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Le Canada et l’Australie sont les héritiers d’une histoire coloniale marquée, entre autres, par une série d’assauts sur les systèmes religieux des peuples autochtones et aborigènes. Alors que la dépossession du territoire a privé ou éloigné plusieurs d’entre eux de ce point d’ancrage fondamental de leur spiritualité[1], les efforts de christianisation, d’éducation des enfants et de transformation culturelle ont contribué à la dévalorisation de certaines croyances et pratiques à caractère spirituel, lorsque celles-ci n’étaient pas singulièrement réprimées par les autorités politiques et les missionnaires. De surcroît, tout ceci s’articulait autour de la conviction, largement partagée par les colonisateurs, que ces « superstitions » ne pouvaient prétendre au statut de véritables religions. Depuis les années 1970, toutefois, on retrouve dans ces deux pays un contexte sociojuridique plus favorable à l’expression, la promotion et la protection des spiritualités des Premiers Peuples, lesquelles jouent par ailleurs un rôle important chez les peuples autochtones et aborigènes, tout autant dans le cadre des démarches d’affirmation identitaire que de guérison et de revitalisation culturelle. Les gouvernements en sont aussi venus à accepter et promouvoir officiellement le principe d’autodétermination et à reconnaître l’existence de droits sui generis aux peuples autochtones et aborigènes, tout en adoptant des politiques de réconciliation visant à orienter positivement les relations que l’État et la société entretiennent avec ces derniers. En parallèle de quoi prévalent des politiques plus larges de multiculturalisme visant à protéger, valoriser et promouvoir la diversité culturelle, incluant les cultures des Premiers Peuples.

Dans ce contexte, les formes de reconnaissance symboliques à l’égard des spiritualités des Premiers Peuples sont désormais nombreuses de la part des gouvernements canadien et australien, tandis que les mesures d’accommodement, les lois, les ententes politiques et les initiatives institutionnelles visant à protéger certaines de leurs caractéristiques sont plus nombreuses. Néanmoins, les peuples autochtones et aborigènes se heurtent encore à des difficultés sur le plan de l’expression et de la protection de leurs particularismes spirituels, que ce soit en matière d’accès aux lieux sacrés, de pleine propriété d’objets symboliques ou de capacité d’intégrer la dimension spirituelle dans différentes sphères de leur vie sociale comme l’éducation, les services sociaux, la médecine ou la justice. Dans ces circonstances, le recours aux tribunaux s’avère parfois nécessaire pour défendre ce que les Autochtones et les Aborigènes considèrent être des droits à caractère spirituel. Dès lors, comment les tribunaux des deux pays accueillent-ils et prennent-ils en considération les spiritualités des Premiers Peuples ? Dans quelle mesure ce traitement juridique influence-t-il la représentation ethnographique de ces dernières ? Et à quel point les contextes canadien et australien divergent-ils sur ces plans ? C’est à ces questions que nous souhaitons apporter des éléments de réponse.

À cette fin, et pour chaque contexte étatique, nous présenterons dans un premier temps les principales composantes du cadre normatif dans lequel s’inscrivent les droits à caractère spirituel des Autochtones et des Aborigènes, pour ensuite analyser le contenu des jugements les plus significatifs rendus par les tribunaux en cette matière. Plus précisément, il s’agira d’illustrer de quelle manière la dimension spirituelle est amenée d’un point de vue ethnographique par les parties autochtones et aborigènes, tant sur le plan de sa forme que de ses fonctions socioculturelles, par quelle qualification juridique elle est introduite et justifiée, que ce soit en tant que liberté fondamentale, objet de discrimination, droit sui generis ou droit issu de traités, et comment se traduit l’appréciation qui lui est réservée par les tribunaux. Une comparaison entre les deux régimes de droit permettra ensuite de montrer qu’au-delà de leurs différences, ceux-ci partagent des limites similaires en ce qui a trait à leur capacité de prendre en considération les particularismes spirituels des Premiers Peuples. Soulignons qu’il s’agit avant tout ici de porter un regard sur des discours juridiques, davantage que sur les fondements anthropologiques des croyances et pratiques des Premiers Peuples évoquées. Néanmoins, et comme il en sera question, les approches préconisées par les tribunaux entraînent des répercussions concrètes et potentielles sur la façon de construire le discours anthropologique et, par extension, les identités culturelles autochtones et aborigènes elles-mêmes.

