Les ateliers de l'éthique
The Ethics Forum
Volume 4, numéro 2, été 2009
Sommaire (18 articles)
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Doing Justice to Recognition
Will Colish
p. 4–15
RésuméEN :
The traditional role of justice is to arbitrate where the good will of people is not enough, if even present, to settle a dispute between the concerned parties. It is a procedural approach that assumes a fractured relationship between those involved. Recognition, at first glance, would not seem to mirror these aspects of justice. Yet recognition is very much a subject of justice these days. The aim of this paper is to question the applicability of justice to the practice of recognition. The methodological orientation of this paper is a Kantian-style critique of the institution of justice, highlighting the limits of its reach and the dangers of overextension. The critique unfolds in the following three steps: 1) There is an immediate appeal to justice as a practice of recognition through its commitment to universality. This allure is shown to be deceptive in providing no prescription for the actual practice of this universality. 2) The interventionist character of justice is designed to address divided relationships. If recognition is only given expression through this channel, then we can only assume division as our starting ground. 3) The outcome of justice in respect to recognition is identification. This identification is left vulnerable to misrecognition itself, creating a cycle of injustice that demands recognition from anew. It seems to be well accepted that recognition is essential to justice, but less clear how to do justice to recognition. This paper is an effort in clarification.
FR :
Le rôle traditionnel de la justice est celui d’arbitrer des situations où la bonne volonté ne suffit pas à régler un différend entre les parties concernées. Il s’agit d’une approche procédurale qui suppose une relation brisée entre les personnes impliquées. La reconnaissance, à première vue, ne semble pas refléter ces caractéristiques de la justice. Pourtant, elle est souvent présentée comme rétablissant une justice entre les parties concernés. Le but de cet article est de s’interroger sur l’applicabilité de la justice à la pratique de la reconnaissance. L’orientation méthodologique de ce papier est inspirée d’une critique kantienne de l’institution de la justice : il s’agit surtout d’en souligner les limites, ainsi que les dangers d’une extension trop large de sa portée. Ma critique se déploie en trois étapes : 1) Certains comprennent la justice en tant que pratique de la reconnaissance, à travers son engagement à l’universalité. Cette perspective est cependant trompeuse car elle ne fournit aucune prescription pour la pratique effective de cette universalité. 2) Le caractère interventionniste de la justice est conçu pour s’appliquer aux rapports antagonistes. Si la reconnaissance est théorisée uniquement à travers ce prisme, le point de départ demeure celui d’une division antagonique. 3) Le but de la justice à l’égard de la reconnaissance est d’obtenir une visibilité. Cette visibilité demeure cependant vulnérable à l’égard du déni de reconnaissance, créant un nouveau cycle d’injustice. Il appert ainsi que si la reconnaissance est essentielle à la justice, il est moins facile de rendre justice à la reconnaissance. Cet article vise à éclairer la relation entre ces deux termes.
Dossier : Le néo-républicanisme
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Sous la direction de Alice Le Goff et Dave Anctil
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Le néo-républicanisme : état des lieux et présentation du dossier
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Le care entre dépendance et domination : l’interêt de la théorie néorépublicaine pour penser une « caring society »
Marie Garrau
p. 25–42
RésuméFR :
L’éthique du care est confrontée à un problème qui a des allures de paradoxe : bien que sa politisation paraisse nécessaire, l’éthique du care ne semble pas pouvoir trouver en elle-même les ressources suffisantes à la formulation d’une théorie politique compréhensive. Il ne semble pas exister de théorie politique du care à part entière. Cet article examine la fécondité d’un rapprochement entre éthique du care et théorie néorépublicaine de la non-domination. Le résultat, non négligeable, serait de garantir des formes importantes de protections aux activités de care, mais il cela n’empêcherait pas nécessairement les représentations négatives de ces activités, dont on peut supposer qu’elle est l’un des facteurs de la marginalisation et de la répartition inégale qui les affecte. Pour bloquer ces représentations dégradantes, il faudrait que le care soit discuté et défini dans l’espace public non seulement comme un lieu possible de la domination, mais comme un aspect fondamental et positif de la vie individuelle et collective.
