Résumés
Résumé
Le jongo est une danse afrobrésilienne développée par les anciens esclaves dans les grandes exploitations agricoles du Brésil où se cultivait le café au XIXe siècle. Au cours du XXe siècle, l’urbanisation et la migration vers les grandes villes brésiliennes l’ont pratiquement fait disparaître. Il n’existait plus que dans de petites villes pauvres ayant connu une dégradation économique après l’abolition de l’esclavage et le déclin de la culture du café. Aujourd’hui, la population afrobrésilienne de ces localités utilise le jongo pour construire une identité et une mémoire dans le contexte des politiques d’affirmation culturelle. Cette pratique attire l’intérêt et l’appui des étudiants et des chercheurs en ce qu’elle légitime les identités (noire et brésilienne) de cette population et ses « lectures » de l’histoire et de l’esclavage, tout en facilitant son accès à des fonds privés et gouvernementaux. Le jongo constitue une illustration de la nouvelle performativité afrobrésilienne dans le contexte de la transnationalisation du mouvement noir et de ses revendications anciennes et nouvelles.
Mots-clés :
- Simonard,
- jongo,
- rythme afrobrésilien,
- culture afrobrésilienne,
- mémoire,
- tradition,
- politiques publiques de réparation
Abstract
The jongo is an Afro-Brazilian dance created by ancient slaves in large farms in Brazil where coffee was grown in the nineteenth century. During the twentieth century, urbanization and migration to major cities in Brazil have almost been banished. It would happen only in small cities that have experienced economic decline after the abolition of slavery and the decline of the coffee culture. Nowadays, these Afro-Brazilian communities use the jongo to build an identity and a memory in the context of cultural affirmation. This practice attracts the interest and the support of students and researchers because it legitimates the identities (Black and Brazilian) of this population and its « understandings » of history and slavery, while facilitating its access to private and governmental funds. The jongo is an illustration of the new Afro-Brazilian performativity in the context of the transnationalization of the Black movement and of its former and new claims.
Keywords:
- Simonard,
- Jongo,
- Afro-Brazilian Rhythm,
- Afro-Brazilian Culture,
- Memory,
- Tradition,
- Public Policy
Resumen
El jongo es una danza afrobrasileña desarrollada por los antiguos esclavos en las grandes plantaciones de café en Brasil, durante el siglo XIX. Durante el siglo XX, la urbanización y la migración a las grandes ciudades en Brasil lo han hecho desaparecer casi por completo. El jongo sólo existía en las pequeñas ciudades pobres que han experimentado un declive económico después de la abolición de la esclavitud y la decadencia de la cultura del café. Hoy en día, la población afrobrasileña de estas localidades utiliza el jongo para construir una identidad y una memoria en el contexto de las políticas de afirmación cultural. Esta práctica atrae el interés y el apoyo de estudiantes e investigadores que legitiman las identidades (negra y brasileña) de esta población y su « lectura » de la historia y de la esclavitud, al tiempo que facilita su acceso a los fondos privados y a los fondos del gobierno. El jongo es un ejemplo de la nueva performatividad afrobrasileña en el contexto de la transnacionalización del movimiento negro y sus antiguas y nuevas reivindicaciones.
Palabras clave:
- Simonard,
- jongo,
- ritmo afrobrasileño,
- cultura afrobrasileña,
- memoria,
- tradicíon,
- políticas públicas de reparacíon
Corps de l’article
Le jongo est une manifestation culturelle afrobrésilienne des communautés pauvres, noires et métisses du Sudeste brésilien, géopolitiquement formé par les États de Rio de Janeiro, de São Paulo, de Minas Gerais et d’Espírito Santo. Le jongo, dans lequel figurent la percussion, la danse collective et le magico-religieux, est une manière de célébrer les ancêtres, de consolider des traditions et d’affirmer les identités. Il puise son origine dans les savoirs, les rites et les mythes des peuples africains, surtout ceux en provenance des régions où prévalait la langue bantoue, et résulte de l’interaction entre plusieurs cultures : celle des esclaves nés au Brésil ; celle des Africains qui y vivaient il y a longtemps ; celle des Africains nouveaux venus au XIXe siècle ; et de celle des maîtres d’esclaves. Pendant la deuxième partie du XIXe siècle, le jongo était un moyen utilisé par les esclaves pour maudire leurs maîtres, organiser des fuites, fêter les naissances des enfants, célébrer les jours sacrés et éventuellement, s’amuser, si toutefois c’était possible.
Quand l’esclavage a été aboli le 13 mai 1888, les afro-descendants affranchis ont continué à danser, à chanter au son de tambours et d’autres instruments utilisés dans la roda de jongo[1].
