Kovač Uroš, 2022, The Precarity of Masculinity. Football, Pentecostalism, and Transnational Aspirations in Cameroon. New York, Berghahn, 220 p.

Ce livre est consacré aux jeunes hommes camerounais que les aspirations à un futur meilleur et la disposition à migrer poussent à s’engager sur le marché incertain du football (soccer) globalisé. L’anthropologue Uroš Kovač (Université de Groningen) remet en question la place croissante du pentecôtisme parmi les footballeurs qui s’entraînent sur les terrains du sud-ouest du Cameroun anglophone et qui aspirent à jouer au haut niveau en Europe. L’auteur soutient que la foi et la morale pentecôtistes jouent un rôle clé dans la façon dont ces jeunes gèrent les incertitudes structurelles du contexte de crise prolongée au Cameroun depuis les réformes néolibérales des années 1990. Au fil des cinq chapitres, qui naviguent entre l’anthropologie du sport, du genre, de la religion, de la jeunesse et de la migration, l’auteur dévoile une convergence entre la morale pentecôtiste et les attentes des managers du football contemporain. Ces derniers valorisent une masculinité caractérisée par la persévérance et la souffrance, où le joueur endosse toute la responsabilité de son éventuel échec. La discipline pentecôtiste, qui vise la fabrication d’un homme modeste renonçant aux débauches, fournit un régime moral et corporel qui permet aux joueurs de répondre aux exigences dictées par le marché transnational du football. Autrement dit, le pentecôtisme prépare les jeunes à devenir des adultes dans un monde capitaliste caractérisé par la précarité, à travers cette forme alternative de masculinité. Avant de mentionner certains des apports théoriques de cet ouvrage, arrêtons-nous sur la méthodologie. Au cours d’une ethnographie d’une année dans la région du sud-ouest du Cameroun, suivie de quelques visites auprès de footballeurs qui ont réussi à migrer en Europe, l’anthropologue s’est lui-même entraîné dans une académie de football. Les relations de confiance ainsi instaurées ont donné à l’auteur un accès privilégié à des récits intimes, comme ceux relatifs aux comportements sexuels des jeunes (chapitre 5). De plus, l’auteur fait des discours de ses interlocuteurs autour des masculinités « villageoise » et « urbaine » des idéal-types heuristiques. Tout en faisant place aux perceptions locales, Kovač s’interroge de façon critique sur les conditions structurelles qui les rendent possibles. Il reconnaît, par exemple, que les nouvelles opportunités, perçues par les jeunes et leurs familles, de réaliser leur futur en jouant un « beau » football, cachent en réalité des risques majeurs d’échec (p. 83-85). Ou encore il démontre que les notions de genre « peuvent masquer les conséquences » des bouleversements socio-économiques qui limitent le futur des jeunes hommes (p. 15-16). Sa première contribution théorique se situe dans les débats autour des temporalités dans l’après-ajustement structurel. L’auteur reconnaît la « capacité à aspirer » (Appadurai 2013) des jeunes camerounais, sans la romantiser, contrairement à une partie de l’anthropologie du futur. En effet, à côté de l’aspiration, Kovač identifie sur son terrain le développement dans les centres d’entraînement d’une « capacité à souffrir », caractéristique, selon lui, du sujet néolibéral ; il converge ainsi avec d’autres travaux qui considèrent le religieux comme un lieu de production d’un individu compatible au monde néolibéral (García-Ruiz et Michel 2021). L’auteur paraît notamment proche de la thèse de Jane Guyer (2007), qui avait observé une rencontre entre temporalité néolibérale et temporalité pentecôtiste selon laquelle l’individu persévère devant les promesses d’un futur lointain. Toutefois, d’après Kovač, cette demande du marché néolibéral du sport de « renoncer aux obligations du présent » (p. 50) est en tension avec celle des obligations financières de la part des parents. On en vient à un autre apport de cet ouvrage, qui offre une remarquable étude sur le rôle social du pentecôtisme au-delà des frontières de l’Église. Étant donné que les footballeurs ne fréquentent …