Volume 46, numéro 1, 2022 Citoyennetés et mobilisations en Inde Citizenships and Mobilizations in India Ciudadanías y movilizaciones en la India Sous la direction de Catherine Larouche et Pierre-Alexandre Paquet
Sommaire (21 articles)
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Présentation : citoyennetés et mobilisations en Inde
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« Nous verrons » : citoyenneté et pluralisme religieux
Katherine Lemons
p. 25–46
RésuméFR :
De décembre 2019 à mars 2020, l’Inde a été agitée par des manifestations contre deux mesures législatives, soit l’Amendement à la Loi sur la citoyenneté (MLC) et le Registre national des citoyens (RNC), qui discriminaient les musulmans. Les manifestations ont été historiques, même dans un pays de forte culture protestataire. Elles ont été marquées par une solidarité interreligieuse, intergénérationnelle et intercommunautaire et ont été largement menées par des femmes musulmanes. Les manifestations ont provoqué des débats au sujet de la religion et de la citoyenneté dans un état laïc, des débats autant entre manifestants qu’entre les contestataires et les partisans des lois de l’État. Cet article examine les deux slogans contestataires qui ont suscité le débat : un poème ourdou, et la proclamation de foi religieuse des musulmans, la chahada. Il soutient que les débats éclairent quelques-uns des paradoxes de la citoyenneté laïque et posent à nouveau les questions qui ont préoccupé les nationalistes anticolonialistes du 20e siècle. Enfin, l’article suggère que ces controverses sont nécessaires et constitutives des politiques des états ayant une importante pluralité religieuse.
EN :
From December 2019 through March 2020, India was rocked by protests against two pieces of legislation, the Citizenship Amendment Act (CAA) and the National Registry of Citizens (NRC), that discriminated against Muslims. Protests against this legislation were historic, even in a country with a strong culture of political protest: they were marked by inter-religious, inter-generational, and inter-community solidarity and were largely spearheaded by Muslim women. The protests sparked debates about religion and citizenship in a secular state, debates among protesters as well as between protesters and supporters of the state’s laws. This article examines two protest chants that elicited debate: an Urdu poem and the Muslim statement of faith, the Shahada. It argues that the debates illuminate some of the paradoxes of secular citizenship and renew questions that preoccupied anti-colonial nationalists of the twentieth century. Ultimately, the article suggests that these controversies are necessary to and constitutive of politics in religiously-plural states.
ES :
Desde diciembre 2019 hasta marzo 2020, la India ha sido trastornada por manifestaciones contra dos elementos de la legislación: la Enmienda a la Ley sobre la ciudadanía (ELC) y el Registro nacional de ciudadanos (RNC), que discrimina a los musulmanes. Las manifestaciones contra dicha legislación han sido históricas, incluso par un país con una fuerte cultura de protesta. Han estado marcadas por una solidaridad interreligiosa, intergeneracional e intercomunitaria y han sido generalmente dirigidas por mujeres musulmanas. Las manifestaciones han suscitado debates sobre la religión y la ciudadanía en un Estado laico, debates tanto entre manifestantes como entre contestatarios y los partidarios de las leyes del Estado. Este artículo analiza los dos eslóganes contestatarios que suscitaron el debate: un poema urdu y la proclamación de la fe religiosa de los musulmanes la shahada. Se propone que los debates muestran algunas de las paradojas de la ciudadanía laica y plantean nuevamente las cuestiones que han preocupado a los nacionalista anticolonialistas del siglo XX. Finalmente, el artículo sugiere que dichas controversias son necesarias y constitutivas de las políticas de los Estado que poseen una importante pluralidad religiosa.