Durant le XXe siècle, le jongo a disparu de plusieurs communautés qui comptaient des descendants d’esclaves en raison des migrations ; du processus d’urbanisation ; du remplacement du jongo par d’autres manifestations davantage valorisées par le marché des biens symboliques ; et, enfin, en raison de la honte suscitée par les préjugés ainsi que de la discrimination raciale liée aux pratiques culturelles afrobrésiliennes. Il n’existait plus que dans quelques petites villes appauvries par la dégradation économique à la suite de l’abolition de l’esclavage et du déclin de la culture du café. Aujourd’hui, la population afrobrésilienne de ces localités utilise le jongo pour se construire une identité et une mémoire dans le contexte des politiques d’affirmation culturelle. Il renaît et se renouvelle sous l’impulsion du travail de jeunes gens ayant pris conscience que le jongo pouvait être un outil d’affirmation de l’identité pour les habitants des communautés jongueiras[2]. Ils ont mis en place un réseau d’appui qui attire l’intérêt d’étudiants et de chercheurs qui cherchent à légitimer leurs identités (noire, africaine, brésilienne), leurs « lectures » de l’histoire et de l’esclavage ainsi que leur accès à des fonds privés et gouvernementaux. Le jongo constitue une illustration de la nouvelle performativité afrobrésilienne.
D’après Butler, la performativité est le résultat de la « réitération d’une norme ou d’un groupe de normes » (Butler 1998 : 78) qui préexistent au sujet ou au groupe. Cette réitération permanente permet la matérialisation de tout ce que les normes désignent. Les normes sont performatives parce qu’elles sont des contraintes. L’antériorité des normes et leur nature contraignante font qu’elles sont perçues par ceux qui leur sont soumis comme étant « naturelles », et non pas historiques. Dans certains contextes, comme celui dont on discutera dans cet article, les groupes dominés peuvent s’emparer des normes qui leurs sont imposées et les contester, en contestant simultanément la structure sociale dominante. Les normes agissent alors comme des constructions sociales modifiables. Dans ce cas, la performativité des normes est subversive. On verra ainsi que les communautés jongueiras se sont emparées des normes et des préjugés qui les concernent en les modifiant et en leur attribuant de nouvelles significations, ce qui leur a permis de façonner une nouvelle identité.
Récemment, les participants aux mouvements de lutte pour les droits des Noirs ont influencé le gouvernement brésilien afin qu’il établisse des politiques d’appui aux communautés jongueiras. Dans cet article, j’essaierai de montrer comment les communautés jongueiras attribuent un nouveau sens au jongo et l’utilisent pour « performer » leur nouvelle identité, creuset de l’estime de soi[3]. Ce processus de reconstruction identitaire forme la base de revendications et de luttes contre le racisme, les préjugés et l’exclusion sociale.
La tradition du jongo
Le jongo est à la fois un rythme afrobrésilien et le nom de la danse qui l’accompagne[4]. Lors des manifestations jongueiras, les participants forment un cercle et quiconque veut danser se dirige vers le centre où il danse avec une personne du sexe opposé. Lorsqu’un autre participant désire danser au centre du cercle, il doit s’adresser au participant du même sexe déjà en place et toucher son épaule pour pouvoir commencer à danser. Celui-ci retourne alors à la place qu’il occupait dans le cercle. Jadis, le jongo était dansé en plein air. On frappait sur des tambours et les paroles des pontos[5] étaient dites ou chantées à minuit parce que les jongueiros croyaient que c’était l’heure appropriée pour engager une communication avec les ancêtres. La danse était l’occasion de vénérer les ancêtres.
Pour participer aux rodas de jongo, il fallait être des proches, des amis et des voisins adultes du jongueiro, la personne responsable de l’organisation du jongo. Les proches du jongueiro pouvaient être invités à participer, mais ils ne pouvaient que boire, manger et danser. À moins d’être des jongueiros renommés, ils ne pouvaient pas jeter un ponto ou jouer du tambour. Les rodas de jongo étaient, et sont encore, des moments pendant lesquels la communauté réaffirme et renforce ses valeurs, ses principes et ses liens sociaux. Ainsi, au cours des rodas de jongo, les leaders se disputaient le pouvoir et le contrôle sur les membres de la communauté. Les invités n’étaient pas encouragés à jouer un rôle plus actif dans les rodas puisqu’ils ne connaissaient pas la culture et les règles de la communauté à laquelle ils rendaient visite. Ils devaient donc s’abstenir d’y jeter des pontos et de jouer du tambour pour éviter d’être impolis ou de heurter les leaders locaux.
