Les ateliers de l'éthique
The Ethics Forum
Volume 3, numéro 2, automne 2008
Sommaire (8 articles)
Dossier : Le féminisme n’intéresserait-il que les féministes ? / Is Feminism just for Feminists?
-
Sous la direction de Marguerite Deslauriers et Monique Lanoix
-
Introduction
-
A Classification of Feminist Theories
Karen Wendling
p. 8–22
RésuméEN :
In this paper I criticize Alison Jaggar’s descriptions of feminist political theories. I propose an alternative classification of feminist theories that I think more accurately reflects the multiplication of feminist theories and philosophies. There are two main categories, “street theory” and academic theories, each with two sub-divisions, political spectrum and “differences” under street theory, and directly and indirectly political analyses under academic theories. My view explains why there are no radical feminists outside of North America and why there are so few socialist feminists inside North America. I argue, controversially, that radical feminism is a radical version of liberalism. I argue that “difference” feminist theories – theory by and about feminists of colour, queer feminists, feminists with disabilities and so on – belong in a separate sub-category of street theory, because they’ve had profound effects on feminist activism not tracked by traditional left-to-right classifications. Finally, I argue that, while academic feminist theories such as feminist existentialism or feminist sociological theory are generally unconnected to movement activism, they provide important feminist insights that may become important to activists later. I conclude by showing the advantages of my classification over Jaggar’s views.
FR :
Une analyse critique de la description des théories politiques féministes révèle qu’une classification alternative à celle de Jaggar permettrait de répertorier plus adéquatement les différents courants féministes qui ont évolués au cours des dernières décennies. La nouvelle cartographie que nous proposons comprend deux familles de féminisme : activiste et académique. Cette nouvelle manière de localiser et situer les féminismes aide à comprendre pourquoi il n’y a pas de féminisme radical à l’extérieur de l’Amérique du Nord et aussi pourquoi il y a si peu de féministes socialistes en Amérique du Nord. Dans ce nouveau schème, le féminisme de la « différence » devient une sous-catégorie du féminisme activiste car ce courant a eu une influence importante sur le féminisme activiste. Même si les courants de féminisme académique n’ont pas de rapports directs avec les mouvements activistes, ils jouent un rôle important dans l’énonciation et l’élaboration de certaines problématiques qui, ensuite, peuvent s’avérer cruciales pour les activistes. Nous concluons en démontrant que cette nouvelle classification représente plus clairement les différents féminismes et facilite la compréhension de l’évolution du féminisme et des enjeux qui ont influencé le féminisme.
-
The Invisibility of Privilege: A critique of intersectional models of identity
Anna Carastathis
p. 23–38
RésuméEN :
In this paper, I argue that intersectionality, the prevailing way of conceptualizing the relation between axes or systems of oppression (race, class, gender), illicitly imports the very model it purports to overcome: that is, the unitary model of identity. I first define “intersectionality” and distinguish between three senses that are frequently conflated. Then I subject the model to an analytic critique, revealing its hidden presuppositions about identity. Finally, I suggest that solidarity serves as a better norm for feminist practice than inclusion of “difference,” which seems to be the norm underlying many intersectional accounts.
FR :
Dans cet article, je soutiens que « l’intersectionalité », la conception la plus fréquemment acceptée du rapport entre les axes ou entre les systèmes d’oppression (la race, la classe sociale et le genre), s’appuie clandestinement sur le modèle qu’elle prétend surmonter : c’est-à-dire, le modèle unitaire de l’identité. En premier lieu, je présente la définition « d’intersectionalité », et je différencie trois interprétations de ce concept qui sont souvent confondues. Ensuite, je propose une lecture analytique du modèle qui a pour but de révéler des présuppositions qui fondent les notions d’identité. En conclusion, si la norme d’intégration de la « différence » est le fondement de discours intersectionels, je suggère que la solidarité serait préférable à celle-ci pour la pratique féministe.
