Les ateliers de l'éthique
The Ethics Forum
Volume 13, numéro 2, été 2018
Sommaire (8 articles)
Dossier: On Self-Deception
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Sous la direction de Anne Meylan
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SELF-DECEPTION: NEW ANGLES: INTRODUCTION
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LIBERALIZING SELF-DECEPTION: REPLACING PARADIGMATIC-STATE ACCOUNTS OF SELF-DECEPTION WITH A DYNAMIC VIEW OF THE SELF-DECEPTIVE PROCESS
Patrizia Pedrini
p. 11–24
RésuméEN :
In this paper, I argue that paradigmatic-state accounts of self-deception suffer from a problem of restrictedness that does not do justice to the complexities of the phenomenon. In particular, I argue that the very search for a paradigmatic state of self-deception greatly overlooks the dynamic dimension of the self-deceptive process, which allows the inclusion of more mental states than paradigmatic-state accounts consider. I will discuss the inadequacy of any such accounts, and I will argue that we should replace them with a dynamic view of self-deception that is more liberal regarding the mental states in which self-deceivers may find themselves.
FR :
Dans cet article, je soutiens que les explications de l’auto-illusion en termes d’un état « paradigmatique » souffrent d’un problème de limitation qui ne rend pas justice à la complexité du phénomène. Plus précisément, j’avance que la recherche même d’un état paradigmatique néglige tout à fait la dimension dynamique du processus d’auto-illusion, de sorte à inclure davantage d’états mentaux que ne le font les explications en termes d’un état paradigmatique. Après avoir démontré l’insuffisance de ces dernières, je proposerai que nous devrions les remplacer par une conception dynamique de l’auto-illusion qui serait plus flexible quant aux états mentaux potentiellement vécus par des personnes sous l’emprise de l’auto-illusion.
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SELF-DECEPTIVE RESISTANCE TO SELF-KNOWLEDGE
Graham Hubbs
p. 25–47
RésuméEN :
Philosophical accounts of self-deception have tended to focus on what is necessary for one to be in a state of self-deception or how one might arrive at such a state. Less attention has been paid to explaining why, so often, self-deceived individuals resist the proper explanation of their condition. This resistance may not be necessary for self-deception, but it is common enough to be a proper explanandum of any adequate account of the phenomenon. The goals of this essay are to analyze this resistance, to argue for its importance to theories of self-deception, and to offer a view of self-deception that adequately accounts for it. The view’s key idea is that, in at least some familiar cases, self-deceived individuals maintain their condition by confusing a nonepistemic satisfaction they take in their self-deceived beliefs for the epistemic satisfaction that is characteristic of warranted beliefs. Appealing to this confusion can explain both why these self-deceived individuals maintain their unwarranted belief and why they resist the proper explanation of their condition. If successful, the essay will illuminate the nature of belief by examining the limits of the believable.
FR :
Les explications philosophiques de l’auto-illusion ont eu tendance à mettre l’accent sur ce qui est nécessaire pour que quelqu’un soit considéré comme étant sous l’emprise de l’auto-illusion ou encore sur la façon dont quelqu’un parvient à un tel état. Moins d’efforts ont été dirigés vers les raisons pour lesquelles, si souvent, les individus sous l’emprise de l’auto-illusion opposent une résistance à l’explication véritable de leur condition. Cette résistance n’est peut-être pas essentielle à l’auto-illusion, mais elle est suffisamment courante pour constituer un explicandum approprié pour tout traitement adéquat du phénomène. Cet essai a pour buts d’analyser cette résistance, de défendre son importance pour les théories de l’auto-illusion, et de proposer une conception de l’auto-illusion qui en rend compte de manière adéquate. Cette conception repose sur l’idée suivante : au moins dans certains cas connus, les individus sous l’emprise de l’auto-illusion maintiennent leur condition en prenant la satisfaction non-épistémique qu’ils retirent de leurs croyances illusoires pour la satisfaction épistémique qui caractérise les croyances justifiées. C’est en faisant appel à cette confusion que l’on peut expliquer à la fois pourquoi ces individus conservent leur croyance infondée et pourquoi ils opposent une résistance à l’explication adéquate de leur condition. Si tant est qu’il y parvienne, cet essai éclairera la nature de la croyance en examinant les limites du croyable.
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HOW TO TRAGICALLY DECEIVE YOURSELF
Jakob Ohlhorst
p. 48–69
RésuméEN :
This paper introduces the concept of tragic self-deception. Taking the basic notion that self-deception is motivated belief against better evidence, I argue that there are extreme cases of self-deception even when the contrary evidence is compelling. These I call cases of tragic self-deception. Such strong evidence could be argued to exclude the possibility of self-deception; it would be a delusion instead. To sidestep this conclusion, I introduce the Wittgensteinian concept of certainties or hinges: acceptances that are beyond evidential justification. One particular type of certainties—iHinges, which are adopted for motivational reasons—explain the phenomenon of tragic self-deception: they warrant the subject’s dismissal of the evidence without loss of rationality from the subject’s point of view. Subsequently, I deal with some objections that can be raised against this account of self-deception.
