La migration est un phénomène qu’on ne peut comprendre qu’à partir d’une perspective globale. Les êtres humains se sont toujours déplacés pour améliorer leur sort, c’est-à-dire dès qu’ils ont eu des raisons de croire que le fait d’aller vivre ailleurs leur procurerait de meilleures chances. On s’entend cependant pour admettre que l’ampleur de ce phénomène est aujourd’hui inédite. Certes, seul un faible pourcentage de la population mondiale se déplace encore, à peine 3 %, mais cela représente plus de 214 millions d’individus. Et l’on estime que ce nombre augmentera. Qui plus est, plusieurs de ces individus migrent et continueront de migrer vers les pays riches du Nord dans lesquels la proportion de personnes nés à l’étranger a augmenté de 10% au cours des dernières années. Cette intensification de la mobilité internationale des individus intervient dans un contexte économique dominé par la globalisation néolibérale du monde qui accentue les inégalités entre les pays et où les États riches rivalisent entre eux pour attirer les migrants qualifiés et non qualifiés. Ces circonstances auraient pu inciter les gouvernements à reconnaître la migration comme un phénomène normal que rien ne saurait arrêter et à adapter leurs politiques publiques en conséquence. Mais elles se sont produites à un moment où la souveraineté des États, mise à mal par le développement des technologies de la communication, la densification des réseaux transnationaux, l’émergence d’une multitude de nouveaux acteurs sur la scène internationale et la formation d’entités politiques inédites, effectuait un retour en force. L’obsession de la sécurité, alimentée par les attentats terroristes, la récession économique et le populisme, a en effet servi de prétexte aux États pour resserrer le contrôle de leurs frontières en adoptant des mesures très restrictives qui ont contribué à fragiliser la condition des migrants les plus vulnérables, notamment les irréguliers et les demandeurs d’asile. Cela explique sans doute pourquoi la plupart des débats sur la migration cherchent à déterminer la meilleure manière de contenir les flux migratoires et de garder les migrants à l’extérieur des frontières des États. Or, dans la mesure où l’une des causes principales de la migration est la pauvreté, il est établi au moins depuis les années 40 que le moyen le plus efficace pour atteindre cet objectif est de fournir de l’aide aux États dans le besoin. C’est aussi la solution que prône Ayelet Shachar dans The Birthright Lottery: Citizenship and Global Inequality, un livre qui a le mérite de renouveler le discours normatif en faveur de cette solution. À l’instar des Amartya Sen, Jonathan Wolff et autres Colin Farrelly qui jugent plus important de faire reculer l’injustice dans ce monde que d’établir les conditions idéales de la justice, Shachar commence par reconnaître la réalité du pouvoir de l’État et de ses catégories légales dans la détermination des chances de vie des individus à l’échelle globale. Elle avance ensuite une ingénieuse analogie entre la transmission intergénérationnelle de la citoyenneté par droit de naissance et celle de la propriété privée au Moyen Âge pour en atténuer les effets les plus injustes. Son argument comporte deux volets. Le premier montre que l’allocation de la citoyenneté par droit de naissance a toutes les apparences d’un privilège hérité quand on la compare à l’une des fonctions du droit à la propriété privée qui est de préserver la richesse. La transmission de la citoyenneté par voie « naturelle », entendons par jus sanguinis ou jus soli, prend alors l’allure d’une vaste opération de détournement des ressources mondiales au détriment des plus mal lotis, en l’occurrence ceux qui ne peuvent accéder à la citoyenneté de leur choix et aux chances de vie …
Migration, citoyenneté et inégalités globalesIntroduction[Notice]
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Martin Provencher
Université McGill