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Fabre Daniel et Christine Laurière (dir.), 2018, Arnold Van Gennep. Du folklore à l’ethnographie. Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, coll. « Le regard de l’ethnologue », 374 p., illustr., bibliogr.[Notice]

  • Thomas Lecomte

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  • Thomas Lecomte
    Département d’anthropologie, Université de Montréal, Montréal (Québec), Canada

Le 16 octobre 1909, Arnold Van Gennep écrivait dans sa chronique du Mercure de France : « Je me place à l’égard des Savoyards comme s’ils étaient des sauvages et que leur pays fût situé au centre de l’Afrique » (Van Gennep 1909 : 692). Décrivant son terrain estival à Bonneville, en Haute-Savoie, Van Gennep introduisait alors une réflexion épistémologique novatrice dans le champ de l’ethnologie au tournant du XXe siècle. Avec un universalisme méthodologique aux antipodes de la vision du monde de ses contemporains et une volonté de dépasser les limites instaurées par ce « grand partage » qui sépare le « eux » et le « nous » (Fabre et Laurière 2018 : 11), Van Gennep ne cédait pas à la fascination « exotique » : il désacralisait et analysait sur le même plan les sociétés proches et lointaines. Cet éclectisme fut la marque d’un folkloriste marginal en son temps et aujourd’hui considéré comme l’un des précurseurs de l’ethnologie moderne par Daniel Fabre et Christine Laurière dans Arnold Van Gennep. Du folklore à l’ethnographie. C’est au cours d’un colloque organisé dans le cadre du programme BÉROSE promouvant l’histoire des savoirs ethnographiques européens qu’a germé l’idée de cette biographie collective codirigée par Fabre et Laurière. Témoin de son époque, le célèbre auteur des Rites de passage contraste en effet avec les anthropologues de cabinet qui occupaient alors des postes prestigieux. À partir de ses oeuvres classiques, des archives de ses chroniques incisives dans diverses revues, mais aussi des traces écrites laissées par ses nombreuses relations épistolaires, les treize contributeurs réunis ici, pour la plupart anthropologues, dessinent le paysage intellectuel complexe dans lequel « l’ermite de Bourg-la-Reine » (comme le surnommait Georges Henri Rivière) essayait de trouver sa place. Éclairant le lecteur sur « les différents rapports de force — disciplinaires, théoriques, idéologiques, institutionnels, personnels — qui rendent raison de son parcours scientifique » (p. 8-9), les quatorze textes composant cette biographie livrent un portrait nuancé de Van Gennep, loin de l’image poussiéreuse de folkloriste qui lui était accolée. Quatre parties structurent l’ouvrage. Dans la première, intitulée « Interroger la pensée primitive », le lecteur découvrira les travaux souvent méconnus de Van Gennep sur le terrain mouvementé des « religions primitives ». Alors tourné vers l’Australie ou Madagascar, il acquiert rapidement une renommée internationale, mais des clivages intellectuels l’opposant aux durkheimiens auront raison de ses perspectives universitaires en France. La partie suivante, intitulée « Chronique de la vie d’un ethnographe », porte sur l’engagement de Van Gennep à faire reconnaître l’ethnologie comme discipline à part entière. Cette question devient le théâtre d’un affrontement épistémologique avec son « frère ennemi » (p. 11), Marcel Mauss. La concurrence et les critiques à l’égard de sa vision de l’ethnologie, façonnée par des séjours en Algérie, vont pleinement contribuer à son repli vers le folklore. C’est ce repli qui amorce la troisième partie, « Ethnologie, folklore, histoire », dans laquelle les auteurs font état des débats entourant la définition du folklore. Là encore, Van Gennep s’illustre et s’oppose à de nombreux homologues, défendant l’idée originale que le folklore est une « science biologique » dont l’objet, dynamique, se renouvelle perpétuellement. Enfin, la dernière partie, intitulée « Des réseaux savants rivaux », clôture le livre et nous en apprend plus encore sur les rivalités qu’entretenait Van Gennep, un point nodal permettant de comprendre comment a évolué son parcours de scientifique.

Parties annexes