EN :
The ethics of care is facing a paradox: although politicization seems necessary, the ethics of care does not seem able to find in itself sufficient resources to formulate a comprehensive political theory. There is no political theory of care per se. This article examines the possible and fruitful rapprochement of ethics of care with neorepublican theories of non-domination. The important result would be to guarantee the protection of important forms of care activities, but this would not necessarily block negative portrayals of these activities, which can be assumed of having provoked, at least partly, the marginalization and the uneven distribution that affects these activities. In order to stop these degrading representations, care must be discussed and defined in the public space not only as a possible locus of domination, but as a fundamental and positive aspect of individual and collective lives.
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Le multiculturalisme, un projet républicain ?
Sophie Guérard de Latour
p. 43–54
RésuméFR :
L’appropriation de la thématique du multiculturalisme par les partisans du républicanisme fait l’objet de cet article. Dans un premier temps, il est permis de se demander si l’idée même d’un multiculturalisme républicain fait sens ; mais comme je le montrerai, le refus d’un projet multiculturel républicain est une exception française. Or, chez les penseurs néo-républicains, tels Philip Pettit, John Maynor et Cécile Laborde, le multiculturalisme a reçu une attention particulière. Je montrerai les particularités de chacune de ces approches et en particulier, comment les travaux de Laborde arrivent à résoudre des tensions que la pensée néo-républicaine entretient avec la reconnaissance de la diversité culturelle, en ajoutant une perspective critique à la voie délibérative ouverte par Maynor. L’originalité du multiculturalisme républicain consiste ainsi à rappeler le caractère instrumental de la politisation des identités minoritaires, puisqu’il s’agit à chaque fois de lutter contre l’assignation identitaire que subissent les membres des minorités, et non pas de valoriser publiquement leurs différences.
EN :
The appropriation of the theme of multiculturalism by republican thinkers is the subject of this article. One may start by doubting that the very idea of a republican multiculturalism makes any sense, but as I shall show, the repudiation of any multicultural republican project is a French exception. Neo-republican thinkers such as Philip Pettit, John Maynor and Cécile Laborde have given special attention to multiculturalism. I will investigate the peculiarities of each of these approaches and, in particular, how Laborde resolves the tensions that neo-republicans may entertain with the recognition of cultural diversity, by inserting a critical perspective in the deliberative proposition initiated by Maynor. The originality of a republican multiculturalism is thus to recall the instrumental nature of the politicization of minority identities in the struggle against the ascription of identity faced by minorities, and not to enhance their public differences.
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Préférences décisives et précarité : comment distinguer liberté comme capabilité et liberté comme non-domination ?
Vincent Bourdeau
p. 55–64
RésuméFR :
Cet article se penche sur le rapport de la conception républicaine de la liberté comme non-domination défendue par P. Pettit avec la conception de la liberté comme capabilité proposée par A. Sen. L’usage que fait Pettit de la conception défendue par Sen lui permet d’avancer une conception plus réaliste des préférences des individus en contexte social. Cette définition des « préférences décisives » guide toute sa démonstration de la compatibilité de la liberté comme capabilité avec la théorie néorépublicaine. Elle lui permet en outre de donner une valeur particulière à l’objectif social de lutte contre la précarité, précarité comprise comme situation dans laquelle un individu est placé sous la dépendance arbitraire d’un autre en l’empêchant de se mouvoir à sa guise dans le jeu social. Nous examinons les enjeux de cette articulation à la lumière de la réponse critique qui a été formulée par Sen à l’effet que la conception néorépublicaine limitait trop la pluralité sociale de la liberté. Enfin, nous esquissons une manière de réconcilier l’approche par les capabilités avec la conception républicaine.
EN :
This paper evaluates the compatibility of P. Pettit’s definition of republican freedom as non-domination, with the capability approach championed by A. Sen. Pettit make use of the capability approach in order to develop a more realistic conception of the preferences of individuals in social context. The relative conception of “decisive preferences” supports his demonstration about the compatibility of republican freedom with the capabilities approach. This conception, in particular, gives central value to the social objective of fighting against social precariousness, understood as the arbitrary dependence of an individual towards another which hinders his capacity to move freely in the social world. Sen replied to Pettit that this reading has the effect of limiting the social pluralism of freedom. My discussion of this debate draws an intelligible line of reconciliation between the capability approach and republican freedom.
