-ci sont des marqueurs socio-historiques essentiels de la présence des Noirs au Canada. Ainsi, la structure même des archives efface les expériences vécues des Noirs de la mémoire publique canadienne. Considérant la numérisation croissante des quinze dernières années, la facilité du public à identifier ce qu’il cherche dans les collections en ligne rend d’autant plus urgente la question de la recherche dans les archives. Cet essai explore la question des « archives-en-tant-que-sujet », plutôt que des « archives-en-tant-que-source », par la narration; une forme d’expression culturelle commune aux communautés noires. J’y raconte mes dix ans d’expériences dans les archives dédiées aux Noirs au Canada, en évaluant comment les archives peuvent dépasser leur mission d’entreposage et devenir un site où la mémoire des Noirs à travers le temps, l’espace et le lieu est conservée et surtout racontée. Quels sont les défis éthiques d’une telle réforme?
Analyses critiques d’initiatives contemporaines de récupération de la mémoire / Memory in-the-Making: Critical Outlooks on Contemporary Initiatives
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THE ETHICAL CHALLENGES OF RECOVERING HISTORICAL MEMORY SEEING LAND: RESITUATING LANDSCAPES THROUGH CONTEMPORARY INDIGENOUS ART EXHIBITIONS
Carmen Robertson
p. 108–127
RésuméEN :
Canadian landscapes on gallery walls in art museums serve as a primer for understanding the nation. Visitors cannot easily escape the purposeful emptiness of rugged scenes meant to visually assure them of the nation’s right to colonial possession. Most viewers respond positively to these pretty pictures because such ways of seeing the art history of Canada has been naturalized and normalized, appearing politically neutral.
Ubiquitous Canadian landscape paintings also reinforce colonial claiming of land and authorize erasure of Indigenous relations with the land. Understanding the noted landscapes as something other than part of a national narrative, however, has not been widely accepted, even as a sanctioned mandate to broaden art historical narratives has resulted in displaying additional Indigenous art in galleries. In an analysis that considers ways to re-vision the privileged colonial narrative present in Canadian art museums, deeper ethical issues arise in relation to institutional structures. Here the analysis focuses on three projects in and around Canada 150, including examples such as Shame and Prejudice: A Story of Resilience (2017–2020, Kent Monkman), the rehanging of Norval Morrisseau’s Artist and Shaman between Two Worlds (1980) at the National Gallery of Canada, and the Michael Belmore and A. J. Casson: Nkweshkdaadiimgak Miinwaa Bakeziibiisan/Confluences and Tributaries exhibit at the Ottawa Art Gallery (2018, Ottawa). This essay explores questions regarding whether ways of seeing land differently come about simply by hanging Indigenous art on institutional walls or whether more systemic change is required.
FR :
La mise en exposition des paysages canadiens sur les murs des musées sert d’introduction à une compréhension de la nation. Les visiteurs ne peuvent pas aisément échapper à ces paysages accidentés, dont le vide sert intentionnellement à les convaincre visuellement du droit de la nation à une possession coloniale. Si la plupart des visiteurs réagissent positivement à ces jolies images, c’est parce que de telles façons de voir l’histoire de l’art du Canada ont été naturalisées et normalisées et, de ce fait, apparaissent comme politiquement neutres. Les peintures de paysages, omniprésentes au Canada, renforcent également la revendication coloniale du territoire et autorisent l’effacement des relations entre les Autochtones et ce territoire. Comprendre ces paysages notables en dehors du récit national n’a toutefois pas été largement accepté et ce, même si un mandat approuvé d’élargir les récits historiques de l’art a eu pour résultat d’afficher davantage d’art autochtone dans les espaces muséaux. Une analyse qui interroge le récit colonial dominant présent dans les musées d’art canadiens soulève des questions éthiques plus profondes quant aux structures institutionnelles. Cet article interroge si les façons de voir le territoire autrement découlent simplement d’une mise en exposition de l’art autochtone dans les espaces institutionnels, ou si un changement systémique plus profond est nécessaire. L’analyse se concentre sur trois projets menés dans le cadre du programme « Canada 150 », notamment Honte et Préjugés : une histoire de résilience (2017-2020, Kent Monkman), la remise en exposition de Artiste et chaman entre deux mondes de Norval Morrisseau (1980) au Musée des beaux-arts du Canada, et l’exposition Michael Belmore et AJ Casson : Nkweshkdaadiimgak Miinwaa Bakeziibiisan/Confluents et affluents, à la Galerie d’art d’Ottawa (2018, Ottawa).