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Citoyenneté et religion : le cas de jeunes réislamisés indiens
Aminah Mohammad-Arif
p. 47–65
RésuméFR :
Le choix d’appréhender la citoyenneté des musulmans à partir de jeunes réislamisés qui sont loin d’être représentatifs de l’ensemble des musulmans indiens peut surprendre ; mais c’est précisément leur apparente altérité radicale, à la fois construite comme telle par les intéressés et perçue comme telle par la société majoritaire (les hindous), qui est intéressante. Les jeunes réislamisés représentent en effet un groupe dont le rapport à la nation est potentiellement plus mis en doute encore que celui de leurs coreligionnaires « ordinaires ». Quels effets la réislamisation, qui emprunte en partie ses modèles à des référents extérieurs, peut-elle avoir sur le rapport à l’Inde de ces jeunes réislamisés ? Les différences avec les jeunes musulmans « ordinaires » et avec les autres jeunes Indiens, toutes religions confondues, sont-elles significatives ? Pour mieux contextualiser le propos, je commencerai par analyser la tension entre les droits constitutionnels qui garantissent aux musulmans le statut de citoyen à part entière et une réalité sociale et politique marquée par une marginalisation et une stigmatisation croissantes. Je m’interrogerai ensuite sur les effets d’une construction de soi par les jeunes réislamisés comme délibérément distinct des autres sur leur rapport à autrui, les hindous tout particulièrement. Enfin, je m’intéresserai à leur rapport au politique, ce qui en retour permettra de jeter un éclairage sur leurs pratiques citoyennes.
EN :
The choice of studying Muslim citizenship from the point of view of youth revivalist Muslims who are far from being representative of all Indian Muslims may be surprising; but it is precisely their apparent radical otherness, both constructed as such by the individuals concerned and perceived as such by the majority society (the Hindus), that is interesting. Young revivalist Muslims represent a group whose relationship to the nation is potentially even more questioned than that of their “ordinary” co-religionists. What effects can re-Islamization, which borrows its models in part from external referents, have on the relationship these young revivalist Muslims have to India? Are the differences with “ordinary” young Muslims and with other young Indians, regardless of religion, significant? In order to contextualize the discussion, I will begin by analyzing the tension between the constitutional rights that guarantee Muslims full citizenship and a social and political reality marked by increasing marginalization and stigmatization. I will then examine the effects of a self-construction by young revivalist Muslims as deliberately distinct in their relationship to others, especially Hindus. Finally, I will look at their relationship to politics, which in turn will shed light on their civic practices.
ES :
La opción de cernir la ciudadanía de los musulmanes a partir de los jóvenes re-islamizados que están lejos de ser representativos del conjunto de los musulmanes indios puede sorprender, pero es precisamente su aparente alteridad radical, al mismo tiempo construida en tanto que tal por los interesados y percibida como tal por la sociedad mayoritaria (los hindúes), lo que resulta interesante. Los jóvenes re-islamizados representan un grupo cuya relación con la nación es potencialmente más cuestionada que la de sus correligionarios «ordinarios». ¿Cuáles efectos de la re-islamización, que imita parcialmente sus modelos de referentes exteriores, pueden relacionarse con la India de dichos jóvenes re-islamizados? ¿ Son significativas las diferencias entre los jóvenes musulmanes «normales» y los otros jóvenes indios, de todas las religiones? Con el fin de bien contextualizar el argumento, inicio analizando la tensión entre los derechos constitucionales que garantizan a los musulmanes el estatus de ciudadano por derecho propio y la realidad social y política marcada por una marginalización y una estigmatización crecientes. En seguida, cuestionaré los efectos de una construcción de sí por los jóvenes re-islamizados como deliberadamente diferentes de los otros en su relación con los hindúes en particular. Finalmente, me interesaré a la relación a lo político, lo que me permitirá iluminar sus prácticas ciudadanas.