FR :
Cet article présente le concept d’auto-illusion tragique. En prenant la notion de base selon laquelle l’auto-illusion consiste en une croyance motivée à l’encontre de meilleures preuves, je soutiens qu’il existe des cas extrêmes d’auto-illusion qui persistent même face à des preuves contradictoires incontestables. J’appelle ces cas : auto-illusion tragique. On pourrait soutenir que des preuves d’une telle force excluent la possibilité d’auto-illusion et qu’il s’agirait plutôt de délire. Afin d’éviter cette conclusion, j’introduis le concept wittgensteinien de certitudes ou de propositions charnières (hinges) : des admissions qui se situent au-delà d’une justification de nature probante. Un type de certitudes en particulier – iHinges, qui sont adoptées pour des raisons d’ordre motivationnel – rend compte du phénomène d’auto-illusion tragique. Ces certitudes justifient que le sujet rejette la preuve sans que cela implique, de son propre point de vue, une perte de rationalité. Subséquemment, je traite de certaines objections qui peuvent être soulevées contre cette explication de l’auto-illusion.
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WHAT DOES EMOTION TEACH US ABOUT SELF-DECEPTION? AFFECTIVE NEUROSCIENCE IN SUPPORT OF NON-INTENTIONALISM
Federico Lauria et Delphine Preissmann
p. 70–94
RésuméEN :
Intuitively, affect plays an indispensable role in self-deception’s dynamic. Call this view “affectivism.” Investigating affectivism matters, as affectivists argue that this conception favours the non-intentionalist approach to self-deception and offers a unified account of straight and twisted self-deception. However, this line of argument has not been scrutinized in detail, and there are reasons to doubt it. Does affectivism fulfill its promises of non-intentionalism and unity? We argue that it does, as long as affect’s role in self-deception lies in affective filters—that is, in evaluation of information in light of one’s concerns (the affective-filter view). We develop this conception by taking into consideration the underlying mechanisms governing self-deception, particularly the neurobiological mechanisms of somatic markers and dopamine regulation. Shifting the discussion to this level can fulfill the affectivist aspirations, as this approach clearly favours non-intentionalism and offers a unified account of self-deception. We support this claim by criticizing the main alternative affectivist account—namely, the views that self-deception functions to reduce anxiety or is motivated by anxiety. Describing self-deception’s dynamic does not require intention; affect is sufficient if we use the insights of neuroscience and the psychology of affective bias to examine this issue. In this way, affectivism can fulfill its promises
FR :
Intuitivement, l’affect joue un rôle indispensable dans la dynamique de l’autoduperie. Appelons cette conception « l’affectivisme ». Il importe d’examiner l’affectivisme, étant donné que les affectivistes soutiennent que cette conception favorise une approche non-intentionnaliste de l’auto-duperie et fournit une conception unifiée des formes classique et inversée de l’auto-illusion. Or, ces arguments n’ont pas fait l’objet d’une étude détaillée. L’affectivisme remplit-il ses promesses quant au non-intentionnalisme et à l’unité explicative ? Cet article propose une nouvelle conception qui rend justice aux aspirations affectivistes. Selon notre théorie, la duperie de soi résulte de filtres affectifs, à savoir de l’évaluation de l’information à la lumière de nos buts ou préoccupations (la conception des filtres affectifs). Nous développons cette conception en portant une attention particulière aux mécanismes neurobiologiques sous-jacents à la duperie de soi, à savoir les marqueurs somatiques et la régulation dopaminergique. Décrire le phénomène à ce niveau permet de justifier la conception nonintentionnelle et d’offrir un modèle unifié de l’auto-duperie. Nous motivons cette approche en critiquant les principales théories affectivistes, à savoir l’idée que la duperie de soi aurait pour fonction de réduire l’anxiété ou serait motivée par l’anxiété. Les mécanismes affectifs éclairent la dynamique de la duperie de soi sans faire appel aux intentions, comme de nombreuses études empiriques sur les biais affectifs le démontrent. L’affectivisme tient donc ses promesses.
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COSTLY FALSE BELIEFS: WHAT SELF-DECEPTION AND PRAGMATIC ENCROACHMENT CAN TELL US ABOUT THE RATIONALITY OF BELIEFS
Melanie Sarzano
p. 95–118
RésuméEN :
In this paper, I compare cases of self-deception and cases of pragmatic encroachment and argue that confronting these cases generates a dilemma about rationality. This dilemma turns on the idea that subjects are motivated to avoid costly false beliefs, and that both cases of self-deception and cases of pragmatic encroachment are caused by an interest to avoid forming costly false beliefs. Even though both types of cases can be explained by the same belief-formation mechanism, only self-deceptive beliefs are irrational: the subjects depicted in high-stakes cases typically used in debates on pragmatic encroachment are, on the contrary, rational. If we find ourselves drawn to this dilemma, we are forced either to accept—against most views presented in the literature—that self-deception is rational or to accept that pragmatic encroachment is irrational. Assuming that both conclusions are undesirable, I argue that this dilemma can be solved. In order to solve this dilemma, I suggest and review several hypotheses aimed at explaining the difference in rationality between the two types of cases, the result of which being that the irrationality of self-deceptive beliefs does not entirely depend on their being formed via a motivationally biased process.
