Pour tenter de construire « une image globale de la musique des Inuit, de l’Alaska au Groenland, sans effacer pour autant de particularités régionales » (p. 46), l’auteur compare les différents genres, organisés en deux grands ensembles. Le premier est celui des pisiit, monodies festives accompagnées au tambour (qilaut), dont la taille augmente d’ouest en est, caractérisées par le refrain aya ya (chapitre 2 à 7). Une analyse minutieuse en est fournie, de la composition des chants comme du vocabulaire des techniques et des chorégraphies exécutées au tambour. Le second ensemble est celui des jeux « haletés », lui-même divisé entre les jeux vocaux ne faisant pas intervenir de sons de gorge, et les katajjait, jeux de gorge pratiqués par les femmes (chapitre 9). Quelques exemples démontrent l’existence d’une structure d’accueil et leur organisation en deux « chaînes » sonores perçues comme homogènes, bien que produites alternativement par les deux chanteuses (p. 345). De plus, une grande attention est accordée à la diversité des usages ordinaires de la composition musicale inuit, par exemple des pisiit pour transmettre un événement mémorable (p. 276), ou des kattajait comme outils pédagogiques pour apprendre aux enfants à respirer ou à aiguiser leur intelligence (p. 329). Le chapitre 8 est consacré aux « petits chants », monodies non accompagnées de tambour, exécutées dans un contexte domestique. À travers ces chapitres, nous suivons différentes dynamiques historiques : la reconstitution du contexte traditionnel du qaggiq (igloo cérémoniel du Nunavut et du Nunavik), la dimension musicale de l’évangélisation, qui mit fin à la dominance de l’échelle pentatonique (p. 400), l’influence des musiques de baleiniers sur les chants et l’organologie inuit (accordéon, viole, guimbarde), ou la standardisation de certains répertoires de chants. Les synthèses des chapitres 10 et 11 reposent sur une démarche phylogénétique, selon la méthode de la linguistique historique (p. 421), proposant que les danses à tambours et les jeux de gorge proviennent d’un substrat commun, il y a « au moins mille ans » (p. 427), et présentent ainsi des similitudes morphologiques et fonctionnelles : la compétition/collaboration, et l’activité chamanique ou propitiatoire, dont l’auteur fait « la pierre angulaire » de la musique inuit, comme le rappelle l’épigraphe du livre. Cela offre de penser ensemble rituels et jeux, qui peuvent être également propitiatoires ou évoquer des êtres invisibles. On peut interroger le mouvement général de l’ouvrage qui fait de ce contexte chamanique un signifié perdu de la musique inuit, qui serait devenue du seul divertissement (p. 427). Dans le chapitre 2, l’auteur distingue les rituels propitiatoires et ceux attachés à la « renégociation de la relation entre les gens » (p. 72). Pourquoi ne pas faire de celle-ci un signifié transversal et capable de s’actualiser, dont le chamanisme serait un cas limite, s’agissant d’une forme instable et source de conflit (Laugrand 2006) ? Le choix s’explique par le fait que l’auteur privilégie une démarche muséographique orientée vers la reconstitution de la dimension rituelle de la musique. En terminant, mentionnons que cette démarche est illustrée à travers une riche iconographie (masques, estampes, sculptures), qui étend le phénomène musical aux perceptions inuit de la musique — témoignages historiques ou visions artistiques — et offre un accès remarquable aux relations entre les significations des sons et des gestes rituels.
Parties annexes
Références
- Laugrand F., 2006, « “Angakkuuniq” et “ilisiiqsiniq”. Réflexions préliminaires sur l’agression chamanique chez les Inuit du Nord canadien », Civilisations. Revue internationale d’anthropologie et de sciences humaines, 55 : 13-33.
- Nattiez J.-J., 1977, « À quelles conditions peut-on parler d’universaux de la musique ? », The World of Music, 19, 1/2 : 106-116.