Les spiritualités autochtones devant les tribunaux canadiens

Au Canada, trois peuples autochtones sont reconnus en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982 : les Indiens, les Inuit et les Métis. À l’instar de l’ensemble des Canadiens, et en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés enchâssée dans la loi constitutionnelle, les personnes autochtones jouissent d’une garantie de leur liberté de conscience et de religion (parag. 2a), ainsi que d’un droit à la non-discrimination, notamment sur la base de leur religion (parag. 15(1)[2]). À ces garanties constitutionnelles s’ajoute celle de leurs droits ancestraux et issus de traités (art. 35), lesquels peuvent comprendre des droits à caractère religieux. En parallèle, des ententes ou « traités modernes » ont été signés avec des nations autochtones qui disposent ainsi de certains droits ou privilèges en lien avec des sites, des ressources naturelles, des éléments de leur patrimoine mobilier ou des pratiques culturelles qui présentent pour eux une valeur spirituelle. Enfin, des dispositions incluses dans des lois ordinaires fédérales, provinciales ou territoriales offrent une protection explicite ou potentielle pour certains particularismes spirituels autochtones, notamment en lien avec le patrimoine mobilier, les restes humains ou encore la pratique cultuelle dans les milieux de travail, de la santé ou des services correctionnels (Gélinas 2021). À l’ensemble de ces dispositions spécifiques s’ajoute un cadre normatif plus large concernant la gestion de la diversité au pays et qui comprend, depuis 1971, une politique fédérale de multiculturalisme favorable à la liberté culturelle et au maintien des particularismes ethnoculturels — incluant ceux des peuples autochtones (Canada 1971) — et, depuis 1998, une politique nationale de réconciliation avec les peuples autochtones ayant pour principes directeurs le respect de leurs cultures et de leurs droits, une plus grande autonomie politique et financière pour les collectivités, la coopération et le partenariat ainsi que la négociation de bonne foi (id. 1998a, 1998b, 2018).

Or, en dépit de ce cadre a priori favorable à la reconnaissance et à la protection de leurs particularismes culturels, les Autochtones doivent couramment recourir aux tribunaux pour défendre ce qu’ils considèrent être des droits à caractère spirituel. Sur ce plan, les recours entrepris sont majoritairement de deux types, à savoir : 1) des demandes d’injonction interlocutoire afin d’empêcher ou de faire cesser des activités de développement économique ou autres qui porteraient préjudice à des sites ou à des ressources ayant une valeur spirituelle ou 2) la contestation de lois ou de règlements qui nuiraient à la libre expression de croyances et de pratiques à caractère spirituel (Ross 2005 ; Shrubsole 2019). Dans la majorité des causes, la dimension spirituelle est peu évoquée ou explicitée devant les tribunaux, les arguments privilégiés par les requérants étant le plus souvent articulés autour d’un droit ancestral ou issu de traités sur les territoires ou les pratiques concernés, ou autour du manquement gouvernemental à l’obligation, imposée par la Cour suprême, de consulter et d’accommoder les peuples autochtones à l’égard de leurs intérêts potentiels avant de prendre des décisions relatives à des terres qui sont l’objet de revendications territoriales n’étant pas encore prouvées (Leclair et Morin 2019 : nos 148-153). De manière générale, les décisions des tribunaux s’articulent alors autour du paradigme de la mise en balance raisonnable des inconvénients et s’avèrent très souvent défavorables à la partie autochtone. Néanmoins, dans quelques cas qui seront abordés avec plus de détails ici, la dimension spirituelle a constitué un objet central de la cause, étant alors introduite soit à titre de liberté fondamentale, soit en tant que droit ancestral ou issu de traités.

Les causes basées sur la prétention à une atteinte à la liberté de religion d’Autochtones ont été peu nombreuses jusqu’ici et ont été l’objet de décisions défavorables. En 1985, la Cour suprême a rendu un jugement (Jack et Charlie c. La Reine) dans une cause où des Salish de la côte nord-ouest avaient été accusés de chasse illégale à des fins rituelles. Puisque l’infraction précédait de quelques années l’enchâssement de la Charte dans la loi constitutionnelle, le jugement n’a pas été rendu en vertu du paragraphe 2a. Néanmoins, l’approche préconisée alors par la Cour allait trouver écho dans des jugements subséquents. Dans leur décision, les magistrats ont opté pour la séparation de l’activité de chasse faisant l’objet d’une proscription du rituel religieux qui consistait à brûler la viande au bénéfice d’un ancêtre, pour ensuite conclure qu’en l’absence de contrainte concernant la tenue du rituel lui-même, il ne pouvait y avoir d’entrave à la liberté de religion (ibid. : 345-346). Une telle approche s’apparente à celle privilégiée plus récemment par la Cour suprême dans le jugement Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique. En réponse aux Autochtones qui souhaitaient prévenir la réalisation d’un projet de développement récréatif sur une montagne où résidait l’Esprit de l’Ours Grizzly — qui risquait par conséquent de quitter l’endroit —, les juges majoritaires ont de nouveau séparé la croyance de ses formes de manifestation :

Les Ktunaxa doivent démontrer que la décision du Ministre d’approuver l’aménagement porte atteinte soit à leur liberté de croire en l’Esprit de l’Ours Grizzly, soit à leur liberté de manifester cette croyance. Or, la décision ne porte atteinte à aucune de ces libertés. La présente affaire ne porte ni sur la liberté d’avoir une croyance religieuse ni sur celle de manifester cette croyance, mais plutôt sur l’allégation que l’al. 2a) de la Charte assure la présence de l’Esprit de l’Ours Grizzly dans le Qat’muk. Par cette allégation inédite, on invite la Cour à étendre l’al. 2a) au-delà de ce que reconnaît le droit canadien.