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Citoyenneté programmée au Télangana : infrastructures des TIC et rituels d’un nouvel État
Philippe Messier
p. 67–89
RésuméFR :
Le 2 juin 2014, les travailleurs de Hyderabad célébraient la création du 29e État indien. Scandant « Victoire pour le Télangana » à « HITEC City », un quartier bâti au travers des « zones économiques spéciales » (ZES) et des parcs des TIC (technologies de l’information et des communications), les ingénieurs en informatique de l’association Ingénieurs pour un Nouvel État (INE) brandissaient les couleurs du « Parti pour le Télangana ». Suivant grèves et manifestations agitées, les membres de INE savouraient la reconnaissance officielle du nouvel État. Natifs du Télangana, et anticipant les avantages économiques promis par une nouvelle entité politique, ces ingénieurs projetaient aussi de bénéficier d’une revitalisation culturelle télanganaise promise par les politiciens locaux. Échelonnée sur 19 mois de terrain de recherche entre 2012 et 2019, l’ethnographie se penche sur l’observation de rituels hindous nommés « festivals d’État » — le Bonalu et le Bathukamma — alors qu’ils se lient à d’autres activités médiatisées appuyant les technologies de pointe (conférences et « marathons de programmation ») à Hyderabad. Ces rituels proposent une cohésion culturelle mise en forme et légitimée par le nouvel État pour soutenir l’émergence d’une identité régionale télanganaise, un processus consolidant aussi la position privilégiée des TIC et des compétences techniques qu’elles favorisent. L’article suggère que la réactualisation de ces rituels d’État par ces ingénieurs s’intègre à un ensemble de stratégies sociotechniques d’engagement citoyen qui émergent de la construction des infrastructures des TIC du nouvel État du Télangana en même temps qu’elles la façonnent.
EN :
On June 2, 2014, workers in Hyderabad celebrated the creation of the 29th State in India. Chanting “Victory for Telangana” in ‘HITEC City,’ a neighborhood constructed through ‘special economic zones’ (SEZ) and ICT parks (Information and Communication Technologies), computer engineers of the association Engineers for a New State (ENS) wore the colors of the “Party for Telangana”. Following strikes and agitated protests, members of ENS enjoyed the official recognition of the new state. Born in Telangana, and anticipating the economic benefits promised by the new political entity in formation, these engineers projected that they would also enjoy a revitalization of Telangana culture promised by local politicians. Based on 19 months of fieldwork research between 2012 and 2019, the ethnography focuses on the observation of Hindu rituals named “State Festivals” — Bonalu and Bathukamma — as they act upon other mediatized activities supporting high-tech development (conferences and hackathons) in Hyderabad. These rituals propose a cultural cohesion legitimized by the new state and supporting the emergence of a regional identity — a process which reinforced the privileged position of ICT and the types of skills that are sought after by this industry. The article suggests that the renewal of these state rituals by these engineers is integrated into a set of sociotechnical strategies for an engaged citizenship. These strategies shape but also emerge from the construction of ICT infrastructures for the new Telangana state.
ES :
El 2 de junio de 2014, los trabajadores de Hyderabad celebraron la creación del 29 estado hindú. Escandiendo «Victoria para el Telangana» en «HITEC City» un barrio construido a lo largo de las «zonas económicas especiales» (ZEC) y de los parques de las TIC (tecnologías de las informaciones y las comunicaciones), los ingenieros en informática de la asociación de Ingenieros por un Nuevo Estado (INE), blandían los colores del «Partido por Telangana». Después de huelgas y manifestaciones agitadas, los miembros del INE saborean las ventajas económicas prometidas por la nueva entidad política, ingenieros que también proyectaban beneficiar de una revitalizan cultural telanganesa prometida por los políticos locales. Escalonada durante 19 meses de investigación de campo, entre 2012 y 2019, la etnografía se centra en las observaciones de ritos hindúes denominados «festivales de Estado» — el Bonalu y el Bathukamma — que se enlazan con otras actividades mediatizadas que apoyan las tecnologías avanzadas (conferencias y «maratones de programación» en Hyderabad. Dichos ritos expresan una cohesión cultural concebida y legitimada por el nuevo Estado para apoyar el surgimiento de una identidad regional telanganesa, un proceso que consolida asimismo la posición privilegiada de las TIC y de las habilidades técnicas favorecidas. El artículo propone que la re-actualización de dichos ritos de estado de la parte de los ingenieros se integra a un conjunto de estrategias sociotécnicas de implicación ciudadana que surgen de la construcción de las infraestructuras de las TIC del nuevo estado de Telangana al mismo tiempo que las conforman.
