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L’excellent ouvrage, à plus d’un titre, qui fait l’objet de cette recension, est issu de la thèse de doctorat en sociologie et en anthropologie politique de Jérôme Michalon, dirigée par la sociologue Isabelle Mauz et soutenue à l’Université Jean Monnet, à Saint-Étienne (France), en septembre 2011. La directrice signe la postface du livre et Vinciane Despret la préface, signalant ainsi un fertile compagnonnage de pensées.
L’auteur lui-même est socioanthropologue, chercheur au laboratoire Environnement Ville Société du Centre Max Weber (Saint-Étienne et Lyon, France). Ses recherches portent sur les évolutions des relations anthropozoologiques dans les sociétés occidentales contemporaines. Il est président de l’association de chercheurs en sciences humaines et sociales IPRAZ[1], et cofondateur du groupe de travail de l’AISLF Études animales.
Dans ce travail pionnier, Jérôme Michalon s’attache à rendre compte de ce qu’il appelle le « soin par le contact animalier », constellation de savoirs, de pratiques et de réseaux d’acteurs impliquant l’animal dans les soins destinés aux humains – soins dont les différentes dénominations (zoothérapie, médiation animale, etc.) sont chargées d’implications pour les praticiens et leur quête de légitimité. Cette incursion offre la possibilité au chercheur de saisir certaines dynamiques de requalification des relations anthropozoologiques dans les sociétés occidentales contemporaines. Il formule ainsi l’hypothèse de l’existence de deux régimes d’action dont l’influence réciproque renforce la légitimé sociale de l’un et de l’autre : le régime de bienveillance envers les animaux et celui de la singularisation des animaux. Ces deux dynamiques tendent en effet vers une représentation de l’animal comme « vivant-personne »[2] (à opposer à « vivant-matière »), notion qui s’impose lorsque l’auteur rend compte de ce que l’animal fait faire – par ce qu’il fait et par ce qu’il s’abstient de faire – au cours des séances de soin qu’il observe.
Le chercheur circonscrit au terme de son enquête trois-plus-un opérateurs de la requalification évoquée : la santé humaine, mobilisée en tant que « bien en soi »[3] par les acteurs des soins par le contact animalier ; la critique, qui stimule l’émergence et le dynamisme de cette constellation de soins ; le poids de la parole scientifique, les sciences de la nature étant le porte-parole officiel du monde animal non humain, leur mobilisation apparaît comme nécessaire. Le dernier opérateur est celui du care, comme activité et comme sollicitude. Il est doublement au coeur des séances de soin puisqu’il s’agit à la fois de s’occuper des animaux et des bénéficiaires. Pourtant, le care, si central dans les séances, est occulté lorsqu’il s’agit de rendre les pratiques de soins publiques. Celles-ci sont présentées, dans une démarche de légitimation, sous l’angle opposé au care : celui du cure, pôle dominant et technique du monde de la santé humaine. Cette valorisation du premier sur le second conduit paradoxalement à une occultation de l’animal comme vivant-personne, aspect relationnel pourtant essentiel dans les séances de soin. Cette analyse du quatrième opérateur est fondamentale dans le travail de Jérôme Michalon, puisqu’il apparaît comme une clé pour comprendre les enjeux de légitimation pour les soins par le contact animalier.
Cet important travail s’inscrit dans le champ, en fort développement depuis une vingtaine d’années, des études des relations entre les humains et les animaux en sciences humaines et sociales[4]. Plus précisément encore, l’importance accordée aux relations, aux situations de « coprésence humanimale », permet de le situer dans le champ des ethnographies multispécifiques. Dans ce cadre, le chercheur identifie des agencements humanimaux qui mettent en évidence le besoin d’autres êtres pour être humain et le rester. Et en effet, le care rapproche les êtres de l’humanité et son absence les en éloigne. L’auteur mobilise ainsi une anthropologie du care pour s’intéresser à la vulnérabilité, à la dépendance et à l’affectivité des êtres humains, ainsi que pour développer une sociologie pragmatique de la bienveillance envers les animaux. On l’aura compris, la théorie de l’acteur réseau est également convoquée, ainsi que l’anthropologie symétrique de Latour. Il faut enfin citer les influences de la sociologie des sciences, de la santé et des professions.
Jérôme Michalon livre ici une recherche sérieuse, cohérente, riche, engagée et bien écrite, en prise avec des questions que l’actualité n’a pas fini de poser.
Parties annexes
Notes
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[1]
Imaginaires et pratiques des relations anthropozoologiques (IPRAZ). L’association a organisé son colloque régulier en juillet 2014. Voir son site (http://anthropozoo.sciencesconf.org/), disponible en date du 4 octobre 2014.
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[2]
Notion empruntée au sociologue André Micoud.
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[3]
Cette expression, comme les autres citées entre guillemets, est récurrente dans l’ouvrage.
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Pour un aperçu des développements récents dans ce champ, voir notamment le numéro spécial de Sociétés (2010) ainsi que Gouabault et Burton-Jeangros (2010).
Références
- Imaginaires et pratiques des relations anthropozoologiques – IPRAZ, 2014, Colloque Relations anthropozoologiques. Nouvelles approches et jeunes chercheurs en SHS. Grenoble, 8-10 juillet, disponible sur Internet (http://anthropozoo.sciencesconf.org), le 4 octobre 2014.
- Gouabault E. et C. Burton-Jeangros, 2010, « L’évolution des relations humain-animal. Frontières et ambivalences », Sociologie et Sociétés, 42, 1 : 299-324, disponible sur Internet (DOI : 10.7202/043967ar), le 4 octobre 2014.
- Sociétés, 2010, 2, 108, « Relations anthropozoologiques. L’animal conjugué au présent des sciences sociales ».