FR :
Dans cet article, je compare les cas classiques de duperie de soi aux cas que l’on trouve dans les débats sur la question de l’empiètement pragmatique et défends l’idée selon laquelle ces deux types de cas peuvent être compris comme étant produits par un même mécanisme visant à éviter la formation de croyances fausses coûteuses. Cette comparaison nous mène naturellement à former un dilemme à propos de la rationalité des croyances. Le dilemme repose sur l’idée que bien que ce mécanisme mène à la formation de croyances irrationnelles dans les cas de duperie de soi, il ne semble pas affecter la rationa-lité du sujet dans les cas d’empiètement pragmatique : alors que les sujets autodupés sont irrationnels, les sujets décrits dans les cas d’empiètement pragmatique ne le sont pas. Pour résoudre ce dilemme sans rejeter les présupposés selon lesquels les croyances issues de la duperie de soi sont irrationnelles et que les cas sur lesquels repose l’empiètement pragmatique sont rationnels, je propose plusieurs hypothèses visant à expliquer cette différence, prouvant ainsi que ce dilemme n’est qu’apparent et que l’irrationalité de la duperie de soi ne peut uniquement dépendre de ce mécanisme sous l’influence de considérations pratiques.
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RESPONSIBILITY FOR SELF-DECEPTION
Marie van Loon
p. 119–134
RésuméEN :
In this paper, I argue that Alfred Mele’s conception of self-deception is such that it always fulfils the reasons-responsiveness condition for doxastic responsibility. This is because self-deceptive mechanisms of belief formation are such that the kind of beliefs they bring about are the kind of beliefs that fulfil the criteria for doxastic responsibility from epistemic reasons responsiveness. I explain why in this paper. Mele describes the relation of the subject to the evidence as a biased relation. The subject does not simply believe on the basis of evidence, but on the basis of manipulated evidence. Mele puts forward four ways in which the subject does this. The subject could misinterpret positively or negatively, selectively focus, or gather evidence. Through these ways of manipulation, the evidence is framed such that the final product constitutes evidence on the basis of which the subject may believe a proposition that fits that subject’s desire that P. Whichever form of manipulation the subject uses, the evidence against P must be neutralized in one way or another. Successful neutralization of the evidence requires the ability to recognize what the evidence supports and the ability to react to it. These abilities consist precisely in the two parts of the reasons-responsiveness condition, reasons receptivity and reasons reactivity. In that sense, self-deceptive beliefs always fulfil the reasons-responsiveness condition for doxastic responsibility. However, given that reasons responsiveness is only a necessary condition for doxastic responsibility, this does not mean that self-deceived subjects are always responsible for their belief.
FR :
Dans cet article, je soutiens que la conception d’auto-illusion chez Alfred Mele remplit toujours l’une des conditions de la responsabilité doxastique, à savoir la « sensibilité aux raisons » (reasons-responsiveness). Il en est ainsi car les mécanismes d’auto-illusion dans la formation de croyances produisent des types de croyances qui remplissent les critères pour la responsabilité doxastique quant à la sensibilité aux raisons épistémiques. J’explique pourquoi dans cet article. Mele décrit la relation du sujet à la preuve comme biaisée. Le sujet ne croit pas seulement sur la base de preuves, mais de preuves manipulées. Mele avance quatre façons qu’a le sujet de faire ceci. Le sujet peut mal interpréter positivement ou négativement, focaliser de façon sélective, ou accumuler des preuves. Par ces formes de manipulations, la preuve est formulée de sorte qu’elle produise un fondement pour la croyance en une proposition qui s’accorde avec le désir du sujet que P. Peu importe la forme de manipulation qu’emploie le sujet, la preuve contre P doit être neutralisée d’une façon ou d’une autre. Une neutralisation réussie de la preuve requiert la capacité de reconnaître ce que soutient la preuve et la capacité d’y réagir. Ces capacités consistent précisément en ces deux parties de la condition de la sensibilité aux raisons, soit la réceptivité et la réactivité aux raisons. En ce sens, les croyances d’auto-illusion remplissent toujours la condition de la sensibilité aux raisons pour la responsabilité doxastique. Toutefois, étant donné que la sensibilité aux raisons n’est une condition nécessaire que pour la responsabilité doxastique, cela ne veut pas dire que les sujets souffrant d’auto-illusion sont toujours responsables de leurs croyances.