Les femmes et les hommes revêtaient des vêtements de fête. Tous les instruments dont on jouait (les trois tambours, le ganza, le reco-reco et la puíta) étaient fabriqués artisanalement. Les pontos étaient « dits » sous forme improvisée. Le jongueiro les « disait » une première fois et les participants les apprenaient en les répétant en choeur.
Il y avait différents types de pontos : ceux qu’on appelle de louvação (pour célébrer les ancêtres, saluer les saints « du jour » et ceux pour lesquels le jongueiro avait de la dévotion) ; de saudação (pour ouvrir le jongo et saluer les participants) ; de visaria ou bizarria (pour le divertissement) ; de demanda ou porfia (qui testait la compétence des jongueiros à improviser et à déchiffrer sa signification ; si personne ne le déchiffrait, le jongo restait amarrado[6]) ; de gurumenta ou gromenta (utilisé pour jeter un sort sur quelqu’un et/ou pour le provoquer en bagarre) ; d’encante (pour « appeler » les âmes des ancêtres à l’aide, si la roda n’était pas amusante) ; et de despedida (utilisés au moment où la fête finissait). L’expression « machado! »[7] était utilisée pour celui qui désirait faire cesser un ponto et en introduire un nouveau. La séquence de présentation était très standardisée et respectée : un ponto de louvação pour commencer, suivi d’un ponto de saudação ; les autres genres de pontos se succédaient ensuite jusqu’au ponto de despedida, annonciateur de la fin de la fête.
Dans l’ancien jongo, on demandait protection pour tous les participants. Ceux qui étaient initiés aux religions afrobrésiliennes et étaient des leaders du jongo effectuaient le rituel de la bénédiction des tambours, moment où ceux-ci étaient « offerts » aux ancêtres[8]. Les tambours utilisés pendant les rodas de jongo étaient considérés comme « magiques » et ne pouvaient pas être utilisés lors d’autres fêtes ou cérémonies. Les pontos de encantes et de demanda, ainsi que l’usage de la candonga (jeter des sorts sur celui ou ceux qui ne respectaient pas les codes de comportements valorisés par le groupe) étaient aussi en vigueur. Le jongueiro appelle sorcellerie (magia) les actions et les pontos servant à jeter des sorts, ainsi que les actions destinées à demander la protection des ancêtres. Le bananier, les tambours, les cendres d’un feu de camp et surtout les mots sont des éléments porteurs d’une grande puissance dans les actions de sorcellerie présentes dans le jongo. Plusieurs jongueiros se servaient d’un chapelet ou d’une guia (collier voué à un orixá[9] porté au cou) pour se protéger des sorts éventuels.
La sorcellerie permettait un contrôle sur les membres de la communauté jongueira et sur ceux qui participaient au jongo. Elle était l’un de ses éléments les plus importants ; elle a pourtant été aussi l’un des éléments responsables de sa quasi disparition : par exemple, la crainte que les enfants soient ensorcelés amenait le groupe à leur interdire de participer au jongo. À cause de cette interdiction, le processus de transmission de la connaissance et de la culture du jongo s’est interrompu avec le temps, de moins en moins de jeunes s’y intéressant. Quand les jongueiros vieillissaient et mouraient, il n’y avait personne pour les remplacer et pour transmettre leur savoir aux plus jeunes.
Le jongo faisait partie des structures de sociabilité des communautés où on le pratiquait. Les liens d’amitié et de parrainage se renforçaient au cours des activités nécessaires à sa réalisation : par exemple lors de la préparation des mets et boissons consommés pendant la fête (rôle des femmes) ; lors du rangement des tables, chaises et tabourets pour déposer aliments et boissons ainsi que pour s’asseoir (rôle des hommes et des femmes) ; et enfin lors de la préparation d’un feu de camp pour réchauffer les participants pendant la nuit, éclairer le parvis où la danse avait lieu, accorder les tambours et cuire quelques aliments – surtout le maïs, la patate et le manioc (rôle des hommes). Jusque dans les années 1980, la socialisation jouait peut-être le rôle le plus important. Aujourd’hui, la transmission de la tradition et la préservation du jongo sont aussi importants que la socialisation. C’est pour cela que les jeunes qui s’occupent du jongo aujourd’hui y ont apporté quelques changements.
Quand le jongo est dansé dans les théâtres, le cercle est maintenant remplacé par le demi-cercle, qui permet au public de voir la danse et le solo du couple qui se déroulent au centre. Le fait de revêtir des costumes multicolores au moment des spectacles est également le signe d’un changement, car ils ne sont normalement pas utilisés lors des fêtes. Le rôle des enfants s’est aujourd’hui renforcé ; la nouvelle génération a jugé que, sans la participation de ceux-ci, le jongo disparaîtrait, car il n’y aurait plus personne pour le chanter, le danser et jouer des tambours. Les éléments de sorcellerie ont par ailleurs presque tous disparu. S’ils continuent toutefois à être transmis à travers les histoires racontées par les aînés, ils sont devenus des signes de l’authenticité et de la légitimité de chaque groupe, des éléments constitutifs de sa mémoire et de son histoire.