Ktunaxa Nationc.Colombie-Britannique : parag. 70

L’obligation imposée à l’État par l’al. 2a) ne consiste pas à protéger l’objet des croyances, comme l’Esprit de l’Ours Grizzly. Il incombe plutôt à l’État de protéger la liberté de toute personne d’avoir pareilles croyances et de les manifester par le culte et la pratique ou par l’enseignement et la propagation. Bref, la Charte protège la liberté de culte, mais non le point de mire spirituel du culte. […] en l’espèce, les appelants ne réclament pas la protection de la liberté de croire en l’Esprit de l’Ours Grizzly ou de s’adonner à des pratiques connexes. Ils sollicitent plutôt la protection de l’Esprit de l’Ours Grizzly lui-même et du sens spirituel subjectif qu’ils en dégagent. Cette revendication déborde le cadre de l’al. 2a).

Ibid. : parag. 71

Deux décennies plus tôt, dans une cause où des nations autochtones souhaitaient freiner un projet d’exploration gazière sur un territoire avec lequel elles disaient entretenir un lien spirituel, et ce, en invoquant leur droit constitutionnel à la liberté de religion, la Cour suprême de Colombie-Britannique avait ainsi statué :

[D]ans le contexte de cette affaire, la région des Twin Sisters est un aspect territorial de l’exercice des droits et coutumes religieux, même s’il y a peu de preuves de l’exercice physique réel des coutumes religieuses. Les droits et coutumes religieux résident dans la prophétie et la gestion intellectuelle avec lesquelles les peuples des Premières Nations considèrent la région des Twin Sister. […] Je conclus que l’alinéa 2a) ne protège pas le concept de gérance d’un lieu de culte sous la protection de la liberté de religion. […] Bien qu’elle ne soit pas satisfaite de l’intrusion dans la région en général, la [nation crie de Kelly Lake] ne fait état d’aucune privation ou attaque réelle du droit à la liberté de religion comme conséquence, mais c’est plutôt la profanation d’un concept qui est primordiale. Ainsi, je conclus qu’il n’y a pas d’activité envisagée qui inhibe ou contraint le droit d’exercer des croyances ou des pratiques religieuses, que ce soit sur une base d’utilisation réelle ou dans un sens intellectuel dans cette région comme le voient ceux qui se considèrent comme ses gardiens.

Cameron v. Ministry of Energy and Mines : parag. 189, 195, 197[3]

Ce qui ressort entre autres ici est l’apparente assurance avec laquelle les Autochtones exposent au tribunal leurs particularismes culturels et spirituels, dans le respect de leur essence ethnographique. Mais, ce faisant, les cours se retrouvent confrontées à des particularismes culturels qui ne correspondent pas aux canons du discours jurisprudentiel. Outre un penchant apparent à séparer le droit fondamental de ses formes potentielles d’expression, les juges tendent plutôt à attribuer un caractère individualisé, volontaire et privé à la religion, tout en entretenant une distinction entre croyances et pratiques religieuses et séculières (Gélinas 2021 : 258-259). Bref, à privilégier un cadre de référence influencé tout autant par la tradition chrétienne — comme le laissent entrevoir les réflexes analogiques[4] — que par le régime de laïcité, ce qui semble porter préjudice, du moins en partie, aux requérants autochtones, du moins lorsque le recours au paragraphe 2a est privilégié.

Par ailleurs, l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 garantissant les droits ancestraux et issus de traités a été invoqué à quelques reprises en appui à des revendications autochtones comportant une dimension spirituelle importante : « Les droits ancestraux ont été définis comme des activités ou pratiques qui, avant le contact avec les Européens, faisaient partie intégrante du mode de vie particulier du groupe autochtone qui en revendique aujourd’hui l’existence. » (Leclair et Morin 2019 : 15-1.) Ils peuvent inclure le titre aborigène qui « comprend le droit d’utiliser le territoire détenu en vertu de ce titre pour diverses fins » (ibid.). Or, la jurisprudence reconnaît à l’article 35 un objectif de réconciliation entre les sociétés autochtones préexistantes et l’affirmation de la souveraineté de la Couronne, de telle sorte qu’en pratique l’appréciation des droits ancestraux demeure essentiellement tributaire des intérêts matériels et moraux de la majorité sociale, en plus d’imposer un lourd fardeau de preuve aux requérants (Stanton 2017 : 25-31). Par exemple, dans la cause Thomas v. Norris, où le droit ancestral de pratiquer une cérémonie d’initiation incluant des sévices corporels était invoqué par les défendeurs, la Cour suprême de Colombie-Britannique a statué que même si la démonstration d’un tel droit ancestral avait été faite, celui-ci ne saurait primer sur les libertés fondamentales :