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LA MÉMOIRE HISTORIQUE EN ESPAGNE, OU LE DROIT SAISI PAR LA POLITIQUE
Arnaud Martin
p. 128–158
RésuméFR :
Le 29 août 2018, le président du gouvernement espagnol Pedro Sánchez annonça la création d’une commission de la vérité sur les crimes commis durant la guerre civile et la dictature franquiste. Ainsi devait prendre officiellement fin la politique d’impunité et d’amnésie politique imposée au peuple espagnol au lendemain de la mort du général Franco par la loi du 15 octobre 1977, confirmée trente ans plus tard par la loi du 26 décembre 2007, comme contrepartie des mesures d’amnistie prises en faveur des condamnés politiques et comme prix à payer pour assurer la réussite du processus consensuel de transition démocratique. La mémoire historique qui avait été refusée aux Espagnols allait pouvoir devenir réalité.
La commission s’inscrit de façon originale dans la logique de la justice transitionnelle. En effet, l’élaboration de la vérité historique annoncée par Pedro Sánchez a pour but, non pas d’assurer la transition démocratique et la pacification d’une société postconflictuelle, mais de prévenir la « déconsolidation » démocratique à laquelle pourraient conduire la non-reconnaissance des torts subis par les victimes du franquisme et l’impossibilité de l’Espagne – notamment de la droite – à tourner la page du franquisme.
EN :
On August 29, 2018, the president of the Spanish government, Pedro Sánchez, announced the forthcoming creation of a truth commission on crimes committed during the civil war and the Franco dictatorship. This was the official end to the policy of impunity and political amnesia imposed on the Spanish people in the aftermath of the death of General Franco by the law of October 15, 1977, and confirmed thirty years later by the law of December 26, 2007, as a counterpart to the amnesty measures taken in favour of those sentenced politically and as a price to be paid to ensure the success of the consensual democratic transition process. The elaboration of the historical memory that had been denied to the Spanish people was going to become a reality.
The future commission is an original part of the logic of transitional justice. Indeed, the elaboration of the historical truth announced by Pedro Sánchez is intended not to ensure the democratic transition and pacification of a postconflict society, but to prevent the democratic “deconsolidation” that could result from the nonrecognition of the wrongs suffered by the victims of Francoism and from Spain’s refusal—especially on the right—to turn the page on Francoism.
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NATION-BUILDING CONFESSIONS: CARCERAL MEMORY IN POSTGENOCIDE RWANDA
Gretchen Baldwin
p. 159–181
RésuméEN :
The postconflict Rwandan state has crafted a “we are all Rwandans” national identity narrative without ethnicity, in the interest of maintaining a delicate, postgenocide peace. The annual genocide commemoration period called Kwibuka—“to remember”—which takes place over the course of one hundred days every year, is an underresearched part of this narrative. During the commemoration period, génocidaires’ confessions increase dramatically; these confessions lead the government to previously undiscovered graves all over the country, just as confessions given during the grassroots justice system—gacaca—did in the more immediate aftermath of the genocide. According to a prominent government official known for his prison outreach, the Rwandan government no longer provides incentives for prisoners to confess. Instead, he stated in a 2017 interview, those who speak up over twenty years later are simply “moved by the spirit of Kwibuka.” When confessions are made, memories of past action (“bad behaviour”) are used by the state, seemingly toward an ultimate end of reinforcing the national master narrative, to subsume the individual memories of innocent survivors into the national collective memory. This paper explores the questions around the state’s evolving use of prisoner confessions, both how those confessions are obtained, and how they factor into commemoration practices now.
FR :
Pendant la période d’après-conflit au Rwanda, l’état a façonné un récit d’identité nationale, « nous sommes tous des Rwandais », éliminant des distinctions d’ethnies, dans l’intérêt de maintenir une délicate paix post-génocide. La période annuelle de commémoration d’une durée de cent jours, appelée Kwibuka (se souvenir), est une partie de ce récit qui reste encore insuffisamment étudiée. Pendant cette période de commémoration, les aveux des génocidaires augmentent drastiquement ; ces aveux aident le gouvernement à trouver de nouvelles tombes dans le pays entier, tout comme l’ont fait les aveux donnés pendant le processus juridique de gacaca qui a suivi immédiatement le génocide. Selon un membre officiel du gouvernement qui est connu pour son travail dans les prisons, le gouvernement rwandais n’offre plus d’incitatifs aux prisonniers pour les encourager à faire des aveux. Il a déclaré, dans un entretien de 2017, que ceux qui avouent plus de vingt ans après les faits seraient simplement « mûs par l’esprit du Kwibuka ». Quand quelqu’un procède à un aveu, l’état utilise ces souvenirs des actions du passé (d’un « mauvais comportement »), vraisemblablement dans le but ultime de renforcer le récit national dominant, de sorte à incorporer les souvenirs individuels des survivants innocents dans la mémoire collective nationale. Cet article interroge l’évolution de l’utilisation des aveux par l’état : comment ces aveux sont obtenus, et quels rôles ils jouent dans les pratiques de commémoration d’aujourd’hui.