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La liberté républicaine et la démocratisation du régime international
Dave Anctil
p. 65–80
RésuméFR :
L’idéal républicain de la liberté comme non-domination promu par P. Pettit possède un potentiel intéressant pour penser l’évolution de l’internationalisme. Cet article examine l’enjeu éthique et politique de l’application institutionnelle de la liberté comme non-domination à l’échelle supranationale. Il discute en particulier la thèse de J. Bohman, qui a récemment proposé une interprétation délibérative et cosmopolitique de la conception de la liberté républicaine. Mais le passage de la citoyenneté démocratique nationale à la citoyenneté cosmopolitique, tel que défendu par Bohman, nous semble reposer sur des conceptions trop exigeantes et compréhensives de l’impartialité et de la démocratie. En nous appuyant sur les travaux socio-historiques de S. Sassen et de C. Tilly, nous soutenons que des idéaux normatifs moins exigeants de l’impartialité et de la démocratie gagneraient en réalisme sociologique et en correspondance avec les mécanismes actuellement impliqués dans l’évolution de la coopération internationale et dans la démocratisation des sociétés.
EN :
The republican ideal of freedom as non-domination, as promoted by P. Pettit, offers good grounds for thinking about the evolution of internationalism. This paper evaluates the ethical and political dimensions of freedom as non-domination at the supranational level. I discuss the argument of J. Bohman, who has recently proposed a deliberative and cosmopolitan interpretation of freedom as non-domination. I argue that the move from national democratic citizenship to a cosmopolitan conception of citizenship, as championed by Bohman, is justified by overtly comprehensive and taxing conceptions of impartiality and democracy. I then refer to recent sociological- historical works by S. Sassen and C. Tilly, and argue that less demanding normative conceptions of impartiality and democracy could gain sociological realism and correspondence with the actual evolution of the mechanisms of supranational cooperation and the democratization of societies.
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La reconnaissance entre échange, pouvoirs et institutions : le républicanisme de Philip Pettit
Christian Lazzeri
p. 81–101
RésuméFR :
Cet article propose une lecture critique de l’approche néorépublicaine de la reconnaissance et du projet d’une économie de l’estime, développé par Ph. Pettit et G. Brennan. Il vise à montrer en quoi la conception de la reconnaissance qui est celle de ce dernier est trop étroite, dans la mesure où elle va de pair avec une analyse insuffisante des conditions de la visibilité sociale des performances et capacités des agents, ainsi que de la manière dont les luttes de reconnaissance peuvent contribuer à une telle visibilité. Ce texte montre ainsi en quoi il convient d’élargir la conception néorépublicaine de la reconnaissance. Il vise aussi à dégager les limites du projet d’une économie de l’estime, en montrant ses lacunes eu égard à une réflexion suffisante sur les conditions d’un pluralisme des standards d’estime.
EN :
This article offers a critical analysis of the neorepublican approach of recognition and of the project of an economy of esteem developed by P. Pettit and G. Brennan. I aim to show that Pettit’s approach of recognition is too narrow: as a matter of fact, it lacks a satisfying analysis of the social visibility of agents’ capacities and achievements; it also lacks an analysis of the way in which struggles for recognition can guarantee access to social visibility. I also try to show that the neorepublican conception of recognition needs to be more inclusive. But I also point out the limits of the project of an economy of esteem, in particular how this project lacks an analysis about the conditions of the plurality of norms of esteem.
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Républicanisme et distribution de l’estime sociale : lectures croisées
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Entretien avec Cécile Laborde
Alice Le Goff et Dave Anctil
p. 111–129
RésuméFR :
Cécile Laborde a développé le projet d’un républicanisme critique reposant sur un dialogue entre théorie républicaine normative et théorie sociale critique. Nous proposons ici une présentation et une discussion des principales orientations de ce projet.
EN :
Cécile Laborde has developed the project of a critical republicanism on the basis of a dialogue between republican normative theory and critical social theory. We offer here a presentation and a discussion of the main orientations of that project.
