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C’est au coeur de son ouvrage que Marina D’Amato nous rappelle cette réflexion du philosophe Willard Quine : il n’y a pas de différences de nature entre les objets physiques et l’existence des dieux mais une différence de niveaux. À ce titre, penser le matériel en relation avec l’immatériel conduirait à envisager et à identifier, sans postuler a priori de primauté des uns sur les autres, des niveaux logiques pour la philosophie analytique, et des niveaux d’interprétations contextualisées pour la sociologie et l’anthropologie. Dans ce prolongement, et dès les premières lignes de son ambitieux mais néanmoins synthétique essai, notre auteure voit dans la polysémie et la polymorphie des productions imaginaires contemporaines la possibilité d’une saisie des effets concrets sur les individus des arrière-fonds sociaux et culturels. Le prisme choisi s’inscrit d’emblée dans le cadre d’une pratique de terrain exigeante qui vise à mettre en évidence les conséquences de la globalisation de l’imaginaire médiatisé auprès de jeunes publics. L’étude porte sur des supports divers (dessins animés, émissions pour enfants, jeux vidéo, etc.) et tend à explorer cette tension problématique récurrente : comment interpréter la mise à l’épreuve de la fonction créatrice – voire de perpétuation – de l’imaginaire par les flux et les dynamiques de transformation que sécréterait le contexte de la mondialisation ? Plus largement, M. D’Amato met en regard deux modes d’interprétation du réel au travers de deux modalités d’humanité : l’homme « moderne » qui voit, dans les dispositifs de représentation, une capacité d’action et d’appropriation du monde ferait face à l’homme « postmoderne », ce sujet de communication par excellence, qui, par le rejet de la dichotomie sujet-objet, institue un rapport d’immédiateté à ce qui l’entoure. De fait, au travers de la mise en tension dialectique de ces deux appréhensions du sujet contemporain, M. D’Amato en vient à formuler l’interrogation suivante : notre contexte techno-communicationnel peut-il faire advenir un imaginaire uniquement fondé sur la présence des images qui disqualifierait, à terme, le mot, la parole située au profit de l’icône abstraite et détachée ?
Afin de remonter le fil de ce questionnement, l’ouvrage se découpe selon deux lignes de force complémentaires. Une première s’efforce de creuser théoriquement le concept même d’imaginaire. Assez redevable de l’héritage conceptuel légué par Gaston Bachelard et Gilbert Durand, cette approche préliminaire tente de circonscrire l’hétéroclisme apparent des productions fictives actuelles en soutenant un projet épistémologique ambitieux : saisir des persistances symboliques et mythiques (et on voit ici les références à l’archétypologie durandienne) tout en rendant l’analyse attentive aux processus de transformation. En conséquence, la dialectique mettant en résonnance l’imaginaire (comme matrice fondatrice et mémorielle) et l’imagination (cette « folle du logis » comme se plaisait à la qualifier Malebranche, parée de vertus créatrices et innovantes) permet de pointer des processus complexes d’idiosyncrasie et de conformations sociales plus générales. Dans cette optique, l’art, le jeu, le mythe apparaissent comme autant de lieux cathartiques dans lesquels peuvent s’inventer mais aussi se perpétuer des modalités de relation au réel. Il est au passage possible de regretter la vision extrêmement classique mobilisée dans l’analyse de la création artistique et de l’activité ludique. En effet, dans le contexte « post » largement évoqué par l’auteure, l’appréhension de l’art et du jeu au travers de leurs « simples » fonctions de pure représentation, de sublimation et de gratuité est-elle toujours conceptuellement adéquate ?
La seconde ligne de force s’attache quant à elle à problématiser plus précisément les contenus des mythologies modernes. Ici encore, l’ambiguïté et l’ambivalence de leurs trames narratives révéleraient de façon plus profonde l’état de nos identités travaillées par la mondialisation. Les héros d’aujourd’hui (de dessins animés, de jeux vidéo, etc.) qui peupleraient nos perceptions imaginaires seraient à nos images. Fruits d’identités morcelées, ils seraient sans attache, plongés dans une perception du temps fondée sur l’éternel recommencement. Personnages dépourvus de mythe fondateur, ils traduiraient une conception utilitariste marquant un surinvestissement de l’objet au détriment des liens entre sujets. Là où le propos de ce voyage en « Téléfantaisie » prend toute son importance, c’est justement lorsque sont étudiées les nouvelles logiques de la participation à ces imaginaires médiatisés. Au-delà du constat reprenant en fin de compte la métaphore désenchantée du présent mué en cage de fer technologisée, il est en effet crucial de reconnaître avec M. D’Amato la nécessaire compréhension de phénomènes de participation mobilisant l’individu dans sa totalité. Désormais, l’image n’est plus seulement contemplée ou admirée. Elle est aussi vécue, appropriée par des formes d’expériences créatrices et sensibles. L’imaginaire, en particulier imagé, ne peut plus être conçu comme une forme distante. L’image se fait interface dynamique et modulée par les interactions que nous entretenons avec elle. Par conséquent, il est dommage que l’ouvrage n’ait pas mis plus l’accent sur cette interrogation centrale que pose la réception des contenus proposés par cette mondialisation de l’imaginaire. La trame extrêmement ramassée mais toujours claire du texte laisse, certes, peu de place à ce développement. Cependant, le chantier évoqué en conclusion de ce foisonnant travail et consistant en l’appréhension des formes massives, industrialisées et reproductibles des productions imaginaires contemporaines en relance la nécessité.