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Les verriers et leurs « netas » : représenter les travailleuses et travailleurs de Firozabad dans leurs luttes collectives
Arnaud Kaba et Shankare Gowda
p. 91–108
RésuméFR :
Cet article s’intéresse aux pratiques syndicales et aux stratégies de lutte pour l’obtention de droits dans le secteur du travail informel en Uttar Pradesh à travers l’exemple des travailleurs et travailleuses du verre de Firozabad. L’article considère la lutte pour les droits de ces travailleurs du secteur informel comme une forme de lutte pour une citoyenneté tangible, qui implique des droits sociaux et économiques et non simplement un statut légal sans aucun bénéfice. L’article analyse l’histoire récente des mouvements syndicaux de Firozabad ainsi que les ressorts du dernier mouvement en date, une grève des finisseurs et finisseuses de bracelets. Contrairement à ce qui est le cas chez les travailleurs migrants ruraux, dans un contexte de travail informel manufacturier de grande échelle comme celui de Firozabad, les logiques des luttes pour l’obtention de droits ne sont pas si différentes de celles dans le secteur formel. Mais, les travailleurs y sont dans une position de négociation spécifiquement faible. L’ethnographie confirme également que la revendication de droits et de meilleures conditions de travail et de vie passe presque inévitablement en Uttar Pradesh par l’usage de la force et de la violence. Ceci implique que les composantes d’une citoyenneté sociale et économique au-delà du seul statut légal de citoyen sont inévitablement liées à cette propension à peser dans un rapport de force marqué par les liens entre monde industriel, politique et criminel, ce qui contribue à brouiller les frontières entre légal et illégal.
EN :
This paper looks at trade union practices and strategies of struggle for rights in the informal labour sector in Uttar Pradesh through the example of glass workers in Firozabad. The paper considers the struggle for the rights of these informal workers as a form of struggle for tangible citizenship, which involves social and economic rights and not just legal status without any benefits. By analysing the recent history of labour movements in Firozabad and the dynamics of the most recent movement, a strike of bangle finishers, the paper argues that, unlike the case with rural migrant workers, in a context of large-scale informal manufacturing work such as Firozabad, the logics of struggles for rights are not so different from those in the formal sector. But workers there are in a specifically weak bargaining position. The ethnography also confirms that the demand for rights and better working and living conditions in Uttar Pradesh almost inevitably involves the use of force and violence. This implies that the components of social and economic citizenship beyond legal citizenship are inevitably linked to this propensity to influence a power relationship marked by industrial, political and criminal links, which contributes to the blurring of the boundaries between legal and illegal.
ES :
Este artículo aborda las prácticas sindicales y las estrategias de lucha para obtener derechos en el sector del trabajo informal en Uttar Pradesh a través del ejemplo de los trabajadores y trabajadoras del vidrio de Firozabad. En el artículo se considera la lucha por los derechos de dichos trabajadores del sector informal como una forma de combate en pro de una ciudadanía tangible, lo que implica derechos sociales y económicos y no simplemente un estatus legal sin ningún beneficio. En el artículo se analiza la historia actual de los movimientos sindicales de Firozabad así como las estrategias del último movimiento reciente: una huelga de terminadores y terminadoras de pulseras. A diferencia de los que sucede con los trabajadores migrantes rurales, en el contexto de un trabajo informal manufacturero a gran escala como el de Firozabad, las lógicas de lucha por la obtención de derechos no difieren demasiado de aquellas del sector formal. Pero, los trabajadores de lo informal están en una posición de negociación extremadamente endeble. La etnografía confirma asimismo que la reivindicación de derechos y de mejores condiciones de trabajo y de vida inevitablemente pasa, en Uttar Pradesh, por el uso de la fuerza y de la violencia, lo implica que, más allá del estatus legal de ciudadano, esos factores de la ciudadanía social y económica tienen la tendencia a influir una relación de fuerza determinada por las ligas entre el mundo industrial, el político y el criminal en donde se difuminan las fronteras entre lo legal y lo ilegal.