Dossier : Sur la neutralité libérale / On Liberal Neutrality
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Sous la direction de Roberto Merrill et Geneviève Rousselière
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Sur la neutralité libérale : introduction
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Neutrality and the Social Contract
Ian J. Carroll
p. 134–150
RésuméEN :
Given the fact of moral disagreement, theories of state neutrality which rely on moral premises will have limited application, in that they will fail to motivate anyone who rejects the moral premises on which they are based. By contrast, contractarian theories can be consistent with moral scepticism, and can therefore avoid this limitation. In this paper, I construct a contractarian model which I claim is sceptically consistent and includes a principle of state neutrality as a necessary condition. The principle of neutrality which I derive incorporates two conceptions of neutrality (consequential neutrality and justificatory neutrality) which have usually been thought of as distinct and incompatible. I argue that contractarianism gives us a unified account of these conceptions. Ultimately, the conclusion that neutrality can be derived without violating the constraint established by moral scepticism turns out to rely on an assumption of equal precontractual bargaining power. I do not attempt to defend this assumption here. If the assumption cannot be defended in a sceptically consistent fashion, then the argument for neutrality given here is claimed to be morally minimal, rather than fully consistent with moral scepticism.
FR :
L’existence d’un désaccord sur les questions morales fait en sorte que les constructions théoriques de la neutralité de l’État se fondant sur des prémisses morales ne peuvent avoir qu’une application limitée, car elles échouent à motiver quiconque rejette ces prémisses fondatrices. Par opposition, les théories contractualistes peuvent s’accommoder d’un scepticisme moral et peuvent donc éviter cette limitation. Cet article développe un modèle contractualiste compatible avec le scepticisme et qui inclut comme condition nécessaire la neutralité de l’État. Le principe de neutralité que je dérive à partir de ce modèle incorpore deux conceptions de la neutralité, soit la neutralité des conséquences et la neutralité de la justification. Ces deux conceptions sont souvent considérées comme étant distinctes et incompatibles; à l’opposé, je soutiens que le contractualisme peut en rendre compte de manière unifiée. L’opération qui consiste à dériver la neutralité à partir du midèle esquissé, sans violer la contrainte établie par un scepticisme moral, repose en bout de piste sur la supposition d’une égalité précontractuelle du pouvoir de négociation. Or, cette hypothèse n’est pas défendue ici. Si cette hypothèse ne peut être défendue de manière compatible avec le scepticisme, alors l’argument pour la neutralité développé dans cet article est moralement minimal plutôt que pleinement cohérent avec le scepticisme moral.
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Liberal Neutrality: Constructivist, not Foundationalist
Lendell Horne
p. 151–158
RésuméEN :
In defending the principle of neutrality, liberals have often appealed to a more general moral principle that forbids coercing persons in the name of reasons those persons themselves cannot reasonably be expected to share. Yet liberals have struggled to articulate a non-arbitrary, nondogmatic distinction between the reasons that persons can reasonably be expected to share and those they cannot. The reason for this, I argue, is that what it means to “share a reason” is itself obscure. In this paper I articulate two different conceptions of what it is to share a reason; I call these conceptions “foundationalist” and “constructivist.” On the foundationalist view, two people “share” a reason just in the sense that the same reason applies to each of them independently. On this view, I argue, debates about the reasons we share collapse into debates about the reasons we have, moving us no closer to an adequate defense of neutrality. On the constructivist view, by contrast, “sharing reasons” is understood as a kind of activity, and the reasons we must share are just those reasons that make this activity possible. I argue that the constructivist conception of sharing reasons yields a better defense of the principle of neutrality.
FR :
À travers leur défense du principe de neutralité, les libéraux ont souvent interpellé un principe moral plus général qui interdit de contraindre des personnes pour des raisons dont on ne peut raisonnablement attendre que ces personnes elles-mêmes les partagent. Les libéraux éprouvent cependant de la difficulté à articuler une distinction non-arbitraire et non-dogmatique entre les raisons dont on peut raisonnablement attendre que les personnes les partagent et celles dont on ne le peut pas. Je soutiens dans cet article que cette difficulté provient du fait que « partager une raison » est une notion obscure. Pour illustrer cela, je me pencherai sur deux conceptions distinctes de ce que veut dire partager une raison, deux conceptions que je nommerai respectivement « fondationnaliste » et « constructiviste ». Selon la perspective fondationnaliste, deux personnes « partagent » une raison seulement au sens où la même raison s’applique à chacun d’eux indépendamment. Dans cette optique, les débats sur les raisons partagées se ramènent à des débats sur les raisons que nous possédons effectivement, ce qui nous éloigne d’une défense adéquate de la neutralité. Selon la perspective constructiviste, en revanche, on comprend le fait de « partager des raisons » comme une activité particulière, et les raisons que nous devons partager sont les mêmes raisons qui rendent cette activité possible. Je soutiens que la conception constructiviste du partage des raisons nous offre une meilleure défense du principe de neutralité.
