Chaque chapitre présente ainsi des données ethnographiques qualitatives issues de terrains variés : un bar gay dans le quartier de Shinjuku Ni-chôme à Tokyo (Marcello Francioni, chapitre 2), une agence d’escortes travestis dans le quartier d’Akihabara à Tokyo (Marta Fanasca, chapitre 3), un magasin qui vend des prestations à caractère sexuel dans le quartier d’Uguisudani à Tokyo (Nicola Phillips, chapitre 4), des rencontres pour les femmes admiratrices d’acteurs masculins de film pornographique (Maiko Kodaka, chapitre 5), l’espace utilisé par les chanteurs et les musiciens de rue (Robert Simpkins, chapitre 6), les parcours de vie des personnes trans dans la région du Kansai qui englobe Kyoto et Osaka (Lyman R. T. Gamberton, chapitre 7). L’intérêt de ces données qualitatives est double : outre un kaléidoscope des déclinaisons du genre dans le Japon des années 2010 et 2020, le lectorat peut prendre conscience du travail des anthropologues investis dans des terrains qui mettent en jeu de façon concrète l’intimité et la sexualité, y compris lorsque les auteurs travaillent avec leur corps et leur genre, notamment à travers le travestissement et la transidentité. La méthodologie, abordée dans chacun des chapitres présentant un travail de terrain, permet d’évaluer la réflexivité nécessaire pour ne pas tomber dans l’écueil d’un double orientalisme, à savoir la vision « orientalisée » de la sexualité de ce pays « exotique » qu’est le Japon. En filigrane se dessine une question récurrente au sein des études japonaises : comment l’anthropologue non japonais peut-il apporter un travail original à la recherche menée dans l’archipel ? Les réflexions méthodologiques des différents auteurs montrent les difficultés de la tâche : utiliser les outils et les matériaux des deux traditions universitaires afin de dialoguer avec les représentants de la recherche japonaise. Ce miroir tendu par des japonologues de différentes nationalités nous fait ainsi réfléchir sur les aspects de genre et de sexualité propres aux différentes cultures. L’originalité des terrains et la présentation par chapitrage, de lecture agréable, permettent de présenter à un lectorat anglophone l’état actuel de la recherche sur le genre, l’intimité, la sexualité, la pornographie, la prostitution, la vente de services sexuels, les espaces de vie des personnes LGBT du Japon contemporain. La complémentarité des réflexions et les thèmes explorés par les différents chapitres reflètent le fruit de ce travail d’écriture mené après la tenue d’un panel à l’Université de Newcastle en 2018. Ce livre valorise ainsi les travaux de qualité de ces jeunes chercheurs et présente des données ethnographiques récentes. À travers les bibliographies, on peut saluer l’effort de diffusion et de traduction de la recherche de chercheurs italiens, danois et japonais dont la langue maternelle n’est pas l’anglais, et regretter le fait que la production en sciences sociales japonaises ne soit pas plus traduite et diffusée dans des langues autres que l’anglais. Cet ouvrage sera utile pour tout lecteur curieux d’en savoir plus sur le Japon, mais aussi pour les anthropologues qui sont amenés à mettre en jeu leur genre sur les terrains, et enfin, pour tous les spécialistes du genre ou du Japon. Les déclinaisons du « travail de genre » qu’on y trouve permettent d’enrichir la compréhension du genre. Enfin, ce livre nous invite à réfléchir à la disjonction entre intimité conjugale et intimité consommée à l’extérieur de la cellule familiale japonaise. Cet élément permet par exemple de replacer les difficultés actuelles de la judiciarisation des mouvements LGBT au Japon, à travers la non-reconnaissance politique et juridique de la légitimité d’un mariage entre personnes de même sexe.
Hansen Gitte Marianne et Fabio Gygi (dir.), 2022, The Work of Gender. Service, Performance and Fantasy in Contemporary Japan. Copenhague, Nordic Institute of Asian Studies Press, coll. « Gendering Asia ».
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Aline Henninger
Département de Langues étrangères appliquées, UFR LLSH, Université d’Orléans, Orléans, France
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