[Les droits civils] protègent les citoyens de la conduite illicite d’autres personnes, y compris celles qui se livrent à une telle conduite alors qu’elles prétendent exercer leurs pratiques religieuses ou d’autres libertés ou droits. À mon avis, les comportements qui constituent des préjudices civils (droits du point de vue de la personne lésée) devraient être mis sur le même plan que les comportements criminels. Si une telle conduite ne peut être séparée de la danse spirituelle, et en fait donc partie intégrante, alors, à mon avis, la danse spirituelle n’est pas un droit autochtone reconnu ou protégé par la loi.

Thomas v. Norris : 40

Bien que le plaignant puisse avoir des droits et un statut spéciaux au Canada en tant qu’Autochtone, les droits et libertés « originels » dont il jouit ne peuvent être inférieurs à ceux dont jouissent les autres citoyens, Autochtones ou non. Il vit dans une société libre et ses droits sont inviolables. Il est libre de croire en, et de pratiquer, toute religion ou tradition, s’il le souhaite. Il ne peut être contraint ou forcé d’y participer par aucun groupe prétendant exercer des droits collectifs en le faisant. Ses libertés et ses droits ne sont pas « assujettis aux droits collectifs de la nation autochtone à laquelle il appartient. »

Ibid. : 52

Dans la décision Hamilton Health Sciences Corp. v. D. H, un juge de la Cour de justice de l’Ontario a reconnu un droit ancestral de recourir à la médecine traditionnelle, ici dans une cause où une mère adepte de la tradition Longhouse (une philosophie combinant des éléments de la culture iroquoise et du christianisme) avait mis un terme aux traitements de chimiothérapie de sa fille de onze ans, atteinte de leucémie (Gélinas 2022). Bien qu’il ait affirmé dans son jugement qu’« un tel droit ne peut être considéré comme un droit uniquement s’il est prouvé qu’il fonctionne en utilisant le paradigme de la médecine occidentale [et qu’a]gir ainsi reviendrait à laisser ouverte la possibilité d’éroder perpétuellement les droits des Autochtones » (parag. 81), le magistrat a par la suite amendé sa décision, en précisant :

Mais, ce qui est implicite dans cette décision, c’est le fait que la reconnaissance et la mise en oeuvre du droit de faire usage des médecines traditionnelles doivent rester compatibles avec le principe selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant demeure primordial. Le droit autochtone d’utiliser la médecine traditionnelle doit être respecté et doit être pris en compte, parmi d’autres facteurs, dans toute analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant et dans la détermination du besoin de protection de l’enfant. En tenant compte du droit autochtone et de l’objectif constitutionnel de réconciliation et en examinant attentivement les faits de cette affaire, j’ai conclu que cet enfant n’avait pas besoin de protection.

Hamilton Health Sciences Corp. v. D. H. : parag. 83a

Bien qu’incident, ce commentaire n’accorde pas moins une certaine légitimité au fait qu’une partie non autochtone pourrait éventuellement imposer sa propre perspective quant à l’intérêt supérieur d’un enfant, au détriment d’une décision prise par une famille ou une communauté autochtone en conformité avec sa culture et sa spiritualité.

Nonobstant les opinions que peuvent susciter ces jugements, ceux-ci illustrent dans quelle mesure la reconnaissance des droits ancestraux, incluant ceux qui comportent une dimension spirituelle, demeure complexe. Outre l’obligation de conformité aux critères jurisprudentiels de qualification, lesquels sont établis par un tribunal d’État, les magistrats demeurent soucieux d’interpréter ces droits à la lumière d’autres principes juridiques inhérents au cadre constitutionnel et à la jurisprudence plus larges, comme une manière d’éviter l’implantation d’un régime de droit autochtone distinct. Enfin, si l’avenue des droits ancestraux et issus de traités (R. c. Sioui) semble présenter jusqu’ici un plus fort potentiel que celle des libertés fondamentales pour garantir la protection des droits autochtones à caractère spirituel au Canada, elle entraîne également les requérants autochtones dans une logique de représentation ancestrale peu compatible avec leur rapport effectif à la modernité et qui alimente l’impression d’une distance socioculturelle en réalité plus symbolique que réelle avec le reste de la société canadienne (Gélinas 2022).