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Neutrality as a Twofold Concept
Alexa Zellentin
p. 159–174
RésuméEN :
Under the circumstances of pluralism people often claim that the state ought to be neutral towards its citizens’ conceptions of the good life. However, what it means for the state to be neutral is often unclear. This is partly because there are different conceptions of neutrality and partly because what neutrality entails depends largely on the context in which neutrality is demanded. This paper discusses three different conceptions of neutrality – neutrality of impact, neutrality as equality of opportunity and justificatory neutrality – and analyses the strengths and weaknesses of the different conceptions in different contexts. It suggests that there are two common elements of neutrality in all its exemplifications: a) an element of “hands-off” and b) an element of equal treatment. It therefore argues that while justificatory neutrality is necessary for the state to be neutral it is not sufficient and claims that while conceptions of the good must not enter the justification of state regulations, they must be taken into consideration when deliberating the implementation of these regulations.
FR :
Il n’est pas rare, dans des sociétés pluralistes, que les citoyens exigent de leur État qu’il reste neutre eu égard à leurs conceptions de la vie bonne. Il est cependant rare que la notion de neutralité de l’État soit clairement délimitée. Ce manque de clarté s’explique de deux façons : d’une part, pour la raison qu’il existe plusieurs conceptions de la neutralité et, d’autre part, parce que la neutralité dépend essentiellement du contexte dans lequel celle-ci est requise. Cet article examine trois conceptions différentes de la neutralité - neutralité de l’impact, neutralité comme égalité des opportunités et neutralité de la justification - et analyse les forces et les faiblesses de chacune dans des contextes différents. Cette analyse suggère qu’il existe deux éléments constitutifs de la neutralité, communs à toutes ses différentes illustrations : a) un élément de non-intervention et b) un élément de traitement égal. Ainsi, cet article soutient que même si la neutralité de la justification demeure nécessaire pour assurer la neutralité de l’État, elle n’est pourtant pas suffisante, ce qui permet de soutenir que même si les conceptions de la vie bonne ne doivent pas interférer dans le processus de justification des régulations étatiques, elles doivent néanmoins être prises en considération lors des délibérations de la mise en oeuvre de ces régulations.
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Tolérance et neutralité : incompatibles ou complémentaires ?
Marc Rüegger
p. 175–186
RésuméFR :
La tolérance et la neutralité sont habituellement considérées comme des réponses interchangeables ou du moins complémentaires à des situations de conflit et de désaccord moral. Malgré cette association traditionnelle, plusieurs auteurs ont récemment contesté la complémentarité, voire même la compatibilité, de ces deux notions. Cet article examine tout d’abord deux arguments qui visent à établir l’incompatibilité de la tolérance et de la neutralité. Il montre ensuite que si ces arguments ne sont pas probants, en ce sens qu’ils ne parviennent pas à montrer l’impossibilité d’une conciliation entre tolérance et neutralité, ils mettent néanmoins en évidence deux difficultés qui se dressent sur le chemin d’une telle conciliation. Il introduit enfin une conception particulière de la tolérance fondée sur l’idée de justice et indique comment elle permet de remédier aux difficultés précédemment mises en évidence.
EN :
Toleration and neutrality are usually considered as interchangeable or at least complementary responses to situations of conflict and moral disagreement. However, several authors have recently challenged the complementarity, and even the compatibility, of these two ideas. The paper details this challenge and examines how it can be met. The first part details two arguments against the compatibility of toleration and neutrality. The second shows that if these arguments are not convincing – in the sense that they fail to prove the impossibility of conciliating toleration with neutrality – they nevertheless help us to identify two problems that may prevent such a reconciliation. The third part sketches a justice-based conception of toleration and explains how it enables us to solve the two problems previously identified.
