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Testart A., 2018, L’institution de l’esclavage. Une enquête mondiale. Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque des sciences humaines, 384 p.[Notice]

  • Simon Lavoie

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  • Simon Lavoie
    Chercheur indépendant, Québec (Québec), Canada

L’esclavage est licite et courant dans le monde précolonial. Il se rencontre au sein des aires africaine, orientale, asiatique, sud-est asiatique et américaine, et ce, jusqu’au XXe siècle dans certains cas. Ses nombreuses formes visent l’ostentation de la richesse plutôt que sa seule acquisition : gardes du corps, concubines, offrandes sacrificielles, domestiques, armées de masse ou corps d’élite. Loin d’être limitée aux prisonniers de guerre, la pratique s’applique aux membres d’un même groupe : réduction en esclavage du débiteur, vente de sa femme, de ses enfants, voire de soi pour cause de dette contractée volontairement ou non. Les sociétés n’ayant pas pratiqué l’esclavage semblent inférieures en nombre à leur vis-à-vis qui l’ont pratiqué ; « on compte sur les doigts d’une main les régions qui en ont été exemptes », écrit Testart (p. 17). La mise en lumière de cette immense étendue de l’esclavage marque le renouveau des études dont il fait l’objet depuis le milieu des années 1970 ; renouveau rompant avec les thèses qui postulaient l’origine et la diffusion de cette pratique depuis les seuls États constitués et qui en réduisaient l’utilisation à la seule visée productive. Dans cette réédition augmentée de L’esclave, la dette et le pouvoir… (2001), Alain Testart (1945-2013) approfondit les apports de ce renouveau avec l’ambition de découvrir, dans l’esclavage, un fonds de pratiques ancien et massif qui aurait sous-tendu et favorisé l’organisation du pouvoir politique en royautés et en États despotiques. La formulation d’une définition générale de l’esclavage est de première importance. Testart y parvient en s’appuyant sur le raisonnement juridique, dont il vante les vertus de rigueur (chap. 1). Le statut juridique, insiste-t-il, définit mieux l’esclave que ses conditions de vie, sa provenance et ses usages. Ce statut fait sens de la diversité enregistrée sur chacun de ces plans. Testart distingue l’esclavage d’une foule d’asservissements, dont la mise en gage et le travail pour dettes, qui n’impliquent pas, comme lui, de dépendance extrême envers un maître ayant droit de vie et de mort sur ses sujets, ni l’une ou l’autre de ces exclusions fondamentales : de la parenté, de la cité, de la communauté des croyants ou des dons somptuaires (de type potlatch). Le statut de l’esclave est celui d’un dépendant exclu de l’une de ces dimensions fondamentales de la société dont on peut tirer profit. Le dessin des contours spécifiques de l’esclavage requiert également une mise à distance mesurée des classifications vernaculaires par rapport à un référentiel gréco-romain dont la validité interculturelle semble avoir été trop facilement et trop longtemps admise (chap. 5 et 9). Bien que l’esclavage externe et interne se pratiquaient au sein des sociétés traditionnelles et dites primitives étudiées par les anthropologues, l’un et l’autre auraient été sous-estimés, voire gommés des ethnographies du fait d’une attention démesurée accordée à la parenté et au symbolisme ou d’un attachement à considérer uniquement l’esclavage comme la globalité d’un « mode de production », déplore Testart. L’esclavage interne pour cause de dette traduirait une fracture de la communauté sur laquelle se formeraient des pouvoirs étrangers aux sociétés où il est impossible : pouvoirs de la richesse, du prestige, de la dépendance et leur envers, la disgrâce des « gens de rien » (chap. 4). La découverte de cette potentialité de la vente de soi en esclavage, de la force et de l’emprise du prestige lié à la richesse fait qu’« [o]n n’en finit pas de se débarrasser du bon sauvage » (p. 146), et de réviser, notamment, la pratique du don par la dureté des relations qu’elle a pu instaurer. L’esclavage pour dette, ses conditions d’émergence, sa répartition et les exemples …

Parties annexes