En somme, malgré un environnement normatif canadien particulièrement favorable, a priori, à la reconnaissance et à la protection des spiritualités autochtones, il appert que lorsque celles-ci sont portées devant les tribunaux, dans le respect de leur essence ethnographique, elles ne correspondent pas forcément aux canons juridiques servant à apprécier la dimension religieuse et à protéger les droits en cette matière. D’une part, le recours par les magistrats à une distinction entre croyances et pratiques religieuses et séculières, ainsi qu’à une séparation du droit fondamental à la liberté de religion de ses formes potentielles d’expression, s’avère peu compatible avec la nature de la dimension spirituelle en contexte autochtone. D’autre part, le mode de reconnaissance des droits ancestraux s’avère, à l’inverse, propice à la promotion d’une forme d’essentialisation du rapport à la spiritualité en contexte autochtone qui n’est pas forcément conforme à l’expérience vécue. De telle sorte que la présentation privilégiée de la spiritualité autochtone dans la sphère juridique demeure celle que les tribunaux, en fonction des enjeux, définissent pour eux-mêmes.

Les spiritualités aborigènes devant les tribunaux australiens

Depuis les années 1970, l’Australie s’est officiellement dotée d’une politique de multiculturalisme qui promeut la reconnaissance des particularismes ethnoculturels, y compris ceux des peuples aborigènes (Koleth 2010), parallèlement à laquelle prévaut une politique d’État favorable, en principe, à l’autodétermination de ces derniers (Rowse 2017 : 266-282). À compter de 1991, le gouvernement fédéral a de plus amorcé un processus de réconciliation qui devait, sur une période de dix ans, aborder la question de l’injustice coloniale et ses conséquences pour les Aborigènes (Council for Aboriginal Reconciliation Act 1991). Or, en dépit de ce cadre politique et d’une sensibilité croissance et largement partagée à l’égard du respect et de la protection des spiritualités aborigènes, comme en témoigne entre autres la récente décision d’interdire l’ascension du mont Uluru par respect pour les croyances du peuple Anangu, le contexte juridique australien pose à son tour des obstacles importants à la liberté de religion des peuples aborigènes.

Bien que l’Australie adhère formellement à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones depuis 2020, celle-ci n’a pas de portée légale dans le droit étatique, bien qu’elle puisse à l’occasion influencer les tribunaux dans leurs décisions, y compris en ce qui touche la dimension spirituelle (Babie et al. 2015 : 87-89). Parallèlement, la Constitution australienne ne comprend pas de charte des droits, bien que l’article 116 stipule que « [l]e Commonwealth ne fera pas de lois pour établir une religion, ou pour imposer une pratique religieuse, ou pour interdire le libre exercice de toute religion, et aucun test religieux ne sera exigé comme qualification pour toute confiance du public… » Jusqu’à présent, l’interprétation de cet article par les tribunaux va principalement dans le sens de restreindre le pouvoir de l’État de légiférer en matière de religion plutôt que de défendre des droits individuels ou de minorités religieuses. De plus, cette disposition ne concerne que le gouvernement fédéral et ne s’étend pas aux États qui peuvent voter leurs propres lois ordinaires en matière de gestion du fait religieux (Meyerson 2009 : 538-543 ; Babie et al. 2015 : 22-23, 57). En somme, la liberté de religion en Australie, à l’image d’autres droits fondamentaux, est protégée à travers un amalgame de lois internationales, de lois fédérales et étatiques et d’arrangements institutionnels (Babie et Rochow 2010 : 836).

De même, s’il a été établi par les magistrats que le terme religion s’appliquait aux spiritualités aborigènes (Church of New Faith v. Commissioner of Pay-Roll Tax, juge Murphy : parag. 9), les occasions de tester la portée du principe de liberté de religion en lien avec celles-ci ont été rares, et les quelques jugements rendus ont été plus souvent défavorables aux requérants. Dans Aboriginal Legal Rights Movement v. South Australia, la Cour suprême d’Australie du Sud a statué que la création d’une commission d’enquête sur des prétentions aborigènes de nature spirituelle ne portait pas atteinte à la liberté de religion, tout en prenant en considération le principe de balance des intérêts, en lien ici avec un projet de développement. Dans Kruger v. Commonwealth, la prétention aborigène à l’inconstitutionnalité de l’Aboriginals Ordinance Act [Loi sur les Aborigènes] de 1918 (Territoire du Nord) autorisant à retirer des enfants à leurs parents, sur la base que cela privait ces enfants de prendre part aux activités religieuses communautaires, a été rejetée, les juges de la Haute Cour d’Australie estimant que le but de cette loi n’est pas spécifiquement de brimer la liberté de religion. Les quelques succès devant les tribunaux sont plutôt venus par l’entremise de causes concernant la détermination des lieux d’inhumation pour des personnes aborigènes, dont une dans laquelle les requérants ont évoqué explicitement la protection de la liberté de religion en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies (Jones v. Dodd ; voir également Carly White v. Candice Williams).