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An Epistemic Argument in Support of Liberal Neutrality
Mariano Garreta Leclercq
p. 187–201
RésuméEN :
My aim in the present paper is to develop a new kind of argument in support of the ideal of liberal neutrality. This argument combines some basic moral principles with a thesis about the relationship between the correct standards of justification for a belief/action and certain contextual factors. The idea is that the level of importance of what is at stake in a specific context of action determines how demanding the correct standards to justify an action based on a specific set of beliefs ought to be. In certain exceptional contexts –where the seriousness of harm in case of mistake and the level of an agent’s responsibility for the outcome of his action are specially high– a very small probability of making a mistake should be recognized as a good reason to avoid to act based on beliefs that we nonetheless affirm with a high degree of confidence and that actually justify our action in other contexts. The further steps of the argument consist in probing 1) that the fundamental state’s policies are such a case of exceptional context, 2) that perfectionist policies are the type of actions we should avoid, and 3) that policies that satisfy neutral standards of justification are not affected by the reasons which lead to reject perfectionist policies.
FR :
L’objectif de cet article est de développer un nouveau type d’argument en faveur de l’idéal la neutralité libérale. Cet argument combine des principes moraux de base à une thèse concernant le rapport entre, d’une part, les standards de justification corrects d’une croyance/action et, d’autre part, certains facteurs contextuels. L’idée de fond est que l’importance de ce dont il est question dans un contexte spécifique d’actions détermine le niveau d’exigence des standards de justification pour une action basée sur un ensemble spécifique de croyances. Dans certains contextes exceptionnels – où l’importance du tort causé en cas d’erreur est grande et où le niveau de responsabilité de l’agent envers ses actions est élevé – une très petite probabilité d’erreur devrait être considérée comme une bonne raison d’éviter d’agir en suivant des croyances que, néanmoins, nous affirmons avec un haut niveau de confiance et qui justifient nos actions dans d’autres contextes. Les étapes de l’argumentation consistent à vérifier que 1) les politiques fondamentales de l’État sont un cas d’un tel type de contexte exceptionnel, 2) les politiques perfectionnistes sont le type d’actions que l’on devrait éviter, et 3) les politiques qui satisfont les standards de justification neutre ne sont pas affectées par les raisons qui nous poussent à rejeter les politiques perfectionnistes.
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Are Cities Illiberal? Municipal Jurisdictions and the Scope of Liberal Neutrality
Patrick Turmel
p. 202–213
RésuméEN :
One of the main characteristics of today’s democratic societies is their pluralism. As a result, liberal political philosophers often claim that the state should remain neutral with respect to different conceptions of the good. Legal and social policies should be acceptable to everyone regardless of their culture, their religion or their comprehensive moral views. One might think that this commitment to neutrality should be especially pronounced in urban centres, with their culturally diverse populations. However, there are a large number of laws and policies adopted at the municipal level that contradict the liberal principle of neutrality. In this paper, I want to suggest that these perfectionist laws and policies are legitimate at the urban level. Specifically, I will argue that the principle of neutrality applies only indirectly to social institutions within the broader framework of the nation-state. This is clear in the case of voluntary associations, but to a certain extent this rationale applies also to cities. In a liberal regime, private associations are allowed to hold and defend perfectionist views, focused on a particular conception of the good life. One problem is to determine the limits of this perfectionism at the urban level, since cities, unlike private associations, are public institutions. My aim here is therefore to give a liberal justification to a limited form of perfectionism of municipal laws and policies.
FR :
Une caractéristique centrale des sociétés libérales démocratiques contemporaines est leur pluralisme. Conséquemment, les philosophes politiques libéraux affirment souvent que l’État devrait demeurer neutre face aux différentes conceptions du bien. Les lois et politiques sociales devraient être acceptables aux yeux de tous, peu importe leur culture, leur religion ou leurs valeurs morales. On pourrait croire que ce principe de neutralité devrait s’appliquer à plus fortes raisons dans les centres urbains, caractérisés par une population culturellement très diversifiée. Il existe pourtant un nombre important de règlements et de politiques à l’échelle municipale qui contredisent ce principe libéral. Dans cet article, nous défendrons l’idée selon laquelle ces lois et politiques perfectionnistes, fondées sur des raisons qui font appel à une vision particulière du bien, trouvent une légitimité libérale à l’échelle urbaine. Nous nous appuierons sur l’idée que le principe de neutralité ne s’applique qu’indirectement aux institutions sociales à l’intérieur du cadre plus large de l’État-nation. Cela est clair dans le cas des associations libres, desquelles l’individu peut en principe sortir à tout moment. Sous un régime libéral, nous présumons en effet qu’au contraire de l’État, les associations libres sont en droit d’afficher et de défendre des idéaux perfectionnistes, fondés sur une conception particulière du bien. Un problème est toutefois de déterminer les limites de ce perfectionnisme à l’échelle urbaine, puisque les juridictions municipales, au contraire des associations privées, demeurent des institutions publiques. L’objectif de cet article est donc d’offrir une justification libérale à une forme limitée de perfectionnisme pour les lois et politiques municipales.