Pistes pour construire des mémoires historiques plurielles / Exploring Paths for Building Plural Historical Memories
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CONTEXTUALISER L’ATROCITE ? LE MUSEE DE LA MEMOIRE ET DES DROITS DE L’HOMME AU CHILI
Mauro Basaure
p. 183–207
RésuméFR :
Cet article cherche à innover dans le cadre de la controverse sur le musée de la Mémoire et des Droits de l’homme (MMDH) du Chili : devrait-il ou non intégrer dans sa muséographie la période antérieure au 11 septembre 1973, c’est-à-dire le contexte du coup d’État ? Je défends la thèse selon laquelle le MMDH peut intégrer une dimension contextuelle sans trahir sa mission, sa vision et sa fonction, tant qu’il répond à une approche de la notion de contexte-sans-causalité. Selon moi, le grand problème de la critique venant de la droite politique – qui accuse le musée de ne pas remplir sa mission pédagogique, car il décontextualise le coup d’État – est que cette critique répond à une vision causale de la notion de contexte, ce qui la conduit à des contradictions insurmontables. Si, grâce à une muséographie bien réfléchie, le concept de contextualisation non causale était mis en oeuvre avec succès, ceci n’engendrerait pas une contradiction au sein du musée mais pourrait même le favoriser. La conviction que le coup d’État et ses atrocités n’ont ni causes ni antécédents et ne peuvent en avoir renforce la mission pédagogique du MMDH.
EN :
This article seeks to make a novel contribution in the context of the controversy surrounding the Museum of Memory and Human Rights (MMDH) in Chile: should the MMDH (or should it not) include in its museography the period before September 11, 1973—i.e., the context for the coup d’état? I defend the thesis that the MMDH can integrate a contextual dimension—without betraying its mission, vision, and function—as long as it responds to an approach to the notion of a context-without-causality. In my opinion, the main problem with criticism from the political right—which accuses the museum of not fulfilling its educational mission because it decontextualizes the coup d’état—is that it responds to a causal vision of the notion of context, which leads it to insurmountable contradictions. If, thanks to a well-thought-out museography, the concept of noncausal contextualization were successfully implemented, this would not create a contradiction within the museum, but could even favour it. The conviction that the coup d’état and its atrocities have no causes or antecedents, and cannot have them, reinforces the educational mission of the MMDH.
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EXPÉRIMENTER DES FORMES DE « MIEUX-ÊTRE » : RECONNAÎTRE LE SENS DE L’EXPÉRIENCE EN CONSIDÉRANT LE POUVOIR DE DIRE ET DE FAIRE DES ANICINABEKWEK (FEMMES ALGONQUINES)
Audrey Rousseau
p. 208–239
RésuméFR :
La recherche de formes de rétablissement à la suite d’événements difficiles, voire traumatiques, implique souvent de considérer la parole comme un moteur de transformation personnelle et sociale. À partir de préoccupations éthiques et épistémologiques d’une chercheuse non autochtone menant une recherche collaborative au sujet des disparitions et des assassinats de femmes et de filles autochtones en Abitibi-Témiscamingue, cet article interroge plus précisément l’association fréquente entre l’expression du souvenir et la recherche d’un « mieux-être ». Après avoir introduit les assises de cette recherche, qui se fonde sur l’oralité comme mode de transmission des savoirs entre générations, j’explorerai certaines conceptions du mieux-être et de la guérison tirées de la littérature scientifique autochtone. Puis, à partir du postulat relationnel au fondement du pouvoir du storytelling chez les Premières Nations, je révélerai deux conceptions des récits-histoires : l’une les concevant comme des « médecines » qui rassemblent les forces des ancêtres, l’autre les traitant comme des enseignements valorisant l’identité culturelle et les savoirs traditionnels. En terminant, j’aborderai certaines tensions relatives à la volonté d’éclairer des problèmes complexes, tout en réfléchissant aux conditions de l’écoute de ces récits-histoires et aux défis de représenter et d’interpréter ces savoirs expérientiels.
