Depuis Pythagore et sans doute même avant lui, des philosophes se sont préoccupés des obligations qui incombent aux êtres humains, en tant qu’agents moraux, envers les animaux non humains. Le sadisme ou la cruauté ont presque toujours fait l’objet de condamnations unanimes, même chez ceux qui accordaient le moins de valeur aux animaux. Récemment, le souci pour les êtres sensibles non humains s’est particulièrement accentué puis répandu là où les pratiques agricoles se sont industrialisées au point de devenir les plus impitoyables; là où, pour des motifs d’efficacité et de rendement, l’abomination s’est silencieusement le mieux déployée. C’est donc dans un contexte où l’exploitation des animaux est devenue plus intensive que jamais auparavant que l’éthique animale, comme branche de la philosophie morale, a pris son essor au cours des quarante dernières années. Avec la parution du célèbre ouvrage Animal Liberation de Peter Singer en effet, les débats concernant notre droit d’infliger de la souffrance aux animaux sensibles ont pris une vigueur nouvelle. Les discussions ont également porté sur la légitimité de leur mise à mort, même indolore. Actuellement, les spécialistes de l’éthique animale discutent pour une grande part du problème moral que représente leur instrumentalisation. Reprenant le terme forgé par Richard Ryder, Singer dénonce le spécisme, c’est-à-dire « ce préjugé ou ce parti pris en faveur des intérêts des membres de sa propre espèce, au détriment de ceux des membres d’autres espèces ». Selon lui, le spécisme constitue une discrimination arbitraire comparable au racisme ou au sexisme. Or, la morale exigerait que nous évitions le spécisme et que nous respections le principe de l’égale considération des intérêts, principe s’appliquant à tous ceux qui peuvent être affectés par une décision ou par une action, qu’ils soient humains ou non. Voilà qui jetait les bases de ce qu’allait devenir l’éthique animale. Adoptant une perspective déontologique, Tom Regan soutient par ailleurs que nombre d’animaux – au moins tous ceux qui répondent à sa définition des sujets-d’une-vie – ont une valeur inhérente et méritent autant de respect, pour cette raison, que les êtres humains. Sans être des agents moraux que l’on peut légitimement tenir responsables de leurs actes, les animaux sont des patients moraux, selon Regan, au même titre que certains êtres humains, comme les personnes lourdement handicapées mentalement, les jeunes enfants, les personnes séniles, et tous les autres cas dits marginaux. Comme ces derniers, les animaux dont il est question n’ont pas de devoirs, mais bénéficient néanmoins de droits moraux qui nous interdisent de leur causer du tort et nous obligent à les traiter toujours comme des fins en soi et jamais comme de simples moyens. Les animaux sont certes capables d’actions intentionnelles ou d’agentivité, mais jusqu’à tout récemment, il semblait aller de soi que Regan avait raison de supposer qu’ils ne pouvaient faire preuve d’agentivité morale. Cette supposition est maintenant remise en cause par des auteurs qui contestent une conception jugée trop rationaliste de la moralité et interprètent le comportement de plusieurs animaux non humains de manière à faire ressortir leur capacité à se plier à des normes sociales et à agir en fonction des obligations qu’ils estiment avoir envers leurs semblables. Christiane Bailey plonge au coeur de ce débat. Elle défend, d’une part, que certains animaux sociaux sont capables de ce que Peter F. Strawson appelle des attitudes réactives et sont par conséquent des agents moraux compétents et, d’autre part, que certains êtres humains adultes rationnels devraient occasionnellement être traités comme des agents moraux incompétents. À l’instar de Regan, Gary L. Francione considère que de nombreux animaux ont une valeur inhérente et méritent le respect moral. Selon lui, tous …
La justice animale : de l’éthique à la politique[Notice]
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Valéry Giroux
Centre de recherche en éthiqueJean-Philippe Royer
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