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Perfectionism, Economic (Dis)Incentives, and Political Coercion
Oran Moked
p. 214–225
RésuméEN :
May a government attempt to improve the lives of its citizens by promoting the activities it deems valuable and discouraging those it disvalues? May it engage in such a practice even when doing so is not a requirement of justice in some strict sense, and even when the judgments of value and disvalue in question are likely to be subject to controversy among its citizens? These questions have long stood at the center of debates between political perfectionists and political neutralists. In what follows I address a prominent cluster of arguments against political perfectionism—namely, arguments that focus on the coercive dimensions of state action. My main claim is simple: whatever concerns we might have about coercion, arguments from coercion fall short of supporting a thoroughgoing rejection of perfectionism, for the reason that perfectionist policies need not be coercive. The main body of the paper responds, however, to several neutralist challenges to this last claim.
FR :
Un gouvernement peut-il chercher à améliorer la vie de ses citoyens en encourageant les activités qu’il juge bonnes et en décourageant celles qu’il juge mauvaises? Peut-il s’engager dans une telle pratique, même si cela n’est pas une exigence de justice au sens strict du terme, et même lorsque les jugements de valeur en question sont susceptibles de faire l’objet de controverses parmi ses citoyens ? Ces questions ont longtemps été au centre des débats entre perfectionnistes et neutralistes. Dans ce qui suit j’examine un ensemble important d’arguments contre le perfectionnisme politique, à savoir les arguments qui mettent l’accent sur l’action coercitive de l’État. Ma thèse principale est simple : quelles que soient les préoccupations que nous pourrions avoir eu égard à la coercition, il ne suffit pas d’un argument contre la coercition pour un rejet en profondeur du perfectionnisme, car les politiques perfectionnistes ne doivent pas être nécessairement coercitives. Le point principal de cet article est ainsi une réponse à plusieurs défis neutralistes concernant la coercition de l’État.
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Beyond Equality of What: Sen and neutrality
Christopher Robert Lowry
p. 226–235
RésuméEN :
Based on a close reading of the debate between Rawls and Sen on primary goods versus capabilities, I argue that liberal theory cannot adequately respond to Sen’s critique within a conventionally neutralist framework. In support of the capability approach, I explain why and how it defends a more robust conception of opportunity and freedom, along with public debate on substantive questions about well-being and the good life. My aims are: (i) to show that Sen’s capability approach is at odds with Rawls’s political liberal version of neutrality; (ii) to carve out a third space in the neutrality debate; and (iii) to begin to develop, from Sen’s approach, the idea of public value liberalism as a position that falls within that third space.
FR :
En me basant sur une lecture attentive du débat entre Rawls et Sen sur les biens premiers versus les capabilités, je soutiendrai que la théorie libérale est incapable, dans un cadre neutraliste conventionnel, de répondre adéquatement à des injustices dans le domaine de la santé. À partir de l’approche des capabilités, j’explique pourquoi et comment cette approche permet de défendre une conception plus robuste de l’opportunité et de la liberté, de même qu’un débat public sur des questions substantielles concernant le bien-être et la vie bonne. Mes objectifs sont : (i) de clarifier le rapport entre le neutralisme de Rawls et sa défense des biens premiers, (ii), de démontrer les implications de la critique des capabilités de Sen, et (iii), d’esquisser une troisième position dans le débat sur la neutralité versus le perfectionnisme – à savoir, celle d’un perfectionnisme motivé par des considérations de légitimité.