Arena Francesca, Véronique Dasen, Yasmina Foehr-Janssens, Irene Maffi et Daniela Solfaroli Camillocci (dir.), 2023, Allaiter de l’Antiquité à nos jours. Histoire et pratiques d’une culture en Europe. Turnhout, Brepols, 989 p.

La thématique choisie est au coeur des réflexions, des préoccupations et des débats actuels sur la reproduction, la maternité et la santé des femmes et des nouveau-nés, profondément marqués par des tensions politiques, économiques et religieuses, tant la charge symbolique est forte au sein des sociétés humaines. Mêlant réflexions artistiques et anthropologiques, ainsi que médicales et sur la religion, aux investigations historiques, archéologiques et philologiques, cet ouvrage est constitué d’une documentation iconographique particulièrement riche illustrant des articles qui abordent des recherches inédites ou proposent des synthèses interprétatives spécifiques. Des accents indispensables permettent également d’approfondir certains aspects. L’ensemble livre un véritable outil pour la recherche, mais également un moyen indispensable pour la divulgation scientifique ; la présence d’un index des noms à la fin de l’ouvrage participe de cette efficacité. La qualité et la diversité de l’iconographie qui accompagne le discours scientifique méritent également d’être soulignées. Quatre thématiques (débats, transfert, corps et produits, actrices et acteurs) présentent au total soixante-quatorze contributions traitant le sujet, de l’Antiquité à la période contemporaine, lesquelles sont précédées d’un avant-propos du comité de direction de la publication et suivies d’une postface de Micheline Louis-Courvoisier. Il est impossible de détailler spécifiquement chaque étude proposée dans le cadre limité de ce compte rendu, mais un panorama global de l’ouvrage peut être brossé. L’espace géographique circonscrit correspond à l’Europe, entendu comme entité continentale, mais aussi dans son extension territoriale ultra-marine (l’île de La Réunion pour la France). L’Allemagne, la France, l’Italie, la Grèce, l’Espagne, les Pays-Bas et l’Autriche sont donc au coeur des contributions proposées, mais, en raison des origines de ce projet collectif, la Suisse fait l’objet de plusieurs études spécifiques. Des comparaisons ciblées, avec d’autres territoires voisins, sont également présentes, notamment avec l’Égypte et la Turquie (Éphèse), en raison de leur appartenance aux anciens territoires de l’Empire romain et donc marqués par une même civilisation antique et des influences culturelles communes. La première partie, « Débats », correspond à une large introduction historiographique et méthodologique sur l’allaitement dans le domaine des sciences humaines et sociales, alimentée par les résultats récents obtenus grâce aux études de genre, obligeant désormais à envisager le sujet de façon plus vaste que le simple clivage longtemps opéré entre culture et nature. La deuxième section, « Transferts », a pour objectif de montrer les liens entre le nourrissage au lait et, de facto, la survalorisation du devoir maternel incombant à la femme, notamment à travers les représentations sociales et religieuses de ces transactions, à la fois économiques et symboliques. La troisième et avant-dernière partie, « Corps et produits », s’intéresse aux représentations esthétiques et intellectuelles apposées sur les corps et la pratique de l’allaitement, notamment les propriétés spécifiquement associées au lait. Enfin, l’ultime section, « Actrices et acteurs », approfondit la question de discours et de la relation au geste de l’allaitement selon les classes sociales, en se concentrant sur les différents acteurs concernés, de près ou de loin : mères et pères, ainsi que les nourrices, médecins et sages-femmes. En proposant un développement plus complexe, dépassant les approches binaires habituelles qui réduisent le corps féminin à son seul rôle maternel, tel que femme/mère et nature/culture, le présent ouvrage constitue une somme considérable, et désormais incontournable, d’informations sur l’histoire de la maternité et de ses pratiques en Europe, traitées sous différents angles (biologiques, physiologiques, sociaux, politiques, symboliques ou matériels) et sur le temps long, de l’Antiquité à la période contemporaine.