Dossier: Normativity and Normative Psychology

La responsabilité et les limites du mal. Variations sur un thème de Strawson[Notice]

  • Gary Watson

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  • Gary Watson
    University of California

Considérer les gens comme des agents responsables n’est évidemment pas simplement une affaire de croyance. Les considérer de cette manière veut dire quelque chose dans la pratique. Cela se manifeste par une étreinte ou un remerciement, par un geste de représailles ou un geste grossier, par un sentiment de ressentiment ou d’obligation, par le fait de présenter des excuses ou d’en demander. Considérer les gens comme des agents responsables, c’est être prêt à les traiter de certaines manières. Dans « Liberté et ressentiment, » Peter Strawson s’efforce de décrire ces différentes manières de traiter autrui, et ce qu’elles présupposent. Comme le suggère son titre, l’attention de Strawson porte en particulier sur des attitudes et des réponses telles que la gratitude et le ressentiment, l’indignation, l’approbation, la culpabilité, la honte, (certaines formes de) la fierté, le sentiment d’avoir été blessé, le pardon (qu’on le demande ou qu’on l’accorde), et (certaines formes de) l’amour. L’ensemble de toutes les théories de la responsabilité morale reconnaît qu’il y a des liens entre le fait d’adopter ces attitudes et celui de se considérer les uns les autres comme responsables. Ce qu’il y a d’original chez Strawson, c’est la manière dont ils sont mis en relation. Alors que traditionnellement, on a considéré que ces attitudes étaient secondaires par rapport au fait de voir les autres comme responsables, qu’elles étaient les corollaires pratiques ou les effets secondaires et émotionnels d’une croyance en la responsabilité qui serait intelligible de manière indépendante, Strawson affirme de manière radicale que ces « attitudes réactives » (comme il les appelle) sont constitutives de la responsabilité morale  ; se considérer soi-même ou considérer autrui comme responsable est simplement la prédisposition à réagir face à soi ou à autrui de ces manières-là, sous certaines conditions. Il n’y a pas de croyance plus fondamentale encore qui fournirait la justification ou la raison d’être de ces réactions. La pratique ne repose pas du tout sur une théorie, mais plutôt sur certains besoins et certaines aversions qui sont fondamentales pour notre conception de ce que c’est qu’être un humain. L’idée qu’il y a, ou qu’il y aurait besoin d’y avoir, un tel fondement indépendant est le point sur lequel, selon Strawson, les conceptions traditionnelles se sont profondément fourvoyées. J’ai longtemps trouvé l’approche de Strawson salutaire et séduisante. Mon objectif ici n’est pas de la défendre en la présentant comme supérieure à ses concurrentes, mais de présenter quelque chose de plus préliminaire. Une évaluation comparative ne saurait être possible sans une meilleure compréhension de ce qu’est la théorie de Strawson (ou une théorie Strawsonienne). Telle que Strawson la présente, la théorie est incomplète à de multiples égards. J’examinerai la question de savoir si et comment on peut remédier à cette incomplétude sur un mode Strawsonien. En définitive, je pense que certains aspects de notre pratique, quand nous tenons quelqu’un pour responsable, se révèlent plus coriaces à traiter même à l’aide de ces remèdes, et que la pratique est moins innocente philosophiquement, que Strawson ne le suppose. J’ai bon espoir que les questions qui seront couvertes par cette étude seront d’une importance suffisante pour attirer l’intérêt de ceux qui, contrairement à moi, n’ont initialement pas particulièrement de sympathie pour l’approche de Strawson. Strawson présente les théories rivales de la sienne comme autant de réponses au problème que pose prima facie le déterminisme. L’une d’entre elles – le conséquentialisme – soutient que le fait de blâmer ou de louer des jugements et des actes doit être compris, et justifié, comme autant de formes de régulation sociale. La question de sa pertinence extensionnelle mise à part, le conséquentialisme semble à …

Parties annexes