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« Si seulement la guerre avait été un peu plus longue » : géopolitique, routes, et infrastructure de la citoyenneté dans l’Himalaya indien
Karine Gagné
p. 109–132
RésuméFR :
Depuis son indépendance, la production de l’État indien à sa frontière himalayenne a été largement motivée par des préoccupations géopolitiques. L’affirmation de la souveraineté indienne dans les hautes montagnes de la région historiquement isolée du Ladakh s’effectue par la militarisation et le développement d’une infrastructure routière. Quelles sont les conséquences de la production militaire de l’infrastructure routière pour les populations qui vivent en région frontalière ? L’historique de la construction de routes au nord-ouest de l’Inde témoigne d’un développement inégal qui marginalise les parties de la zone frontalière qui ont peu d’intérêts stratégiques. À partir du cas du Zanskar, cet article se penche sur une dimension matérielle de la citoyenneté en Inde, alors que la construction des routes constitue un terrain technopolitique sur lequel une communauté engage l’État. Notamment, afin de s’attaquer au problème d’isolement créé par un réseau routier peu développé, les Zanskarpas utilisent différentes tactiques, depuis la prise en charge de cette construction grâce à des initiatives locales à la mise en avant de l’argument militaire afin d’appeler l’État à investir dans l’achèvement de routes.
EN :
Since its independence, the production of the Indian state at its Himalayan border has been largely driven by geopolitical concerns. The assertion of Indian sovereignty in the high mountains of the historically isolated region of Ladakh is achieved through militarization and the development of road infrastructure. What are the consequences of the military production of road infrastructure for populations living in border regions? The history of road building in northwest India is evidence of arbitrary development that marginalizes parts of the border area that have little strategic interest. Using the case of Zanskar, this article examines a material dimension of citizenship in India, as the construction of roads constitutes a technopolitical terrain on which a community engages the state. In particular, in order to tackle the problem of isolation created by an underdeveloped road network, Zanskarpas use different tactics, from taking care of road building through local initiatives to putting forward the military argument in order to call on the State to invest in the completion of roads.
ES :
Después de su independencia, la producción del Estado indio en la frontera con el Himalaya ha sido en gran medida propiciada por sus preocupaciones geopolíticas. La afirmación de la soberanía india en las altas montanas de una región históricamente aislada de Ladakh, se realiza por la militarización y el desarrollo de una infraestructura carretera. ¿Qué consecuencias tiene la producción militar de la infraestructura vial para las poblaciones que viven en la región fronteriza? La historia de la construcción de carreteras en el noroeste de la India muestra un desarrollo desigual que marginaliza los lugares de la zona fronteriza que poseen poco interés estratégico. A partir del caso de Zanskar, este artículo aborda la dimensión material de la ciudadanía en la India, en donde la construcción de carreteras constituye un terreno tecnopolítico en el cual una comunidad implica al Estado. En particular, con el fin de atacar el problema del aislamiento creado por la red vial poco desarrollada, los zanskarpas emplean diferentes tácticas, desde apoyo a la construcción a través de iniciativas locales hasta el enfatización de el argumento militar con el fin de instar al Estado a invertir en la finalización de las carreteras.