Le jongo : revitalisation d’une pratique
Vers la fin des années 1980, le jongo est passé par une phase contradictoire. Dans les petites villes pauvres de l’ancienne « région du café », il avait déjà presque disparu. À Rio de Janeiro et à São Paulo, il était également en train de s’éteindre. Pourtant, c’est à ce moment-là qu’il connait paradoxalement un processus de renouvellement. Les jeunes gens des petites villes et les habitants du morro da Serrinha, un bidonville de Rio de Janeiro, ont compris que le jongo pourrait les aider à changer leurs vies.
Aujourd’hui, le jongo offre l’opportunité aux aînés de transmettre la tradition aux nouvelles générations, ce qui garantit son renouvellement. Chaque communauté jongueira dispose de ses histoires, de ses ancêtres, de ses personnes emblématiques, de sa mémoire. Le phénomène le plus remarquable est l’appropriation dans les récits de l’esclavage et de l’Afrique. Toutes les communautés racontent des histoires sur l’esclavage et les ancêtres africains. Ces références sont aussi présentes dans certains pontos. La mémoire du groupe est constamment construite et actualisée au moyen de ces histoires. Pour construire leur mémoire ainsi qu’une identité positive, les jongueiros ont donné de nouveaux sens à des stéréotypes ou à certaines des représentations discriminatoires de la différence[10] qui ont été élaborés par les couches sociales dominantes pour contrôler les Noirs brésiliens, mais qui sont déjà très répandus et employés par les militants du mouvement noir. L’intérêt du stéréotype est de procurer une reconnaissance immédiate, spontanée et visible. Il facilite la communication du groupe en direction du public désiré, et rend son discours plus facile à reconnaître et à interpréter. Les jongueiros ont profité de ces caractéristiques ; ils ont donné une nouvelle interprétation à ces signes et les utilisent maintenant pour construire une identité positive.
Pour que les stéréotypes puissent atteindre leur but de communication, les jongueiros les utilisent dans les sens que lui donnent les mouvements qui luttent pour les droits des Noirs brésiliens, mouvements déjà bien répandus dans la société, surtout dans la classe moyenne citadine. Un des premiers stéréotypes est celui de l’origine africaine de la sorcellerie, qui joue un rôle important. Elle fait partie du monde du jongo. Les aînés racontent plusieurs anecdotes où un jongueiro a chanté un ponto qui a fait du tort à un autre ou lui a jeté un sort, ce qui aboutit à des disputes. Cependant, la sorcellerie n’était utilisée que par ceux qui avaient beaucoup de connaissances sur la culture du jongo et qui étaient connus comme jongueiros cumba[11].
Depuis les ouvrages publiés au début du XXe siècle sur les religions afrobrésiliennes (principalement l’umbanda et le candomblé) par des anthropologues brésiliens, la sorcellerie est perçue comme une particularité des Africains et des Afrobrésiliens. Aujourd’hui, chaque communauté raconte des histoires sur les cumbas, sur leurs cumbas, des gens qui en guérissaient d’autres, ou qui en ensorcelaient d’autres, soit pendant le jongo, soit dans la vie quotidienne. Les anthropologues brésiliens considèrent cela comme le signe que la communauté s’est vraiment « enracinée » dans la culture afrobrésilienne. Il y a donc toujours quelqu’un pour connaître de manière approfondie les signes transmis par la tradition « venue » de l’Afrique par l’intermédiaire des esclaves. Toutefois, aujourd’hui, la sorcellerie n’est présente que dans les récits sur les anciens jongueiros.
Autre stéréotype adopté par les jongueiros, les vêtements dits « africains », qui sont portés pendant les spectacles. Les hommes portent des pantalons et des chemises, et les femmes des jupes larges et des chemisiers. Les communautés arborent des tissus blancs ou multicolores garnis de dentelles, de pailles et d’autres matériaux. Il s’agit ici d’évoquer des images du continent africain en vigueur au Brésil et ailleurs. La couleur blanche est aussi celle des habits des prêtres et prêtresses des religions afrobrésiliennes.
