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Les doubles méditerranéens, du mythe à l’histoireD’Onofrio Salvatore, 2011, Le sauvage et son double. Paris, Les Belles Lettres, Collection Vérité des mythes, 272 p., bibliogr., index.[Notice]

  • Régis Meyran

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  • Régis Meyran
    Laboratoire Interdisciplinaire Récits, Cultures, Et Sociétés – LIRCES (EA-3159), UFR LASH, Université Nice – Sophia Antipolis, Campus Carlone, 98 boulevard Edouard Herriot, BP 3209, 06204 Nice cedex 3, France
    meyranr@yahoo.fr

Le thème du double et particulièrement celui de la gémellité existent dans les mythologies du monde entier. Ils constituent par ailleurs un motif classique dans la littérature occidentale du XIXe siècle : pensons à William Wilson de Poe (1965 [1839]), Docteur Jekyll et Mister Hyde de Stevenson (1999 [1886]), Le Double de Dostoïevski (1980 [1846]), etc., avant d’être largement mis en scène au cinéma, avec par exemple À l’est d’Eden d’Elia Kazan (1955), Faux-semblants de David Cronenberg (1988), ou La moustache d’Emmanuel Carrère (2005). Ils reviennent régulièrement en sciences humaines, sans qu’ils soient traités de manière convaincante : pensons au nombre incalculable d’études psychologiques parues sur les jumeaux, qui témoigne peut-être avant tout de la fascination que le sujet continue de susciter ; ou alors aux hypothèses d’un René Girard (1972) et sa théorie du bouc émissaire, qui ne font pas toujours l’unanimité. L’une des premières tentatives d’analyser la dimension imaginaire et mythique du double a été celle du psychanalyste Otto Rank en 1914, dans une étude qui fut republiée sous le titre Don Juan et Le Double. Repérant des couples de jumeaux dans de nombreuses mythologies, Rank note très justement qu’un jumeau est tué quand l’autre fonde une ville. Mais l’explication qu’il propose, purement psychanalytique, ne satisfait pas complètement : selon lui, cet acte de fondation s’explique par la nécessité du jumeau survivant de s’émanciper de la domination maternelle. Au-delà de cette interprétation psychologique, on est en droit de se demander pourquoi le thème du double possède en Occident une telle force, et s’il ne faudrait pas chercher plutôt des explications de type culturel. Aujourd’hui, Salvatore D’Onofrio reprend cette question en anthropologue structuraliste, ce qui à notre connaissance n’a jamais été fait, dans un ouvrage érudit et plaisant à lire, en resserrant son étude sur le pourtour méditerranéen. Disons un mot sur l’originalité de la méthode, qui consiste à analyser non pas des mythes au sens classique de l’ethnologie, mais plutôt un ensemble de « textes littéraires mythiques ». Par cette expression, il faut entendre des formes de littérature orale (mythes, contes, légendes) qui ont été fixées ultérieurement par écrit, et furent rédigées par un ou plusieurs auteurs, généralement anonymes ou mal identifiés. Suivant la méthode initiée par Claude Lévi-Strauss, D’Onofrio explique que, pour analyser ces textes mythiques, la version ou la traduction choisie importent peu, car les éléments constitutifs du mythe, comme la relation qu’ils entretiennent entre eux, se retrouvent dans toutes les versions, quelles que soient les transformations qu’ils ont subies. Et de toute façon, la démarche consistant à vouloir étudier l’ensemble de toutes les versions d’un mythe serait illusoire, dans la mesure où il n’existe aucun mythe initial et où l’ensemble des versions du mythe est potentiellement infini. Dans l’ouvrage qui nous préoccupe ici, le corpus étudié est fait de textes mythiques issus du pourtour méditerranéen exploitant le thème du double. Ces textes, explique l’auteur, comportent trois caractéristiques : la redondance (à savoir la triple répétition de motifs événementiels dans le récit) ; le double niveau de signification des événements (dans le récit et dans le contexte ethnographique) ; enfin, la présence d’énigmes (soit des informations masquées, mais déchiffrables). À partir de ce corpus, l’analyse des textes est menée, classiquement, selon la méthode structurale lévi-straussienne, dans une perspective qualifiée toutefois de « mitigée ». Cela signifie que D’Onofrio ne s’engage pas dans le formalisme qu’avait proposé Claude Lévi-Strauss avec sa formule canonique des mythes, qu’il s’intéresse surtout à des oppositions significatives, et enfin qu’il fait des textes mythiques une lecture à la fois paradigmatique et syntagmatique, comme dans la célèbre analyse du mythe d’Oedipe …

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