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« Vivre comme des animaux » : être citoyen d’une zone de protection de la biodiversité, le cas des éleveurs pastoralistes Van Gujjars du nord-ouest de l’Inde
Pierre-Alexandre Paquet
p. 133–156
RésuméFR :
La foresterie sociale dans la décennie 1970, la cogestion à partir de 1990 et la reconnaissance de la constitutionnalité des droits forestiers en 2006 laissaient présager que le régime forestier de l’Inde, demeuré une prérogative étatique depuis l’ère coloniale, allait progressivement être soumis à des processus de décisions démocratiques. Toutefois, le durcissement en parallèle des lois sur la protection de la biodiversité a permis au Département des forêts de garder ses privilèges et son autorité morale sur la forêt dans plusieurs états indiens, souvent au détriment des population locales. Cet article scrute les conceptions du soi et de la citoyenneté des éleveurs nomades Van Gujjars de l’Uttar Pradesh et de l’Uttarakhand, qu’ils vivent à l’intérieur ou à proximité du parc national de Rajaji, à travers le prisme que leur offre spontanément leurs contacts quotidiens avec des animaux sauvages et domestiques : tigres et léopards, hirondelles, macaques et buffles. Considérant une gamme de rapports matériels et langagiers au sein desquels s’immiscent des figures animalières, cet article mobilise l’ethnographie multiespèce pour mettre en lumière des principes et des valeurs qui sous-tendent les revendications citoyennes des habitants traditionnels des forêts et analyser des mécanismes d’inclusion et d’exclusion propres aux zones forestières en Inde.
EN :
Starting with social forestry in the 1970s, co-management in the 1990s and the constitutional recognition of forest rights in 2006, the general impression was that India’s forestry regime, which has remained a state prerogative since the colonial era, was gradually becoming subject to democratic decision-making processes. However, a parallel tightening of biodiversity protection laws has enabled the Forest Department to retain its privileges and moral authority over the forests in several Indian states, to the detriment of the local populations. This article questions subject-making and citizenship for a population of nomadic herders, the Van Gujjars of Uttar Pradesh and Uttarakhand, looking through the prism of their relationships with wild or domestic animals: tigers and leopards, swallows, macaques and buffaloes. Analyzing a range of material and immaterial relationships in which animal figures interfere with the political management of forests, the popular mobilization and the political demands of traditional forest dwellers, this article draws on multispecies ethnography to highlight mechanisms of inclusion and exclusion within forest areas and the impact they have on the lives of historically marginalized groups like the Van Gujjar nomadic herders.
ES :
La silvicultura social en la decena de 1970, la co-gestión a partir de 1990 y el reconocimiento de la constitucionalidad de los derechos forestales en 2006, deja presagiar que el régimen forestal de la India, que permaneció como una prerrogativa estatal desde la era colonial, estaría progresivamente sometida a un proceso de decisiones democráticas. Sin embargo, el endurecimiento paralelo de las leyes sobre la protección de la biodiversidad ha permitido al Departamento de los bosques de conservar sus privilegios y su autoridad moral sobre el los bosques en diversos estados indios, frecuentemente en perjuicio de las poblaciones locales. Este artículo analiza las concepciones de sí y de la ciudadanía de los pastores nómadas Van Gujjars del Utar Pradesh y de Uttarakhand, que viven en el interior o cerca del parque nacional de Rajaji, a través del prisma que les ofrece espontáneamente su contacto cotidianos con los animales salvajes y domésticos: tigres y leopardos, golondrinas, macacos y búfalos. Tomo en consideración una gama de relaciones materiales y lingüísticas dentro de las cuales se inmiscuyen las figuras de los animales y los valores subyacentes a las reivindicaciones ciudadanas de los habitantes tradicionales de dichos bosques y analizo los mecanismos de inclusión y exclusión propios a las zonas forestales de la India.
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Citoyens, clients ou quémandeurs ? Réflexions au sujet d’études récentes sur la citoyenneté en Inde (essai)
John Harriss
p. 157–172
RésuméFR :
La Constitution de l’Inde promettait de transformer la société hiérarchique en instaurant une communauté civique d’égaux. Les études anthropologiques montrent cependant que le statut de la citoyenneté en Inde et le faisceau de droits qui lui sont associés constituent le terrain de formulation de revendications et de contestations quotidiennes. Sur ce terrain, l’intermédiation est très importante, en partie à cause du pouvoir infrastructurel relativement limité de l’État et de son échec à assurer l’alphabétisation et l’éducation minimale de la population. Le fait que les « citoyens » doivent négocier avec l’État et la façon dont pour cela ils ont fréquemment besoin d’intermédiaires ont pour conséquence la création d’une hiérarchie de citoyens (ou plus exactement de citoyens, de clients et de quémandeurs) au lieu de la citoyenneté égale pour tous que promettait la Constitution.