Parmi les éléments considérés comme hérités de l’Afrique figurent différents instruments, comme par exemple le ganza, le reco-reco et le puíta, qui peuvent être occasionnellement utilisés. Mais les tambours sont quant à eux systématiquement employés, et reconnus par tous comme des instruments d’origine africaine. Ils ont une grande importance : ils donnent le signal que la danse a déjà commencé. En outre, ils permettent la communication entre les vivants et les âmes des ancêtres. Maître Darcy, un ancien jongueiro du morro da Serrinha, faisait usage d’instruments occidentaux pour jouer le jongo. Son groupe, le Jongo da Serrinha, utilisait guitare, saxophone, flûte, basse électrique et autres instruments ; il en a été beaucoup critiqué par des gens liés à des mouvements de lutte pour les droits des Noirs qui lui reprochaient de ne pas être conforme à la tradition du jongo. Maître Darcy leur rétorquait qu’il procédait à des changements parce qu’il connaissait très bien la tradition, ce qui lui donnait toute latitude pour le faire. Ce débat montre que le rythme ne suffit pas à mettre en évidence l’origine afrobrésilienne de la musique ; il faudrait que même les instruments soient eux aussi « venus » d’Afrique pour qu’elle acquière la légitimité conférée par le recours au stéréotype.
L’Afrique est présente aussi dans les pontos. Beaucoup d’entre eux se réfèrent à l’Angola, au Mozambique, à Luanda et à d’autres lieux d’origine des esclaves bantous arrivés dans le Sudeste brésilien tout au long du XIXe siècle. À titre d’exemple, le pontoNasci em Angola (Je suis né d’Angola), qui est chanté par les habitants de la communauté du quilombo São José da Serra. On y réfère à l’Angola et au Mozambique, d’où sont originaires de nombreux esclaves.
Nasci n’Angola (Je suis né d’Angola)
Angola que me criou (Angola m’a élevé)
Eu sou filho de Moçambique (Je suis fils de Mozambique)
Eu sou negro, sim senhor! (Je suis noir, bien sûr!)
Les jongueiros usent aussi des mots « africains », par exemple le mot angoma (engoma ou cangoma), très présent dans plusieurs pontos. Il peut désigner aussi bien l’un des tambours utilisés, que le cercle, ou même l’eau-de-vie bue pendant la fête, ou encore le jongo lui-même.
Tava drumindo (Je dormais)
Angoma me chamou (Angoma m’a appelé)
Disse levanta povo (Elle a dit « Allons peuple »)
Cativeiro se acabou (L’esclavage est fini)[12]
Dans le deuxième ponto, ils chantent le mot drumindo, qui correspond à la prononciation incorrecte du mot portugais dormindo, le gérondif du verbe dormir. Il est employé comme un signe lié aux esclaves. Les esclaves faisaient des fautes en parlant le portugais. Le mot povo (peuple) signifie Noirs ou esclaves dans ce ponto.
Les ancêtres, l’esclavage et la résistance à l’esclavage sont aussi présents dans les pontos. On désigne par preto-velho (vieux Noir) ou preta-velha (vieille Noire) les anciens esclaves morts qui sont devenus les ancêtres. Les jongueiros les saluent dans les paroles de plusieurs pontos. Ils sont aussi des entités de prédilection dans la religion afrobrésilienne de l’umbanda. Quand tout le monde danse et s’amuse beaucoup, on dit que les âmes des pretos-velhos et des pretas-velhas se joignent au groupe pour danser et protéger les proches.
Vou caminhando devagar sou um preto-velho cansado (Je chemine, je suis un vieux Noir fatigué)
Vou caminhando devagar eu não posso andar correndo (Je chemine, je ne peux pas courir)
Viemos de longe (Nous sommes venus de loin)
Chegamos aqui (Nous sommes ici)
Em homenagem a Clementina (Pour rendre hommage à Clementina)[13]
Saravá Zumbi(Salut Zumbi)
L’extrait de ce ponto mentionne Zumbi, héros national des Noirs du Brésil. Il fut le dernier leader du quilombo dos Palmares, le plus célèbre village de Noirs marrons du Brésil, qui a existé de la fin du XVIe à la fin du XVIIe siècle. Il aurait été tué dans une embuscade le 20 novembre 1695. Aujourd’hui, le 20 novembre est de ce fait jour férié dans l’État de Rio de Janeiro.
Si la mémoire de chaque communauté se compose d’histoires sur des ancêtres ayant résisté à l’esclavage, ceux-ci sont moins célèbres que Zumbi. Ces récits portent en général sur la cruauté des maîtres d’esclaves ou sur les donations de propriétés aux esclaves au moment de l’abolition, par exemple[14], et sont importants dans la constitution de la mémoire, et partant, de l’identité qui en résulte.