EN :
The search for forms of recovery following difficult or even traumatic events often involves considering speech as an instrument for personal and social transformation. Driven by ethical and epistemological concerns of a non-Aboriginal researcher conducting collaborative research into the disappearances and murders of Aboriginal women and girls in Abitibi-Témiscamingue, this article investigates more specifically the frequent association between remembering and the search for “wellness.” After introducing the foundations of this research, which are based on orality as a means of transmitting knowledge across generations, I will explore conceptions of wellness and healing arising from Aboriginal scientific literature. Then, emphasizing the relational dimension to the foundation of First Nations’ storytelling, I will reveal two conceptions of stories: one conceiving them as “medicines” that bring together the strength of ancestors; the other dealing with them as teachings promoting cultural identity and traditional knowledge. In closing, I will talk about some tensions surrounding the willingness to illuminate complex issues, while reflecting on the conditions of listening to these stories and the challenges of representing and interpreting this experiential knowledge.
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ON EPISTEMIC RESPONSIBILITY WHILE REMEMBERING THE PAST: THE CASE OF INDIVIDUAL AND HISTORICAL MEMORIES
Marina Trakas
p. 240–273
RésuméEN :
The notion of epistemic responsibility applied to memory has been in general examined in the framework of the responsibilities that a collective holds for past injustices, but it has never been the object of an analysis of its own. In this article, I endeavour to isolate and explore it in detail. To this end, I start by conceptualizing the epistemic responsibility applied to individual memories. I conclude that an epistemically responsible individual rememberer is a vigilant agent who knows when to engage in different kinds of mental and nonmental actions in order to monitor and update his or her memories, and who develops and nurtures different kinds of virtuous attitudes that guide those actions. These (epistemic) virtuous attitudes are oriented not only towards oneself but also towards others. Although this conception of epistemic responsibility does not pose a problem for understanding shared memories of family members and friends, it may seem suspicious when applied to large-scale collective memories. These memories, which I name historical memories, are memories of events that have a traumatic impact for the community, are permeated by unequal relations of power, maintain a complex relationship with historical science, and present other characteristics that distinguish them from individual memories. But despite these differences, the analysis undertaken in this work shows that the general principles that govern the epistemic responsibility of individual and (large-scale) collective rememberers are similar, and are based on similar grounds: pragmatic considerations about the consequences of misremembering or forgetting and a feeling of care. The similarities on the individual and collective scale of the epistemically vigilant attitude that is and should be taken toward our significant past may partially justify the use of the same epithet—“memory”—to refer to these different kinds of representations.
FR :
La notion de responsabilité épistémique appliquée à la mémoire est généralement étudiée dans le cadre des responsabilités qui incombent à une collectivité pour des injustices passées, mais elle n’a jamais fait l’objet d’une analyse indépendante. Dans cet article, je propose d’isoler et d’explorer cette notion en détail. Pour ce faire, je conceptualise d’abord la responsabilité épistémique appliquée aux souvenirs individuels. Je conclus qu’un individu qui se remémore le passé peut être considéré comme responsable du point de vue épistémique dans la mesure où il est un agent de vigilance sachant quand s’engager dans différents types d’actions mentales et non mentales de sorte à surveiller et de mettre à jour ses souvenirs, et qui développe et entretient différents types d’attitudes vertueuses qui guident ces actions. Ces attitudes (épistémiques) vertueuses sont orientées non seulement envers soi-même mais aussi envers les autres. Bien que cette conception de la responsabilité épistémique ne pose pas problème lorsqu’elle est employée pour comprendre les souvenirs collectifs des membres d’une famille ou d’un groupe d’amis, elle peut sembler inadéquate en ce qui concerne les souvenirs des collectivités à grande échelle. Ces souvenirs, que j’appelle des souvenirs historiques, sont des souvenirs d’événements qui ont eu un impact traumatique dans la communauté, qui sont imprégnés de relations de pouvoir inégales, qui entretiennent une relation complexe avec la science historique, et qui présentent d’autres caractéristiques les distinguant des souvenirs individuels. En dépit de ces différences, l’analyse entreprise dans ce travail montre que les principes généraux qui président à la responsabilité épistémique des individus et des collectivités (à grande échelle) qui se remémorent leur passé sont similaires et sont fondés sur des motifs similaires : des considérations pragmatiques sur les conséquences des erreurs et des omissions de la mémoire ainsi qu’un sentiment de soin. Ces similitudes à l’échelle individuelle et collective de l’attitude épistémique vigilante qui est – et doit être – prise envers notre passé peuvent justifier, du moins en partie, l’utilisation de la même épithète – la « mémoire » – pour faire référence à ces différents types de représentations.
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Afterword