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Gensburger Sarah, 2023, Qui pose les questions mémorielles ? Paris, CNRS Éditions, 328 p.[Notice]

  • Justine Biancotto

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  • Justine Biancotto
    Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires, Centre d’anthropologie sociale, Université de Toulouse Jean Jaurès, Toulouse, France

En couverture du dernier ouvrage de Sarah Gensburger figure une photo du monument l’« Anneau de la mémoire de Notre-Dame-de-Lorette », l’un des hauts lieux de la mémoire nationale française commémorant la Première Guerre mondiale. On y observe une voie dallée bornée d’immenses panneaux où figurent des centaines de milliers de noms de soldats tombés lors de la Grande Guerre. Le cliché, pris à taille humaine comme si l’on s’y promenait, esquisse un itinéraire balisé qui se courbe et fuit vers l’avant, telle une invitation pour le lecteur à progresser au sein du monument… à moins qu’il s’agisse plutôt d’en sortir. Le titre, Qui pose les questions mémorielles ? nous renseigne alors sur le chemin que la sociologue et politiste Sarah Gensburger nous propose ici d’emprunter : celui des coulisses des initiatives mémorielles, au plus près des acteurs qui parlent, agissent et dessinent les contours d’un domaine d’action politique rattaché à la mémoire et aux commémorations. L’ouvrage est consacré aux liens complexes qui unissent État, société et mémoire dans le cas français. À partir d’une enquête multi-située, diachronique et multiscalaire, l’auteure étudie la mise en oeuvre de politiques publiques axées sur la thématique mémorielle entre 2007 et 2017. L’objectif principal de la sociologue est de prendre à rebours le présupposé martelé à l’envi par les discours politiques — mais aussi scientifiques — et présentant l’État comme un « simple acteur en réaction » (p. 11) à une demande de mémoire émanant de différents groupes sociaux. L’autre voie ouverte ici par Sarah Gensburger est de placer l’État au coeur de l’analyse du phénomène mémoriel « en action », soit d’examiner les « manières concrètes dont les administrations et les gouvernements mettent en oeuvre des politiques publiques dans ce domaine » (p. 12). La démonstration vise à inverser la doxa plaçant l’origine des « questions mémorielles » au sein de communautés en concurrence sur le sens à donner au passé, vers un ensemble d’acteurs institutionnels pour qui la mémoire est avant tout un « créneau » à investir pour légitimer des actions liées à l’organisation interne de l’État et à sa gestion de l’ordre social. L’auteure montre ainsi en quoi les politiques de mémoire relèvent davantage du domaine de la « gouvernance » que de celui de la « connaissance » : « Il ne s’agit pas de faire savoir, mais d’orienter les rapports sociaux entre gouvernants et gouvernés » (p. 70). L’analyse se fonde sur trois méthodes : des ethnographies, un travail de dépouillement d’archives et l’examen de données macrosociologiques. Les cinq chapitres de l’ouvrage intercalent différents niveaux d’observation : l’État central (I ; II), les pouvoirs locaux (III ; IV) et les publics (V). C’est grâce à cette variation d’échelle que sont mis au jour les liens entre les actions mémorielles et les transformations structurelles de l’État français contemporain (démilitarisation, dénationalisation, tension entre État-nation et État multiculturel, etc.). À la fin de l’ouvrage, l’auteure appelle de ses voeux un programme de recherche axé sur l’attention au caractère transnational et globalisé de la mémoire. C’est alors à ce dernier moment — et c’est là peut-être un regret qui peut être ressenti lors de la lecture, alors même que la « mémoire » et l’« État » font l’objet d’un cadrage définitionnel serré dès l’introduction — qu’apparaît pour la première fois explicitement ce que l’auteure entend par « régime mémoriel », soit « [l’]agrégation de variables qui permet de comprendre le type d’articulation entre État, mémoire et société » (p. 267). Les dernières pages font état de ces « variables » que l’enquête a mises au jour et de l’apport du cas …

Parties annexes