EN :
The promise of the Constitution of India was for the transformation of a hierarchical society through the establishment of a civic community of equals. Anthropological studies show, however, that the status of citizenship in India and the bundle of rights associated with it, constitutes a terrain of claims-making and of everyday contestation. On this terrain intermediation is very important, partly because of the relatively limited infrastructural power of the state, and its failure to ensure the basic literacy and education of the population. The consequence is that through the negotiations in which ‘citizens’ must engage with the state, and the ways in which they are so frequently mediated, a hierarchy of citizens (or, more accurately, of citizens, clients and supplicants) is established rather than the equal citizenship promised in the Constitution.
ES :
La Constitución de la India prometía transformar la sociedad jerárquica gracia a la instauración de una comunidad cívica de iguales. Los estudios antropológicos muestran, sin embargo, que el estatus de ciudadanía en la India y el conjunto de derechos que le están asociados constituyen un campo para la formulación de reivindicaciones y de protestas cotidianas. En este campo, la intermediación es muy importante, debido parcialmente al poder infraestructural relativamente limitado del Estado y de su fracaso en garantizar la alfabetización y la educación mínima de la población. El hecho que los «ciudadanos» deban negociar con el Estado y requieran intermediarios para hacerlo provocan la creación de una jerarquia de ciudadanos (o más exactamente de ciudadanos, clientes y necesitados) en lugar de la ciudadanía de igualdad para todos que prometía la Constitución.
Hors thème / Off Theme / Al Margen
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Soroche, rébellion et capitalisme
Francisco Rivera
p. 173–193
RésuméFR :
L’histoire récente du Chili est liée à l’exploitation minière. Dans les régions du nord du pays, l’expansion minière a généré de profondes transformations environnementales et des changements sociaux dans les communautés autochtones qui habitent ces régions. À travers une série de vignettes, j’explore les camps miniers abandonnés d’Ollagüe, une communauté quechua située dans les hautes terres (puna) du nord du Chili. Les ruines de l’industrie du soufre permettent d’explorer l’histoire profonde de ces changements socioéconomiques. Je propose une exploration des vibrances volcaniques, les volcans étant compris ici comme des espaces culturels de production minière, comme des espaces naturels qui témoignent des changements et des impacts de l’industrie du soufre et comme des entités vivantes dont la rébellion contre la domestication humaine a façonné la sociabilité entre la communauté locale et eux.
EN :
Chile’s recent history is linked to mining. In the northern regions of the country, mining expansion has brought about profound environmental transformations in the landscape and social changes in the indigenous communities that inhabit these regions. Through a series of vignettes, I explore the abandoned mining camps of Ollagüe, a Quechua community located in the highlands (puna) of northern Chile. The ruins of the sulphur industry provide an opportunity to explore the history of these socio-economic changes. I propose an exploration of volcanic vibrancy, volcanoes being understood here as cultural spaces of mining production, as natural spaces that bear witness to the changes and impacts of the sulphur industry, and as living entities whose rebellion against human domestication has shaped the sociability between them and the local community.
ES :
La historia reciente de Chile está ligada a la explotación minera. En las regiones del norte del país, la expansión minera ha generado profundas transformaciones medioambientales y cambios sociales en las comunidades autóctonas que habitan dichas regiones. A través de una serie de viñetas, exploro los campos mineros abandonados de Ollagüe, una comunidad quechua situada en los altiplanos (puna) del norte de Chile. Las ruinas de la industria del azufre permiten explotar las vivezas volcánicas, los volcanes aquí definidos como espacios culturales de producción minera, como espacios naturales que atestiguan los cambios y los impactos de la industria del azufre y como entidades vivas cuya rebelión contra la domesticación humana ha formado la sociabilidad entre ellos y la comunidad local.
