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Cet ouvrage collectif est le résultat des échanges développés dans le cadre du colloque « Perspectives sociales et théoriques sur la vérité, la justice et la réconciliation dans les Amériques », organisé par le Centre de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté (CRIEC) et tenu à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), les 25 et 26 avril 2018. L’ouvrage a été dirigé par Leila Celis, professeure au département de sociologie à l’UQAM et directrice du CRIEC, et Martin Hébert, professeur au département d’anthropologie de l’Université Laval et ancien directeur du Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones (CIERA).
L’objectif principal de l’ouvrage consiste à réaliser « […] un état des débats concernant les politiques de vérité sur des crimes et violations des droits de la personne commis dans des contextes de violence endémique et systémique » (p. 4). L’ouvrage est divisé en deux parties et aborde différents thèmes et contextes dans les Amériques; la Partie I est consacrée aux cas canadiens et notamment les abus commis dans les pensionnats autochtones ; la Partie II, sur l’Amérique latine porte sur la persistance des discriminations et des violences dans l’ère post-conflits civils.
En partant d’une approche interdisciplinaire, cet ouvrage traite de la question des mémoires sociales post-conflits et des processus de réconciliation dans les Amériques d’une façon assez originale et holistique. Justement, une des forces de ce livre est qu’il compile différents recherches et projets menés non seulement par des anthropologues, des sociologues et des académiciens des sciences sociales, mais aussi par des cinéastes, des défenseurs des droits de la personne, des membres d’organisations de femmes et des militants autochtones. Cette panoplie de points de vue nous permet de concevoir des représentations plus larges sur les mémoires des personnes marginalisées et de mettre de l’avant l’intersectionnalité des violences et des discriminations subies par les groupes subalternes.
À grands traits, les 11 chapitres de cet ouvrage visent à démontrer que les processus de réconciliation et de justice sociale doivent inévitablement prendre en compte les mémoires des personnes ayant subi des violences systémiques. Le maintien et la défense des mémoires des subalternes apparaissent donc comme une condition nécessaire, afin que les sociétés des Amériques puissent aller de l’avant, reformer leurs projets sociaux et politiques, et surpasser la persistance des traits coloniaux dans leurs institutions. De ce fait, plusieurs des articles présentés dans cet ouvrage suggèrent que la lutte pour la justice sociale et la réconciliation ne doit pas uniquement viser à signaler les individus coupables des violences passées, mais aussi à porter attention aux conditions structurelles et aux institutions qui ont facilité l’apparition de ces violences. Ce sont ces mêmes structures et institutions qu’il faut tenter de reconstruire.
Comme mentionné, un élément original de cet ouvrage est qu’il permet de faire dialoguer non seulement des expertises diverses, mais également des contextes différents, notamment entre le Canada (particulièrement le Québec), l’Amérique centrale (Guatemala et Honduras) et l’Amérique du Sud (Colombie, Pérou, Argentine). Dans ces différentes régions, nous observons que même si des Commissions de vérité et de réconciliation (CVR) ont été mises en place afin de promouvoir la démocratisation des institutions et atteindre la paix sociale, les causes profondes et structurelles des injustices sont encore présentes.
Les cinq chapitres portant sur le Canada (et le Québec) démontrent qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire avant d’aboutir à une vraie réconciliation entre les gouvernements (fédéral et provincial) et les communautés autochtones. Bien que les gouvernements priorisent un discours d’ouverture et de volonté de changement, la capacité d’action et de reformation des institutions n’est pas vraiment palpable ; un rééquilibrage des rapports de pouvoir est encore nécessaire. D’autre part, avec les six chapitres sur l’Amérique centrale et le Cône Sud, nous observons que même si plusieurs militants, projets sociaux et organismes non gouvernementaux luttent pour la revendication des mémoires des subalternes et la quête de vérité, les violences persistent encore ; les défenseurs des droits de la personne et de l’environnement sont toujours criminalisés et souvent persécutés. Les institutions étatiques remettent souvent en question leurs voix, ainsi que leurs mémoires des violences subies.
La persistance de ces injustices nous invite donc à continuer les réflexions autour des mémoires des violences passées (et actuelles). Alors que des CVR ont été mises en place dans les dernières décennies, le travail de mémoire persiste, et ce, car les violences s’actualisent à travers les mêmes structures (coloniales) que les sociétés des Amériques n’ont pas réussi à reformer. Enfin, cet ouvrage souligne également l’importance du travail de recherche autour de ces sujets dans des contextes hautement politisés. Si l’académie ne doit pas prétendre se substituer à la parole des subalternes, elle a quand même des contributions à apporter. Nous avons, avant tout, un devoir d’écoute, de compréhension, et de transmission de la parole.
Un effort de liaison entre les chapitres et une révision plus approfondie de ceux-ci auraient permis d’améliorer significativement l’ensemble de cet ouvrage. À titre d’exemple, il est écrit au chapitre six (p. 100) que l’évènement déclencheur du conflit civil au Guatemala, soit le coup d’État contre Jacobo Árbenz Guzmán, a eu lieu en 1956. Or, cet évènement s’est déroulé le 27 juin 1954. L’exactitude historique nous apparaît pourtant un élément crucial lorsque l’on aborde des thématiques liées à la mémoire. Cela dit, nous recommandons fortement cet ouvrage car il propose une façon originale (optique multidisciplinaire et transnationale) d’aborder des thématiques complexes.