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Si la chanson réussit aujourd’hui à s’imposer comme objet de recherche légitime, son étude demeure relativement marginale. Aucune approche n’est propre au genre, comme l’écrit Jean-Nicolas de Surmont dans Vers une théorie des objets-chansons (p. 14). Ce chercheur indépendant est encore souvent associé à son travail sur La Bonne chanson de l’abbé Gadbois (2001). Plusieurs de ses articles moins connus autour de la chanson ont récemment fait l’objet de quatre livres indépendants (2010a, 2010b, 2010c). L’ouvrage Vers une théorie des objets-chansons est le quatrième. Son style érudit porte à croire que le public cible est celui des professeurs d’université et de collèges, des étudiants de maîtrise et de doctorat.
Le titre du livre pose d’emblée le concept d’objet-chanson afin d’établir une distinction entre les phénomènes sociohistoriques de la chanson – analyse externe – et l’objet-chanson fixé, paroles et musique – analyse interne. Ce découpage, comme le mentionne l’auteur (p. 24), rappelle celui de la sémiologie de la chanson de Robert Giroux, qui établit une distinction entre la chanson comme contexte sociohistorique, et une chanson comme oeuvre, avec ses paroles, sa musique et son interprétation. La première partie du livre, au chapitre 1 (p. 21-45), porte sur diverses approches de type historique, analytique ou artistique. Les approches historiques postulent un travail à partir de sources premières – archives, presse et autres. Celles-ci recoupent les travaux de Paul Zumthor, Patrice Coirault, Conrad Laforte, André Gaulin, Lucien Rioux, Bruno Roy, Robert Thérien et Richard Baillargeon. Viennent ensuite les diverses approches analytiques des recueils de paroles ou de partitions, d’enregistrements sonores ou de performances scéniques filmées. On y retrouve les écrits de Robert Giroux, Colette Beaumont-James, Stéphane Hirschi, Line Grenier, Chantal Savoie, Serge Lacasse, Philip Tagg et Gérald Côté. À cela s’ajoutent enfin les approches artistiques des auteurs-compositeurs de métier comme Robert Léger et Stéphane Venne. La liste ne se veut pas exhaustive. Cette synthèse des approches de la chanson donne une vue d’ensemble tout à fait intéressante, mais dont la lecture est par moment difficile à suivre. Pour quiconque aspire à devenir spécialiste de la chanson, la lecture de l’ouvrage de Jean-Nicolas De Surmont s’imposera un jour ou l’autre. Elle ne pourra toutefois pas remplacer à elle seule la fréquentation des travaux d’auteurs cités.
Les lecteurs familiers avec les écrits de Jean-Nicolas de Surmont retrouveront aux chapitres 2 et 3 (p. 47-77) plusieurs termes et expressions pour nommer les déclinaisons de la chanson : phénomène chansonnier, poésie vocale, pratique vocale, chanson signée, chanson de tradition orale, folklorisation, oralisation, etc. L’auteur propose ici d’affiner sa classification, surtout en ce qui a trait aux métissages entre tradition orale et chanson originale (p. 59). L’intention est de proposer un lexique passe-partout pour aborder la chanson du Moyen Âge à aujourd’hui. Les propositions terminologiques de l’auteur posent en termes savants des désignations parfois ardues à distinguer. À ce titre, il est bon de noter qu’une même chanson pourra être catégorisée selon plus d’une appellation, selon l’angle choisi. Par exemple, la chanson hybrideinterne sert à identifier des variantes dans deux versions d’une même chanson. La chanson hybride externe indique un substrat d’un texte ou d’une musique de tradition orale dans une chanson originale. La chanson polymorphe révèle qu’une même mélodie sert à chanter plusieurs textes, ou inversement, qu’un texte aura été mis en musique par plusieurs compositeurs – non entendu au sens d’une oeuvre collective. La chanson signée folklorisée indique la citation, en tout ou en partie, d’un texte ou d’une musique de tradition orale dans une chanson originale. La chansonsignéeoralisée désigne une chanson dont on oublie petit à petit qui était l’auteur. La chansonsignéemétissée identifie une chanson qui emprunte, en tout ou en partie, son sujet d’inspiration à la tradition orale. La chanson de tradition orale littérarisée indique l’assimilation d’un titre de tradition orale à la culture littéraire.
La dernière partie, aux chapitres 4 et 5 (p. 79-120), porte sur la critique du mot populaire et les conflits de valeur esthétique en matière de chanson. L’auteur déplore l’abandon de l’« origine du peuple » pour son remplacement relativement récent par des chiffres de vente. Il est loisible de se demander, et non uniquement au XXe siècle, si une théoriegénérale de la chanson doit accorder autant d’égard aux métissages de traditionorale dans la création originale ? Des chansonssignées de styles divers sont aussi entre elles sources d’innombrables métissages créateurs que l’auteur a insuffisamment problématisés. On pourrait d’ailleurs souhaiter pour la suite qu’une histoire linguistique de la chanson s’attarde à l’étude de mots dont l’apparition dénote des changements signifiants intervenus dans l’histoire des pratiques de la chanson : timbre, danse de campagne (au sens de contredanse, country dance), rigodon, diseuse, café-concert, music-hall, revue, burlesque, cabaret, variétés et groupe (au sens d’orchestre), notamment.
Parties annexes
Références
- De Surmont J.-N., 2001, La Bonne Chanson. Le commerce de la tradition en France et au Québec dans la première moitié du XXe siècle. Montréal, Triptyque.
- De SurmontJ.-N., 2010a, Poésie vocale et chanson québécoise. Québec, L’instant même.
- De SurmontJ.-N., 2010b, Chanson, son histoire et sa famille dans les dictionnaires de langue française. Tübingen, Max Niemeyer Verlag.
- De SurmontJ.-N., 2010c, De l’Écho canadien à la Lanterne québécoise : comment la chanson est devenue la figure de proue de l’identité québécoise, 1850-2000. Québec, Éditions Gid.