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Le diable qui harcèle : le tourbillon de vent chez les paysans du Nord argentin (note de recherche)
Mariano Bussi et María Bernarda Bernarda
p. 195–209
RésuméFR :
L’étude anthropologique des conceptions locales des phénomènes météorologiques est un point de vue privilégié pour s’interroger sur les définitions du climat fréquemment utilisées quand on fait référence aux communautés dites non occidentales. Dans ce texte, nous proposons de comprendre la relation entre les communautés rurales paysannes et autochtones de la région sud des Andes et le tourbillon de vent dans leur vie quotidienne. En nous basant sur notre propre expérience ethnographique et sur la littérature existante et locale, nous cherchons comment appréhender ce lien diffus mais constant entre le tourbillon et certaines entités malfaisantes, comme le diablo (diable).
EN :
The anthropological study of the local meteorological conceptions is a privileged point of view to question climate definitions often used when referencing the called non-western communities. In this work we attempt to understand the relationship between peasant and indigenous communities from south Andean regions and the whirlwind in their daily life. Based on our own ethnographic experience, historical and local literature, we try to apprehend this diffuse but constant link between whirlwind and some harmful entities, as the diablo (devil).
ES :
El estudio antropológico de las concepciones locales de los fenómenos meteorológicos es un punto de vista privilegiado para cuestionar las definiciones del clima que con frecuencia se reproducen cuando se hace referencia a las comunidades denominados como «no occidentales». En este texto, exploramos cómo las comunidades rurales campesinas e indígenas de la región sur de los Andes sitúan el remolino de viento en su universo cotidiano. Basándonos en nuestra experiencia etnográfica y en las referencias bibliográficas sobre la región, buscamos comprender la relación constante entre el remolino y ciertas entidades de potencias nocivas, verbigracia el diablo.
Essai bibliographique / Bibliographical Essay / Ensayo bibliográfico
Comptes rendus / Book Reviews / Reseñas
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Abélès Marc, 2020, Carnets d’un anthropologue : de Mai 68 aux Gilets jaunes. Paris, Odile Jacob, coll. « Mondes contemporains », 233 p.
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Allamel Frédéric, 2020, Écoréfugiés au pays des bayous. Les Indiens houmas face au golfe du Mexique. Québec, Presses de l’Université Laval, coll. « Mondes autochtones », 280 p., bibliogr., filmogr.
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Becerril Michael Wilson, 2021, Resisting Extractivism: Peruvian Gold, Everyday Violence, and the Politics of Attention. Nashville, Vanderbilt University Press, 294 p., illustr., tabl., bibliogr., ann., index.
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Drouilleau-Gay Félicie, 2019, Secrets de familles. Parenté et emploi domestique à Bogota (Colombie, 1950-2010). Paris, Éditions PETRA, coll. « IntersectionS », 310 p.
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Henley Paul, 2020, L’aventure du réel. Jean Rouch et la pratique du cinéma ethnographique, préface de Antoine de Baecque, traduit de l’anglais par Joëlle Hauzeur. Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « PUR-Cinéma », 514 p., illustr., bibliogr., tabl., index, ann.
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Merle Isabelle, 2020, Expériences coloniales. La Nouvelle-Calédonie (1853-1920). Toulouse, Anacharsis, coll. « Griffe essais », 576 p., illustr., bibliogr.
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Ortar Nathalie et Hélène Subrémon (dir.), 2018, L’énergie et ses usages domestiques. Anthropologie d’une transition en cours. Paris, Éditions PETRA, coll. « Europes : terrains et sociétés », 250 p.
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Pichelin Stéphane, 2020, Robert Flaherty, une mythologie documentaire : cinéma et anthropologie, préface de Gilles Mouëllic. Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « PUR-Cinéma », 202 p., illustr., bibliogr., ann.
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Simon Emmanuelle, Sophie Arborio, Arnaud Halloy et Fabienne Hejoaka (dir.), 2020, Les savoirs expérientiels en santé. Fondements épistémologiques et enjeux identitaires, préface de Catherine Tourette-Turgis. Nancy, Presses universitaires de Nancy – Éditions universitaires de Lorraine, coll. « Questions de communication », série « Actes », 276 p., illustr., bibliogr.