On peut considérer que la philosophie traite des questions trop difficiles pour les autres disciplines : la nature du temps, le rapport entre le corps et l’esprit, la liberté, par exemple. De la même manière, on pourrait dire que l’éthique fondamentale s’occupe des questions trop difficiles pour les différentes branches de l’éthique que sont, par exemple, la bioéthique, l’éthique de l’environnement ou, j’ajouterais, la philosophie politique. L’éthique fondamentale ratisse large. Elle recouvre aussi bien les questions d’éthique normative, qui sont centrées autour de la question de savoir ce qu’il nous faut faire, que les questions plus abstraites de la méta-éthique, qui concernent principalement la nature des jugements moraux ou des jugements de valeurs, leur objectivité, notamment, ainsi que la possibilité de leur justification. Ce serait faux de penser que l’éthique fondamentale est entièrement séparée des problèmes traités dans les différents domaines de l’éthique. Certaines conceptions normatives et certains présupposés méta-éthiques sont sollicités plus ou moins explicitement dans toute réflexion pratique. Mais il faut bien reconnaître que les questions les plus fondamentales en éthiques sont ardues. Ce qui explique sans doute pourquoi il y a si peu de consensus à leur sujet. En effet, les questions d’éthique normative divisent toujours et encore les utilitaristes et autres conséquentialistes des déontologiques et des éthiciens de la vertu. En simplifiant, le conséquentialiste affirme que le seul principe devant guider notre action est celui qui nous demande de promouvoir le bien (ou l’utilité générale pour l’utilitariste), alors que le déontologiste postule un certain nombre de règles morales absolues, comme celle selon laquelle il ne faut pas tuer, tout cela sous l’oeil sceptique de l’éthicien de la vertu, qui pense que ce qui compte, ce n’est pas ce qu’il faut faire, mais plutôt qui nous devrions être. La méta-éthique, quant à elle, est le champ de bataille d’un grand nombre de doctrines s’affrontant les unes les autres : cognitivisme versus non-cognitivisme, réalisme versus non-réalisme, objectivisme versus subjectivisme ou relativisme, etc. Derrières ces termes techniques se cachent des conceptions très différentes de notre pratique. On trouve ceux, qualifiés de cognitivistes, réalistes et objectivistes, pour qui des jugements comme « Il ne faut pas torturer » peuvent être vrais, à la manière de tout jugement ordinaire ; pour qui les faits moraux objectifs peuvent exister, de sorte que l’on peut, avec un peu de chance, découvrir ce qu’il faut faire ou non ; et pour qui, finalement, il est possible d’avancer des justifications en faveur d’une prise de position dans le domaine moral. À l’opposé se regroupent ceux selon lesquels les jugements moraux n’admettent pas plus de valeur de vérité qu’une interjection, comme « hurrah » ; selon lesquels il n’existe pas de fait moraux objectifs ; et selon lesquels la connaissance morale est exclue. Entre ces deux extrêmes, il existe bien sûr toutes sortes de positions moins radicales, cherchant à ménager nos intuitions réputées cognitivistes tout en tentant d’éviter de postuler des objets scientifiquement douteux. Le constructivisme, une doctrine qui jouit d’une popularité grandissante, illustre bien ce genre de tentative, puisque pour un constructiviste, il existerait une sorte de « réalité » morale objective, mais cette dernière serait le fruit d’une construction tout à fait humaine. Une question sur laquelle tous doivent se pencher est celle de savoir comment se positionner par rapport aux résultats empiriques qui nous viennent de disciplines telles que la psychologie sociale, de la neurologie ou de la biologie évolutionniste. L’éthique normative a plus de marge de manoeuvre ici, puisqu’elle peut invoquer la distinction fait/valeur et affirmer que les thèses normatives qu’elle propose sont en large partie immunisées contre les résultats empiriques. L’unique …
Mais où va l’éthique fondamentale ?Introduction[Notice]
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Christine Tappolet
CRÉUM