Figures ambiguës de la vie politique locale et nationale au Mexique, les institutrices et instituteurs du secteur public sont depuis les années 1920 un « rouage essentiel et ambivalent » (p. 188) de la formation et la construction de l’État et de la nation postrévolutionnaire. Endossant des fonctions auparavant dévolues au clergé, ils sont devenus de véritables « apôtres de l’éducation » (p. 225), notamment dans les communes rurales du Sud mexicain, alors majoritairement autochtones. « Opérateurs biculturels », « médiateurs culturels » ou encore « passeurs du politique » entre l’État central et les communautés autochtones, les instituteurs bilingues se retrouvent au croisement d’échelles de pouvoir et d’environnements politiques, sociaux et culturels très distincts (p. 22). Dans son ouvrage Maestras et maestros de Oaxaca. École et pouvoir au Mexique, l’anthropologue Julie Métais se penche sur le rôle joué par ces « acteurs pluriels » (Lahire 1998) dans la vie politique mexicaine à partir du contexte de l’État de Oaxaca. Forte de plusieurs recherches ethnographiques menées entre 2009 et 2013 auprès d’enseignants de la section locale (section 22) du Syndicat national des travailleurs de l’éducation (SNTE), l’auteure parvient à brosser un portrait « sans manichéisme » de ces femmes et de ces hommes, de « leurs pratiques situées, et de leur réalité nuancée » (p. 199). Elle échappe en ce sens aux grilles de lecture binaires et souvent trompeuses du maestro, qui est tantôt associé à la figure du héros révolutionnaire, tantôt à celle du cacique corrompu (p. 83). En partant des réformes nationales de l’éducation et des transformations du système corporatiste mexicain aux échelles fédérale et fédérée tout au long du 20e siècle, Métais décrit la nature des relations entre l’État central et les communautés locales. Les conflits politiques ayant marqué le contexte social et culturel oaxaqueño de ces dernières années — conflits auxquels une majorité des acteurs du corps enseignant ont pris part à travers leur engagement syndical — sont en ce sens parfaitement inscrits dans cette histoire longue du système mexicain. L’anthropologue reste toutefois bien consciente que cette approche en surplomb trahit souvent les pratiques réelles et les formes d’investissement de la politique par les différents acteurs que sont les parents d’élèves, les maestras et maestros ou encore les autorités municipales (p. 158). En effet, dans les municipalités et les communautés rurales autochtones les plus éloignées des grands centres urbains, les principes généraux des politiques étatiques ne se traduisent pas de façon systématique et uniforme, et font souvent l’objet d’appropriations et de contournements divers (p. 170). C’est pour éviter ce genre d’analyse « stato-centrée » que Métais a mené une enquête ethnographique auprès de plusieurs instituteurs enseignant dans ces communautés les plus reculées, en étant notamment attentive aux interactions les plus microscopiques et aux négociations à l’oeuvre entre ces différents acteurs. Toutefois, la qualité des données et la profondeur des analyses tirées de la recherche ethnographique ne surpassent pas le niveau des analyses plus surplombantes du système mexicain. En effet, même si les analyses des différentes échelles de l’activité politique des enseignants alors permises par l’ethnographie sont très réussies, les réalités observées sont trop rapidement réinscrites à l’intérieur des logiques corporatistes et structurelles déterminantes. En ce sens, même si l’auteure affirme s’éloigner des impressions d’homogénéité qui prédominent dans « les espaces de la politique institutionnelle » (p. 83) et — du même coup — les critiquer, elle retombe quelquefois dans ces lectures ordonnées d’un système politique et social mexicain pourtant très chaotique. Une analyse un peu plus détachée des perspectives « stato-centrées » mobilisées par les instituteurs — une analyse par exemple plus attentive …
Parties annexes
Référence
- Lahire B., 1998, L’homme pluriel. Les ressorts de l’action. Paris, Nathan.