L’Australie ne dispose pas davantage d’une protection constitutionnelle en matière de droit à l’égalité, bien que le Commonwealth et la plupart des États aient adopté des lois ordinaires visant à protéger spécifiquement contre la discrimination et la diffamation, y compris dans certains cas en matière de religion (Babie et al. 2015 : 157). Le Territoire du Nord inclut d’ailleurs les croyances spirituelles aborigènes dans sa définition de la religion (Anti-Discrimination Act, 1992, art. 4(4)). Or, les concepts de « religion », de « race », d’« offense » ou d’« insulte » compris dans ces lois sont généralement vagues et ambigus, et leur interprétation n’est pas exempte de biais culturels de la part des magistrats, ce qui rend l’issue difficile à prévoir dans les causes impliquant des Aborigènes. Dans Corunna v.West Australian Newspapers Ltd, un aîné aborigène, au nom des Nyungar, a poursuivi le journal West Australian au sujet de la publication d’une caricature jugée offensante en lien avec leur ancêtre du Temps du Rêve (Dreamtime ou Dreaming), Waugyl. Le commissaire a conclu que le journal avait agi de manière raisonnable et de bonne foi, sans sortir des marges de la tolérance ; en vertu de la loi, la caricature ne créait pas de préjudice au-delà de ce qui peut être considéré comme raisonnable (parag. 65, 470). Comme l’a souligné Michael Blakeney :

Cette affaire a été rejetée comme un exemple de « réification des valeurs raciales dominantes » qui donne la priorité aux « récits raciaux non autochtones sur les perspectives autochtones ». Le mieux que l’on puisse dire de cette affaire, c’est qu’elle a mis en évidence le manque de rigueur du critère du caractère raisonnable.

Blakeney 2013 : 400-401

À l’inverse, dans Mingli Wanjurri and Others v. Southern Cross Broadcasting Ltd. and Howard Sattler, le même juge a entendu une plainte contre une radio ayant diffusé des propos au sujet d’un lieu sacré considérés comme dérogatoires à la culture et aux croyances des Nyungar et retenu la plainte en soulignant le fait que « les preuves indiquent clairement que les plaignants étaient, et continuent d’être, très blessés et bouleversés par ce qui a été dit. Les commentaires portaient sur des questions religieuses et culturelles d’une grande importance pour eux et étaient très désobligeants et insultants. » (Section 11.)

Par ailleurs, les tribunaux fédéraux et du Territoire du Nord qui entendent des infractions à la loi ne sont pas autorisés à prendre en considération toute forme de droit coutumier aborigène — lequel véhicule une charge spirituelle intrinsèque (Kelly 2015) — ou de pratique culturelle aborigène en vue d’atténuer ou d’aggraver un objet d’accusation, bien que, comme le soulignent Paul Babie et ses collaborateurs :

Des exceptions existent en ce qui concerne les infractions contre, par exemple, les terres classées au patrimoine autochtone, les sites sacrés et les terres autochtones reconnus par la loi. Ces dispositions ont pour effet « d’empêcher un contrevenant autochtone qui a agi conformément au droit ou à la pratique culturelle autochtone traditionnelle de voir son cas examiné individuellement sur la base de tous les faits pertinents [...] faussant le principe bien établi de proportionnalité de la peine ».

Babie et al. 2015 : 186-187

Si cela n’empêche pas les tribunaux australiens de prendre en considération des dimensions culturelles et spirituelles dans la détermination de la peine et la manière dont elle doit être purgée, sans que cela mène à des sentences disproportionnées par rapport à la gravité de l’infraction commise (R. v. Shannon ; R. v. Goldsmith), il demeure qu’en cas de conflit entre la loi et la coutume, la première prévaut sauf exemption, et l’appréciation de la dimension spirituelle dans le processus judiciaire reste l’apanage de juges essentiellement non aborigènes.

En matière de droits sui generis, seul le titre sur le territoire peut, dans certains cas, être reconnu à des peuples aborigènes depuis le jugement Mabo and Others v. Queensland (no 2) de 1992 et, comme au Canada, il revient aux Aborigènes de démontrer la continuité du lien culturel (laws and customs) avec le territoire revendiqué. L’attachement spirituel des Aborigènes à leur territoire est également reconnu par les tribunaux depuis les années 1970[5], de telle sorte que les droits territoriaux constituent, comme au Canada, une avenue pour reconnaître ou revendiquer des droits à caractère spirituel aborigènes. Toutefois, cette dimension spirituelle a jusqu’ici été considérée comme un principe à la base du lien particulier des Aborigènes au territoire, et non comme une composante nécessaire du titre territorial. Ce qui implique que la protection juridique d’intérêts de nature spirituelle sur un territoire donné doit passer par une reconnaissance du titre (Tehan 1996 : 277-280 ; Babie 2015 et al. : 89), laquelle demeure assujettie à la prédominance du concept de « propriété » tel que défini dans la common law (Sharp 1996a : 154 ; Povinelli 1998 : 583-585 ; Brennan 2009 : 978-979). L’influence de ce prisme interprétatif est d’ailleurs ressortie dans Western Australia v. Ward [2002], alors que la Haute Cour d’Australie a établi qu’un lien spirituel avec le territoire devait être attesté par la preuve d’une présence physique et d’actions menées sur les lieux revendiqués, malgré le fait que la Cour fédérale ait précédemment considéré que ce lien pouvait être maintenu à distance (Western Australia v. Ward [2000] : parag.  382). De même, au terme de son analyse du jugement Mabo, l’anthropologue Nonie Sharp remarquait :