-
Voiles racialisés : la femme musulmane dans les imaginaires occidentaux
Alia Al-Saji
p. 39–55
RésuméFR :
Cet article étudie deux contextes français dans lesquels les voiles musulmans sont devenus hypervisibles : le débat public qui a mené à la loi française de 2004 interdisant les signes religieux ostensibles dans les écoles publiques, et le projet colonial français de dévoiler les femmes algériennes. Je montre comment le concept de « l’oppression de genre » s’est naturalisé au voile musulman d’une telle manière qu’il justifie les normes de féminités occidentales et cache le mécanisme par lequel les femmes musulmanes sont racialisées. C’est ainsi que le voile devient le point de mire d’un racisme culturel qui se présente comme libérant les femmes musulmanes, un racisme qui semble poser un dilemme au féminisme.
EN :
This paper examines two French contexts in which Muslim veils have become hypervisible as centres of contention: the public debate that led to the recent French law banning conspicuous religious signs in public schools and the French colonial project to unveil Algerian women. I ask how the concept of gender oppression comes to be naturalized to the Muslim veil in such a way as to simultaneously justify Western norms of femininity and hide the process by which Muslim women are racialized. It is in this way, I argue, that the “veil” becomes the focal point for a form of cultural racism that presents itself as saving Muslim women, and that it can be construed to pose a dilemma to feminism.
-
Sollicitude, dépendance et lien social
Monique Lanoix
p. 56–71
RésuméFR :
La croissance de la population vieillissante en Amérique du Nord a un impact significatif sur nos politiques sociales. Ainsi, l’État québécois met à la disposition des personnes âgées une aide afin de faciliter le maintien à domicile. Qui a maintenant la responsabilité de répondre aux besoins des personnes âgées; est-ce la famille ou l’État? Si la réponse peut nous aider à formuler des politiques sociales équitables, elle nous pousse aussi à repenser le lien social à la lumière de la dépendance. Dans un premier temps nous nous pencherons sur l’évolution de l’éthique de la sollicitude pour ensuite analyser les apports des études sur la production du handicap. Puisque la problématique de la dépendance s’avère cruciale dans ce débat, les écrits de deux théoriciens français, Albert Memmi et Bernard Ennuyer, nous aideront à élucider la question de la dépendance. Nous verrons par la suite comment ces divers apports peuvent nous amener à reconceptualiser le lien social.
EN :
In this paper I examine whether care ethics can help to conceptualize a richer social ontology which would include a variety of individuals, not only productive ones, under the auspices of justice. In the first part of the paper, I consider the reasons why care ethics has not had a profound impact in political theorizing. Next I examine the troubled relationship of care ethics and disability. Recent writings on social contract theory, in particular those of Anita Silvers and Leslie Pickering as well as Lawrence Becker, argue that social contract theory can include profoundly disabled individuals and I contrast their proposals with that of care ethicists. By examining critical writings on dependency, I show that a strategy for a more inclusive social space needs to include social structures that recognize dependency as a human reality. I argue that care ethics, even if it may not be critical enough of the foundational concept of dependence, is helpful in understanding the role of the state in facilitating the recognition and the contribution of all persons within society.
-
The Trouble with Inversion: An examination of science and sexual orientation
Rebekah Johnston
p. 72–87
RésuméEN :
Although some are excited about the possibility of using current scientific research into the biological causes of sexual orientation to ground rights claims, I argue that basing rights claims on this research is unwise because this research, specifically the hormonal, genetic, and structural research, is organized around the inversion assumption, a conceptual scheme within which some aspect of the biology of gay men and lesbians is thought to be inverted along sex lines. While there are many reasons to worry about the use of the inversion assumption, I focus on problems that arise from a further set of claims that must be assumed in order to make the use of the inversion assumption coherent. This further set of assumptions includes the claims (1) that heterosexuality is the standard state and that (2) this standard state is sexually-dimorphic and (3) deterministic. I argue that this set of assumptions is problematic because it results in ideological consequences that are both sexist and heterosexist.
