Yvan Simonis a été professeur au Département d’anthropologie de l’Université Laval de 1973 à 1999. Le département ayant été créé en 1970, Yvan a donc fait partie de la génération des artisans du département qui ont su en faire un lieu dynamique et le plus grand département d’anthropologie sociale et culturelle francophone en Amérique du Nord. Yvan en a été le directeur de 1978 à 1981. Son legs le plus important, non seulement au département, mais à l’anthropologie au Québec et à la discipline, est sans conteste la revue Anthropologie et Sociétés qu’il a fondée en 1977 et dont il a assuré la direction de 1977 à 1988. Son collègue et ami, Mikhaël Elbaz, a ensuite pris la relève. Depuis ses débuts, et grâce à la vision et au travail acharné d’Yvan, Anthropologie et Sociétés connaît un rayonnement international. Elle n’en est pas moins une revue ancrée au Québec, le reflet d’une anthropologie québécoise au carrefour des traditions française, britannique et américaine, et résolument francophone. En 2027, nous en soulignerons le 50e anniversaire. J’ai connu Yvan d’abord comme étudiante, puis comme collègue et comme amie, avec sa conjointe de toute une vie, Marie-Hélène. Yvan et moi sommes d’ailleurs arrivés au département la même année, en 1973, où je débutais mon baccalauréat en anthropologie. Yvan était un pédagogue, dans le sens classique du terme. Il voulait transmettre aux étudiants le goût de la réflexion et du travail intellectuel ; il aimait placer les étudiants face à des dilemmes, des paradoxes et des questions d’ordre théorique et épistémologique complexes. Il était imposant par sa stature et son érudition, mais jamais hautain. Pour les étudiants, même si nous nous sentions intimidés au début, nous réalisions rapidement à quel point il était accessible, généreux et chaleureux, un homme d’une grande simplicité et d’une sincérité touchante. Je dirais que l’enseignement était pour lui davantage un acte de transmission que de formation. La transmission a d’ailleurs été l’un des fils conducteurs de ses recherches. Voici ce qu’il disait en 2003, dans un entretien accordé à Florence Piron, à propos de la transmission et des jeunes : Yvan était un penseur et un théoricien. Les débats d’idées l’animaient et le nourrissaient. Il est impossible de résumer sa pensée et son cheminement intellectuel en quelques mots. De toute façon, je n’en aurais pas la prétention, et ceci, d’autant plus que la question au fondement de sa réflexion qui l’aura animé sa vie durant était la suivante : « Qu’est-ce qu’être humain ? » Rien de moins ! Il était un penseur-frontière et un penseur de la frontière. Au fil de sa carrière, il a su faire dialoguer la philosophie, l’anthropologie et la psychanalyse. Depuis son ouvrage, devenu un classique, Claude Lévi-Strauss ou « la passion de l’inceste », paru en 1968, il n’a eu de cesse d’interroger l’émergence et l’expression de la pensée symbolique ainsi que le paradoxe au fondement des relations entre le sujet humain et les institutions, les responsabilités et les marges d’actions des uns et des autres envers le collectif et la reproduction du social. Yvan avait de sérieuses réserves face au projet déshumanisant de gestion et de contrôle porté par la modernité, l’État et les sociétés post-industrielles. Aux côtés d’autres penseurs, trop nombreux pour être nommés ici, il explorait les avenues pour réhumaniser notre monde. Florence Piron, qui a été l’une de ses étudiantes au doctorat et qui lui a consacré, en 2003, un numéro de la revue Anthropologie et Sociétés intitulé « Déshumanisation/réhumanisation », avait qualifié cette démarche « d’un optimisme éclairé et prudent » (Piron 2003 : 8). Au sein …
Hommage à Yvan Simonis (1936-2024)[Notice]
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Sylvie Poirier
Département d’anthropologie, Université Laval, Québec (Québec), Canada