Malgré la ferme conviction que le peuple Meriam avait un dossier particulièrement solide à présenter au tribunal, les conclusions des faits l’ont privé du principe fondamental de son héritage culturel : sa double relation [spirituelle et économique] de droits et de responsabilités à l’égard de la terre a été réduite à une relation non religieuse et non spirituelle. Les audiences n’ont fait que donner l’occasion à ses droits d’être partiellement connus du droit anglais.

Sharp 1996b : 213

Enfin, il convient de souligner qu’en 2019 la Haute Cour d’Australie a confirmé un jugement de la Cour fédérale qui attribuait et rendait publique pour la première fois une compensation financière aux Ngaliwurru et Nungali du Territoire du Nord pour la perte du lien spirituel au territoire, ce à quoi s’opposaient cet État et le Commonwealth. Le second tribunal avait alors statué que « l’établissement d’un seuil d’indemnisation approprié n’est pas une question de science ou de calcul mathématique » ; « [il] exige une estimation des effets pertinents sur les détenteurs de titres autochtones concernés, lesquels peuvent inclure des éléments de “perte d’agrément” ou de “douleur et souffrance” ou d’atteinte à la réputation. » (Griffiths v. Northern Territory of Australia : parag. 383, 318.) S’il s’agit certainement d’une avancée jurisprudentielle en matière de reconnaissance de la spécificité spirituelle aborigène, Pamela Faye McGrath souligne que la méthodologie établie pour déterminer la valeur de telles compensations est propice à inciter les Aborigènes à mettre l’accent sur ce qui a été perdu, ce qui peut s’avérer tout aussi préjudiciable pour eux sur le plan psychologique que pour le principe de continuité culturelle qui, par ailleurs, sous-tend la preuve à l’appui des revendications territoriales (McGrath 2017).

D’autre part, l’Australie dispose d’une loi fédérale pour la protection du patrimoine aborigène, l’Aboriginal and Torres Straits Islander Heritage Protection Act 1984 [Loi sur la protection du patrimoine des Aborigènes et des insulaires du détroit de Torres], à laquelle s’ajoutent des lois d’État sur la protection du patrimoine, lequel peut inclure des sites et des objets d’importance pour les Aborigènes (Babie et al. 2015 : 124-125, 183). Bien que ce corpus législatif soit susceptible d’offrir une protection à diverses composantes du patrimoine spirituel aborigène, il revient ultimement à des représentants de l’État de prendre les décisions finales. De plus, le recours à ces lois n’est pas sans obstacle pour les Aborigènes. Outre les litiges résultant de contestations de la part des États lorsque l’application de la loi fédérale porte préjudice à leurs intérêts ou les difficultés de prouver la proximité continue avec des sites sacrés pour les populations aborigènes ayant dû migrer loin de leurs terres ancestrales, le système judiciaire peine à apprécier certains particularismes culturels aborigènes, au premier chef la nature souvent secrète des savoirs liés aux croyances et pratiques. Les requérants peuvent ainsi se voir forcés de révéler publiquement des savoirs devant rester secrets, par exemple l’emplacement ou la signification spirituelle de certains lieux. Ce qui, paradoxalement, est susceptible de porter atteinte au caractère intrinsèque ou à la valeur de l’objet de revendication, en plus d’enfreindre des lois coutumières (Willheim 2008 : 215-217), alors que cela pourrait nuire au succès de la cause si le respect du secret est maintenu. Si les tribunaux ont été plus sensibles à cette dimension culturelle dans le contexte des revendications territoriales (ibid. : 128-129, 220-222), cela a moins été le cas dans le cadre des demandes de protection patrimoniale[6], où parfois même la valeur spirituelle intrinsèque des objets de revendication a été sciemment ignorée par les magistrats (Tehan 1996 : 302-304).