Le jongo à l’ère des médias culturels électroniques
Plusieurs communautés font usage de médias comme l’Internet et les livres-CD, ce qui leur permet d’atteindre un public plus large et de conférer plus de force et d’impact à leurs actions politiques. Le jongo bénéficie d’une grande visibilité dans ces médias, et des spectacles sont maintenant offerts dans des théâtres connus des grandes villes brésiliennes. Le jongo est donc sorti des ghettos où il avait longtemps été confiné. Afin de le rendre plus populaire auprès d’un nouveau public essentiellement urbain, il est présenté comme un genre musical dont les caractères mystiques sont atténués, du fait qu’ils peuvent être associés à la religion et à la sorcellerie. La musique, faut-il le préciser, est l’un des biens culturels qui jouit de la plus vaste acceptation par les publics de différentes origines culturelles dans le monde. Elle fait s’atténuer les différences culturelles, économiques et sociales. Circulant partout, elle ne connaît pas de frontières. Introduire le jongo par l’intermédiaire des genres musicaux afrobrésiliens est donc une façon efficace d’améliorer sa visibilité.
La musique contribue à façonner les identités car elle est l’occasion d’incorporer des expériences culturelles, des expériences dans le temps et des expériences de sociabilité qui donnent accès aux imaginaires culturels (Frith 1996). Aujourd’hui, les communautés jongueiras et le jongo sont connus surtout pour leur rythme et leur musique. Ils ont amorcé un contact entre un public inconnu qui ne connaissait pas le jongo et une population marginalisée qui le pratiquait.
La mémoire et la tradition jongueiras se transmettent aussi par du matériel audiovisuel produits par les groupes de jongo ou des personnes et des ONG qui font partie du réseau d’appui construit autour des communautés jongueiras. Depuis 2001, trois livres-CD sont ainsi parus, qui racontent l’histoire des communautés jongueiras et du jongo. Le premier, Jongo da Serrinha (2002), raconte l’histoire du morro da Serrinha et du groupe Jongo da Serrinha. Le deuxième, Jongo do quilombo São José (2004), raconte celle de la communauté São José da Serra. Le troisième, Jongos do Brasil (2006), relate l’histoire de plusieurs communautés jongueiras dans les États de Rio de Janeiro, de São Paulo et de Minas Gerais. Chaque livre-CD contient un livret illustré où l’on présente des histoires de la communauté et des jongueiros, des photos ainsi que quelques illustrations. Dans le CD sont enregistrés plusieurs pontos. Les images font référence à l’esclavage ou précisent la localisation de la communauté. Les textes, semblables d’un livre-CD à l’autre, parlent de l’origine et de la définition du jongo ; il semble que l’origine de celui-ci soit un mythe commun à toutes ces communautés. Le jongo serait venu d’Afrique, plus précisément de la région des peuples de langue bantoue, et serait arrivé au Brésil avec les esclaves de la traite Atlantique. Les communautés jongueiras sont présentées dans ces livres-CD comme des communautés rurales. Le jongo y est décrit comme un rythme joué à l’aide de trois tambours. Le mythe ainsi décrit permet d’unifier les communautés autour de quelques éléments culturels et historiques ; il favorise aussi l’union des communautés autour d’objectifs politiques du fait qu’elles sont confrontées à des problèmes semblables liés au passé de l’esclavage (pauvreté, exclusion sociale, faible taux de scolarisation et analphabétisme). Certaines données d’enquête contredisent toutefois ce mythe. Quelques leaders soutiennent, par exemple, que le jongo est né au Brésil[15]. La quantité de tambours dont on joue varie aussi selon les communautés (deux, trois ou plus).
Dans les livres-CD, on découvre quelques illustrations de visages de Noirs et d’un négrier, images qui se répètent d’une production à l’autre[16]. Une seule communauté est localisée dans une zone rurale, celle du quilombo São José da Serra. Toutes les autres se trouvent dans de petites villes ou dans de petites agglomérations urbaines éloignées.
L’ONG Grupo Jongo da Serrinha a créé un site Internet[17] qui lui permet de diffuser ses travaux ainsi que des spectacles de jongo, ou encore de récolter des fonds. Ce site présente l’image du visage d’un esclave, peint par Rugendas. Les couleurs utilisées dans le site font référence à l’Afrique et aux stéréotypes africains (vêtements, coiffures, par exemple) répandus par les médias à travers le Brésil et par le monde.
Cette production discographique, visuelle et médiatique a contribué à tirer le jongo de l’ombre et du silence. Elle a progressivement légitimé le jongo et les productions culturelles des communautés jongueiras en créant des espaces particuliers à partir desquels ils ont maintenant autorité pour construire leur mémoire, partager leurs histoires et leurs traditions.