FR :
Plusieurs militants et militantes croient que la découverte d’un siège biologique de l’homosexualité permettra aux personnes homosexuelles de revendiquer leurs droits. Cependant, nous estimons qu’il est problématique de fonder ces revendications sur des recherches reposant sur certaines hypothèses qui sont implicites. En particulier, la notion d’inversion (inversion assumption) joue un rôle clef dans ces recherches. Ce qui veut dire que le schème conceptuel qui cadre cette recherche scientifique suppose que certains traits des hommes et des femmes homosexuelles sont inversés. Donc, les mâles homosexuels jouent le rôle de la femelle et les lesbiennes prennent celui du mâle dans la relation de couple. Pour que ce schème soit cohérent, plusieurs autres suppositions doivent être prises pour acquises et nous discutons trois d’entre-elles. En premier lieu, on suppose que l’hétérosexualité est la norme de base; deuxièmement que cette norme est dimorphe et finalement qu’elle est déterminée. Nous arguons que ces suppositions sont non seulement contestables mais qu’elles engendrent des idéologies à la fois sexistes et hétérosexistes.
-
The Power and Promise of Developmental Systems Theory
Letitia Meynell
p. 88–103
RésuméEN :
I argue that it is time for many feminists to rethink their attitudes towards evolutionary biology, not because feminists have been wrong to be deeply sceptical about many of its claims, both explicit and implicit, but because biology itself has changed. A new appreciation for the importance of development in biology has become mainstream and a new ontology, associated with developmental systems theory (DST), has been introduced over the last two decades. This turn challenges some of the features of evolutionary biology that have most troubled feminists. DST undermines the idea of biological essences and challenges both nature/nurture and nature/culture distinctions. Freed from these conceptual constraints, evolutionary biology no longer poses the problems that have justified feminist scepticism. Indeed, feminists have already found useful applications for DST and I argue that they should expand their use of DST to support more radical and wide-ranging political theories.
FR :
Si les féministes n’ont pas eu tort d’être profondément sceptiques face aux nombreuses revendications de la biologie, leur attitude face à cette science doit être remise en question car la biologie s’est transformée au courant des dernières décennies. La « théorie des systèmes de développement » (developmental systems theory-TDS) est une théorie qui s’est considérablement développée et qui a pris beaucoup d’ampleur. Cette théorie n’accepte pas le concept d’essence biologique ce qui pose un défi important à la distinction nature/culture. Une des conséquences de cet apport théorique est que le scepticisme des féministes face à la biologie de l’évolution n’est plus justifié car la biologie ne comporte plus les contraintes essentialistes qui s’avéraient contentieuses. En effet, certaines féministes ont déjà trouvé des applications utiles pour la TDS et nous avançons que les féministes doivent maintenant élargir l’utilisation de la TDS car la portée de celleci pourrait être significative dans d’autres domaines tel celui de la théorie politique.
-
Perspectives féministes en éthique des relations internationales
Ryoa Chung
p. 104–117
RésuméFR :
Dans le cadre de cet article, je veux démontrer la nécessité de développer et d’incorporer les perspectives féministes dans le champ de l’éthique des relations internationales à travers l’examen des contributions respectives de J. A. Tickner, C. MacKinnon, S. Ruddick et M. Nussbaum. Mon hypothèse générale consiste à arguer que la force critique des perspectives féministes en théorie politique représente non seulement une ouverture épistémologique incontournable, mais que celles-ci ouvrent la voie à des méthodes d’investigation et de conceptualisation que l’on doit explorer en vue d’enrichir les théories de justice globale d’une portée pratique plus grande.
EN :
This paper aims to demonstrate the necessity of developing and incorporating feminist perspectives in the field of international ethics, through the examination of important contributions of J. A. Tickner, C. MacKinnon, S. Ruddick and M. Nussbaum. My general hypothesis argues that the critical impact of feminist perspectives in political theory consists not only in the epistemological avenue that they open, but that their methods of investigation and of conceptualization must be thoroughly explored in order to enrich theories of global justice of a greater practical scope.