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Saillant Francine, 2023, Sous le signe des pluralités. Québec, Presses de l’Université Laval, 208 p.

  • Nicole Lapierre

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  • Nicole Lapierre
    Directrice de recherche émérite au CNRS, Laboratoire d’anthropologie politique, Paris, France

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Couverture de La situation coloniale à la lumière des archives, Volume 48, numéro 1, 2024, p. 15-318, Anthropologie et Sociétés

La tentation de toute autobiographie intellectuelle est évidemment ce que Pierre Bourdieu a appelé « l’illusion biographique », qui consiste à construire rétrospectivement la cohérence logique d’un parcours. L’ouvrage de Francine Saillant, Sous le signe des pluralités, y échappe très largement. Certes, l’autrice repère, de ses premières expériences de la différence dans l’enfance à ses recherches les plus récents sur l’interculturalité, en passant par ses nombreux travaux et terrains proches ou lointains, un intérêt obstiné pour l’altérité que l’on peut considérer comme la première qualité, sinon la vocation, des anthropologues. Mais elle restitue en même temps un itinéraire très singulier, construit en marchant, au gré des rencontres, des découvertes intellectuelles, des opportunités de recherche, bref une histoire où rien n’était écrit d’avance. Dans une famille modeste de la Basse-Ville de Québec comme celle où elle est née, une fille n’étudiait pas la philosophie à l’université, en dépit de ses capacités et de ses envies : elle apprenait un métier pour gagner sa vie. Ce fut donc celui d’infirmière. En travaillant dans un service hospitalier de psychiatrie, elle a découvert la souffrance et le mode d’existence autre de la folie. À cette époque (le début des années 1970), l’univers asilaire et son fonctionnement étaient violents, cependant des théories critiques émergeaient à son sujet, notamment l’antipsychiatrie, qui prônait de nouvelles formes de prise en charge de la maladie mentale et une désinstitutionnalisation des patients. L’influence de ce courant, mais également la lecture des travaux d’anthropologues comme ceux de Ruth Benedict ou de Roger Bastide, qui inscrivaient la folie dans les normes et pathologies sociales, l’orientèrent vers l’ethnopsychiatrie et l’université, enfin ! En même temps, elle écrivait déjà de la poésie, comme une autre façon de saisir et d’exprimer les pluralités du monde. Non sans entendre d’abord ce que les autres ont à dire. De l’expérience de la psychiatrie à celle de la cancérologie, à l’écoute des patients et des soignants confrontés à la mort, Francine Saillant a inauguré une anthropologie clinique fondée sur les théories interprétatives, explorant les liens et les pratiques du soin et portant attention à leur dimension genrée. À la croisée du care et des questions de droits, elle a ensuite travaillé sur l’humanitaire, ses discours, ses pratiques, mais aussi le point de vue de celles et ceux qui en sont les destinataires, tant au Québec auprès des migrants qu’au Brésil avec l’association Handicap International. Ce qui l’a conduite à analyser de façon novatrice la question de la vulnérabilité, et plus tard, à travailler sur le mouvement noir brésilien et la question des réparations, dans une approche collaborative, et jamais en surplomb, dans laquelle la connaissance est co-construite avec les personnes concernées. Ceci en mettant en évidence la façon dont manifestations culturelles, demandes de reconnaissance et revendications démocratiques s’articulent dans l’espace public, notamment par le moyen du film. On l’aura compris, l’itinéraire de Francine Saillant franchit les frontières et dépasse les cadres imposés. Scientifiquement irréprochable, ayant finalement eu d’importantes responsabilités dans l’université, ayant réfléchi avec d’autres à l’avenir d’une anthropologie non hégémonique dans un monde globalisé, elle ne s’est pas pour autant enfermée dans une stricte perspective académique. Chercheuse, poète, artiste plasticienne, réalisatrice de documentaires, jamais elle ne s’est interdit, bien au contraire, d’intervenir en tant qu’intellectuelle dans la cité, qu’il s’agisse d’engagements féministes ou sur les questions de reconnaissance des populations minoritaires et marginalisées. Cette attention généreuse aux autres se retrouve dans cet ouvrage où elle exprime sa reconnaissance à l’égard de celles et ceux qui ont joué un rôle dans l’élaboration de son travail, qu’il s’agisse d’ouvrages lus, de rencontres ou de travaux en commun, tant …