Étude critique

Réponse à une critique[Notice]

  • Francesco Paolo Adorno

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  • Francesco Paolo Adorno
    PROFESSEUR DE PHILOSOPHIE MORALE, UNIVERSITÉ DE SALERNE

RÉPLIQUE À ALICE LANCELLE ET MARJOLAINE DESCHÊNES, « FRANCESCO PAOLO ADORNO, FAUT-IL SE SOUCIER DU CARE?. UNE ETUDE CRITIQUE », LES ATELIERS DE L’ÉTHIQUE/THE ETHICS FORUM, vol. 10, no. 3, 2015, p. 168-190

Quand j’ai commencé à rédiger mon ouvrage sur le care, je savais que j’allais m’exposer à des critiques – ce qui est absolument normal et même salutaire. Toutefois, j’avais espéré que l’éventuelle discussion que mon travail pouvait engendrer fasse l’économie des accusations de pensée néolibérale, antiféministe et par conséquent réactionnaire, et que l’on discute les thèses de fond. Pour cela, il aurait fallu comprendre que ma critique des éthiques du care n’était que la manifestation d’une préoccupation réelle concernant leur validité et leur force théorique. Car mon livre ne discute ni du féminisme, ni des femmes, mais du care. La différence est substantielle. Certes, les théories du care sont nées et se sont développées grâce à des femmes qui avaient à coeur la situation des femmes dans la société actuelle (cela dit, je ne crois pas que les discriminations que les femmes subissent n’intéressent qu’elles), mais ce souci premier a été élargi à un problème, la place du care dans nos sociétés, qui dépasse les questions de sexe ou de genre. Les auteurs que j’ai discutés, à partir de Joan C. Tronto qui a été la plus lue, la plus commentée et la plus utilisée en France, ne sont pas parmi ceux ou celles qui font du care une question de genre, qui par ailleurs n’a jamais été traitée en tant que telle dans mon livre. Mon parti pris a été de considérer que le care est une théorie éthique qui a des retombées pratiques sur l’ensemble de la société. Il ne me semble pas inutile de remarquer qu’une théorie est bonne ou mauvaise indépendamment du sexe de ses théoriciens. Tout en trouvant particulièrement injuste cette réduction du care au féminisme, un biais que j’ai essayé de ne pas reproduire dans mon ouvrage, j’en comprends la raison stratégique. Affirmer l’équivalence totale entre féminisme et care permet de taxer d’antiféminisme tous les hommes qui s’aviseraient d’énoncer des critiques à l’encontre du care. Ainsi, il paraît que mon livre est entaché de « biais de genre », et que j’ai essayé rien de moins que de « discréditer les mouvements féministes et leur pertinence ». Comme l’affirment Alice Lancelle et Marjolaine Deschênes, ma critique d’une théorie « féministe » est le signe d’un discours antiféministe qui voudrait « instruire les femmes, de son point de vue philosophique mâle et dominant ». On peut se demander au passage si les critiques acceptables du care ne pourraient venir que des femmes. Le cas échéant, celles qui se voient critiquées auraient un argument tout trouvé pour les récuser d’avance avant même d’en avoir entendu le contenu. J’avais essayé d’anticiper cette possible incompréhension dans mon introduction : Si elles m’avaient lu avec une plus grande attention, au lieu de gaspiller leur énergie à débiter des accusations sans fondement, mes critiques auraient pu se concentrer sur des points plus importants de mon travail. D’autant plus qu’elles reconnaissent qu’au fond mes « critiques et remarques sont souvent pertinentes », ce qui les conduit à déplorer que je « ne prenne pas le projet au sérieux ni ne tente de résoudre les problèmes [que j’] expose avec plus de générosité et de finesse ». (p. 184) Encore que je comprenne ce que signifie résoudre des problèmes avec générosité et que l’on puisse considérer cette critique d’un texte qui se veut théorique comme pertinente, il apparaît que ma « thèse principale reste que les éthiques du care n’ont pas les moyens de renverser les rapports de pouvoir qu’elles dénoncent et risquent même d’empirer ce qu’elles critiquent », ce qui vaut reconnaissance à demi-mot du fait que je …

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