D’autres avenues juridiques ont été empruntées par les Aborigènes pour protéger leurs droits à caractère spirituel, en particulier celle de la propriété intellectuelle. Dès 1976, des Pitjantjatjara se sont adressés au tribunal pour faire cesser la circulation d’un ouvrage anthropologique qui incluait des informations et des images concernant des lieux et des objets d’importance spirituelle et culturelle interdits aux non-initiés. Sur la base d’une violation de la confidentialité, ils ont pu obtenir une injonction pour faire interdire la diffusion de l’ouvrage dans le Territoire du Nord (Foster and Others v. Mountford and Rigby Ltd : parag. 223, 237-238). Six ans plus tard, une injonction complémentaire a été obtenue afin d’interdire de montrer et de distribuer des photographies ayant appartenu à l’auteur du livre, qui montraient des cérémonies secrètes (Pitjantjatjara Council Inc and Peter Nganingu v. John Lowe and Lyn Bender). Toutefois, l’une des difficultés rencontrées ailleurs avec cette approche tient au fait que les dispositions légales reconnaissent le droit de propriété intellectuel sur une base individuelle, ignorant par ailleurs le caractère communal des savoirs spirituels aborigènes et les impératifs de la coutume pour les individus concernés (Yumbulul v. Reserve Bank of Australia ; Milpurrurru and Others v. Indofurn Ltd. & Others). Par exemple, dans une affaire concernant des vêtements importés arborant sans consentement des représentations artistiques à connotation spirituelle, le tribunal a entériné le préjudice individuel à l’égard de l’artiste, mais refusé de considérer que le droit fiduciaire coutumier du groupe sur l’oeuvre de ce dernier puisse donner lieu à une forme de réparation pour le groupe lui-même (John Bulun Bulun & Anor v. R&T Textiles Party Ltd). Ces limites du droit peuvent ainsi engendrer des tensions à l’échelle communautaire et mettre le patrimoine spirituel collectif à la merci d’initiatives individuelles préjudiciables. Enfin, c’est devant le Tribunal foncier et environnemental de la Nouvelle-Galles du Sud[7] que des Aborigènes ont contesté l’utilisation non autorisée et jugée offensante d’une image sacrée du créateur Wandjina sur un mât érigé par le propriétaire d’un spa santé (Tenodi v. Blue Mountain City Council). Dans cette cause, le propriétaire a plutôt été condamné en vertu du tort causé à la communauté non aborigène du secteur :

Une grande partie des préoccupations soulevées par les opposants concerne l’absence d’autorisation d’utiliser les images. […] cela n’est pas pertinent pour ma réflexion […], cependant, d’autres aspects de la sculpture, notamment la représentation de la bouche, sont offensants et ont un impact social inacceptable.

Tenodi v. Blue Mountain City Council : parag. 37

En somme, en raison de l’absence d’une protection constitutionnelle de la liberté de religion et d’une reconnaissance de droits sui generis aux Aborigènes qui se limite au titre ancestral sur le territoire, le cadre normatif australien offre en apparence moins de garanties solides à ces derniers quant à la reconnaissance et la protection de leurs droits à caractère spirituel. Sans compter que les lois sur le patrimoine, malgré la protection qu’elles sont susceptibles d’offrir aux sites et objets d’importance spirituelle, peuvent au contraire porter préjudice aux requérants aborigènes. Néanmoins, des décisions judiciaires favorables aux intérêts spirituels des Aborigènes sont tout de même rendues de manière ponctuelle, mais le plus souvent dans la mesure où les droits revendiqués sont présentés et défendus à titre de catégorie subsidiaire (Blakeney 2013 : 427), que ce soit à travers la reconnaissance d’un droit de propriété territoriale, comme motif de discrimination ou comme forme de propriété intellectuelle ; et cela, en fonction de lois qui ne sont pas modelées d’entrée de jeu pour recevoir et apprécier les particularismes des systèmes de croyances aborigènes, ce qui oblige notamment à certains compromis culturels, dans la mesure où la réalité ethnographique doit être reconfigurée de manière à satisfaire les canons du cadre normatif étatique.

Conclusion

Les succès juridiques obtenus par les Autochtones et les Aborigènes dans la défense de leurs droits à caractère spirituel ont été jusqu’ici mitigés en dépit d’environnements normatifs désormais plus sensibles à leur droit à l’autodétermination et à l’intégrité culturelle, de même qu’à l’importance de la réconciliation. Si les tribunaux reconnaissent la spécificité culturelle et spirituelle des populations autochtones et aborigènes, celle-ci est moins intégrée au droit étatique, dans le respect de sa nature inhérente, qu’appréciée au regard du prisme normatif dominant (voir Borrows 2008). Cette reconnaissance juridique demeure ainsi ancrée dans un cadre colonialiste où les revendications et le règlement des conflits relatifs aux spiritualités des Premiers Peuples cheminent à travers des institutions étrangères aux nations autochtones et aborigènes et dont les procédures et principes, bien que de manière différente au Canada et en Australie, ne coïncident pas de facto avec ceux culturellement valorisés par celles-ci. Cela se traduit entre autres par une forme de contrôle des tribunaux sur la représentation convenable et la recevabilité du rapport à la spiritualité en contexte autochtone et aborigène, en fonction de visées jurisprudentielles qui leur appartiennent. Dans un tel contexte, on voit mal comment une véritable démarche de réconciliation peut faire l’économie d’une plus profonde considération de la dimension symbolique à travers laquelle nombre d’Autochtones et d’Aborigènes conçoivent, à la base, la nature et l’orientation de leurs rapports avec les autres citoyens.