Le réseau d’appui
Depuis 1996, les communautés jongueiras organisent les Encontros de Jongueiros, des rencontres annuelles où les communautés se rejoignent pour danser, chanter, échanger des expériences, ou encore tenter d’organiser des actions politiques communes et renforcer le réseau d’entraide. Ces rencontres sont annoncées dans les universités, sur certains sites Internet et dans les lieux fréquentés par les jeunes des grandes villes. Lors de la cinquième rencontre, qui s’est tenue dans la ville d’Angra dos Reis en 2000, les jongueiros de plusieurs communautés, ainsi que des ONG, des chercheurs et des amateurs de jongo ont commencé à mettre sur pied un réseau d’appui qui a eu une grande répercussion. Le but était d’établir, de renforcer et de resserrer les liens entre les différentes communautés, d’une part, et entre les parties prenantes au jongo et la société brésilienne, d’autre part. Le Rede de apoio ao jongo e ao caxambu (Réseau d’appui au jongo et au caxambu)[18] sert aussi à aider à obtenir des biens et des services pour changer le quotidien de chaque communauté et, en raison de la pauvreté de ces communautés, les besoins quotidiens y sont divers.
Au moment où nous écrivons ces lignes, le réseau présente une configuration problématique. Les activités demandant une participation plus intellectuelle, telles que planifier, former des projets pour demander de l’argent, créer et « vendre » les spectacles de jongo, etc., sont élaborées surtout par les ONG, les chercheurs et ceux qui sont liés aux universités, aux musées et à d’autres institutions qui participent au réseau. Si quelques leaders des communautés participent à ces activités, ils sont cependant encore peu nombreux. Par contre, les activités plus performatives, comme la danse, le jeu des tambours, le chant ou les pontos, sont le fait des jongueiros. Il se produit ainsi une division sociale du travail, qui commence à être remise en question lors des réunions du réseau, particulièrement par ceux des membres qui n’appartiennent pas aux communautés jongueiras.
Le réseau a pour vocation de mettre en place des réunions mensuelles qui servent à resserrer les liens de sociabilité et à organiser les Encontros de Jongueiros, activité qui demande beaucoup de temps et d’efforts. Cependant, le réseau n’a pas encore de structure qui lui donne une grande marge de manoeuvre. Le même problème se pose à chaque mois : celui du déplacement des jongueiros vers le lieu du rendez-vous, jusqu’à très récemment les jardins du Museu do folclore Edison Carneiro[19]. Localisé à Rio de Janeiro, ce musée fait partie du réseau et a prêté ses installations aux jongueiros. Des communautés éloignées (jusqu’à quatre cents kilomètres de Rio de Janeiro) y sont également associées. Les billets d’autobus sont chers pour ceux qui sont pauvres ; il faut également de l’argent pour se loger et s’alimenter. Or, le réseau n’est pas une organisation formelle avec un compte bancaire qui puisse faire virer des fonds ; il ne dispose pas non plus d’un bureau de direction et de gestion. Aucune fonction de direction n’y est véritablement définie. Chaque mois, il faut donc rassembler des fonds pour financer toutes les activités, ce qui est un travail à la charge des ONG. Un conflit est donc né dans le réseau autour de la gestion de ces fonds. Les personnes chargées de les trouver ont proposé d’en attribuer une partie aux frais courants (déplacement, alimentation, logement, etc.), ce qui n’a pas été bien perçu par les jongueiros qui ont argumentaient de leur côté que l’argent devrait aller à leurs communautés. Cet argument n’a pas été favorablement accueilli à son tour car la gestion et l’attribution des fonds est une tâche difficile qui demande toujours temps et efforts. Tous ceux qui oeuvrent dans le réseau – anthropologues, sociologues, historiens, photographes, documentaristes, gens des communautés jongueiras, etc. – sont des bénévoles. La structure, encore peu développée, ne permet donc pas au réseau de prendre véritablement son envol.
Malgré tout, le réseau a atteint des objectifs importants. Il a contribué à ce que le jongo soit plus connu hors des petites villes (où il est enraciné) et des bidonvilles (où il était voué à disparaître). Aujourd’hui, les gens qui le pratiquent, y compris les jeunes, se sont donné les moyens de se construire une identité collective positive. Les jeunes leaders se sentent plus valorisés et ont gagné confiance en ce qu’ils font. Les aînés voient leurs traditions, leurs connaissances et leur passé fouillés, recherchés et valorisés, et cela participe à leur estime d’eux-mêmes.
