Auteur et co-directeur de plus d’une trentaine d’ouvrages, signataire de plusieurs centaines d’articles, notes, commentaires, entretiens ou comptes rendus sur près de soixante-dix ans d’écritures, Georges Balandier a occupé toutes les positions institutionnelles possibles dans le champ français de la recherche en sciences sociales pendant plus de trente ans au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Il a été le directeur d’au moins deux cents doctorats en tous genres, le responsable éditorial de plusieurs revues et collections d’ouvrages de sciences sociales (notamment aux Presses universitaires de France), un professeur d’université et un directeur de séminaires charismatique, le directeur et animateur de plusieurs centres de recherche d’études africaines et surtout de comités ou de commissions de recrutement et de programmation scientifique. Sans exagérer, on peut affirmer qu’il a véritablement assumé le rôle du fondateur des études africaines et du Tiers-monde, du Sud, dirait-on maladroitement aujourd’hui en France. Comme bon nombre de ses collègues qui ont réinventé les sciences sociales au cours des deux décennies de l’après Seconde Guerre mondiale et les ont fait prospérer au cours des « Trente Glorieuses » (Mendras 1995), G. Balandier a d’abord été l’analyste original d’une double conjoncture et situation, celle de la situation coloniale comme de sa contestation et donc de la décolonisation qui s’en est suivie. Il a manifesté une pensée foisonnante, libre de toute ascendance ou cooptation, qui, tout en s’affirmant engagée, restait prudente dans ses prises de position politique ou sociétale. Sa science sociale, tout à la fois anthropologique et sociologique, a cherché par la suite, au cours d’une seconde carrière après son départ à la retraite en 1985, à affronter les « turbulences » du temps présent, les innovations de sa « sur-modernité », ce qui l’a conduit à devenir un explorateur des « nouveaux Nouveaux Mondes » (expressions toutes forgées initialement par ses soins). Ces nouveaux mondes (des biotechnologies, des réseaux numériques, de la globalisation mais aussi de la dissolution du lien social et politique) ne pouvaient être repérés que par le recours au Détour (1985), un détour aux vertus proprement anthropologiques tant au plan conceptuel que méthodologique. Valorisant l’écriture (il s’est parfois qualifié lui-même d’écrivain), manifestant une performance orale et pédagogique hors-pair (ce qui explique la force et la permanence de sa réputation d’enseignant comme de responsable de séminaire), il a personnifié l’image d’un bâtisseur d’empire, bienveillant, imaginatif mais également solitaire, puisqu’il n’a jamais cherché à fonder une école théorique ou méthodologique, la dispersion de ses centres d’intérêts et la multiplicité de ses ancrages institutionnels (FNSP, ENS, CNRS, ORSTOM-IRD, VIe section de l’EPHE, EHESS, Université Paris Descartes) empêchant de fait toute cristallisation disciplinaire, théorique ou idéologique. Il a consacré plusieurs ouvrages tout au long de sa carrière, l’équivalent peut-être d’au moins mille cinq cent pages, à méditer sur ses terrains africains (Afrique ambiguë, 1957), sur le cheminement de sa vie et de son expérience professionnelle, avec un retour très marqué sur ses terroirs d’origine et ses années de « formation » à Paris, dans la Résistance ou encore au Musée de l’Homme dans Conjugaisons (1997) et Carnaval des apparences (2012), sans oublier Histoire d’Autres (1977), où il retrace les portraits de ses multiples fréquentations. Il faut dire qu’il s’agit là en fait d’un très ancien penchant, puisque, influencé par Michel Leiris qu’il a fréquenté après la Seconde Guerre mondiale, il avait publié dès 1947, dans une collection dirigée par Maurice Nadeau, une autre de ses connaissances, une « autobiographie arrangée », Tous comptes faits, qui était « plus qu’un roman », pour reprendre ses propres termes. Dans un long entretien, enregistré en …
Parties annexes
Références
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