Les communautés jongueiras et le réseau ont demandé au Ministère de la culture du Brésil d’intégrer le jongo au patrimoine culturel immatériel du pays. Le dossier élaboré par le Conseil consultatif de l’Instituto do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional[20] sur la culture et les biens du jongo dans la région Sudeste du Brésil s’est intéressé aux manifestations d’origine africaine en rapport avec la culture du café et de la canne à sucre. Depuis novembre 2005, le jongo du Sudeste du Brésil est reconnu comme faisant partie du patrimoine culturel immatériel du Brésil (Iphan 2007). L’importance du jongo, qui a beaucoup contribué aux luttes et aux revendications de chaque communauté jongueira, est donc reconnue dans le patrimoine immatériel. Le fait que le jongo et les communautés jongueiras ont gagné une grande exposition médiatique, et que leurs luttes aient eu une grande visibilité politique peut certainement l’expliquer : si une institution du gouvernement brésilien reconnaît l’importance des contributions culturelles apportées par les jongueiros, ceux-ci voient, par le fait même, leurs actions politiques légitimées par l’État brésilien.
Le réseau a joué un rôle important dans tout ce processus en apportant ses diverses contributions matérielles et en mobilisant toutes les communautés pour qu’elles fournissent les renseignements nécessaires à sa bonne exécution. Tout ce processus, cette mobilisation et cette nouvelle organisation démontrent que les communautés jongueiras ont la certitude de détenir un bien culturel très important, de même qu’un ensemble de connaissances héritées de leurs ancêtres. Ils sont aussi les témoins de toute la souffrance, de la ténacité, de la créativité et, malgré tout, de la joie de vivre des Afrobrésiliens.
L’État brésilien et ses politiques culturelles
Comme l’ont démontré Araújo et Seiderer, « l’émergence de la mémoire du passé colonial et de l’esclavage est accompagnée par des demandes de réparations matérielles et symboliques » (Araújo et Seiderer 2007 : 1-2). Les activités de sauvegarde, de préservation et de soutien au jongo permettent aux communautés de se servir de leur identité et de leur mémoire comme bases sur lesquelles ériger leurs demandes de réparations, de droits et de justice. Ils utilisent le jongo pas seulement pour se constituer une identité et une mémoire dans les contextes des politiques d’affirmation culturelle, mais encore pour chercher à redonner une place aux Afrobrésiliens dans la société brésilienne, « là où ils auraient dû se trouver s’ils avaient conservé le contrôle de leurs biens et de leur cadre de vie matériel » (Jewsiewicki 2004 : 8). L’identité jongueira fait du jongo le lien entre l’exclusion sociale actuelle que subissent les Afrobrésiliens et les souffrances passées des esclaves.
Depuis 2002, le Ministère de la culture du gouvernement du président Luiz Inácio Lula da Silva a développé des politiques de réparation et des mesures de compensation des torts et discriminations dont les populations afrobrésiliennes et autochtones sont victimes. Dans la Constitution brésilienne, promulguée en 1988, se trouve un article qui établit que tous les habitants des terres où se trouvent des descendants des communautés noires, esclaves ou non, (nommées communautés rémanentes de quilombo dans la Constitution ou communautés quilombolas)[21] ont droit à la propriété de ces terres. Pour jouir de ce droit, il faut que les descendants demeurent encore sur celles-ci. L’État est obligé de fournir toute la documentation nécessaire pour la mise en marche légale de ce processus. L’origine des habitants est essentielle à la définition et à la garantie de ces droits. Cette loi a été l’une des premières à viser des mesures de compensation pour les Afrobrésiliens. Jadis, le mot quilombo était quasiment à l’usage exclusif des historiens et désignait surtout les communautés fondées par les esclaves qui s’enfuyaient des propriétés de leurs maîtres. Depuis la promulgation de la Constitution brésilienne en 1988, le mot a gagné cette nouvelle signification intimement liée aux droits de propriété des descendants des Noirs, pas seulement des descendants des esclaves. Ceux qui habitent un quilombo sont appelés quilombolas. Aujourd’hui, après la promulgation de lois et la formulation de politiques de réparation, appartenir à cette catégorie confère un ensemble de droits qui dépassent la question foncière. Être reconnu en tant que quilombola autorise un sujet à s’inscrire à plusieurs programmes culturels, sociaux et politiques, et lui permet d’avoir accès à des financements à faible taux d’intérêt ainsi qu’à plusieurs sortes d’aide économique. Aussi, les communautés jongueiras commencent à valoriser la stratégie consistant à se faire reconnaître comme habitants d’un quilombo.
L’Arrêté n° 156 du 6 juillet 2004 du Ministère de la culture a créé le Programa nacional de cultura, educação e cidadania - Cultura viva (ci-après Cultura viva) dont l’objectif est de « promouvoir l’accès aux moyens de jouissance, de production et de diffusion ainsi que de développer les forces sociales et culturelles, en visant la construction de nouvelles valeurs de coopération et de solidarité »[22]. Selon l’article 2 de cet arrêté, le programme Cultura viva encouragera l’exploration, l’utilisation et l’appropriation des codes, des langages artistiques et des espaces publics et privés pouvant être disponibles pour l’élargissement de l’action culturelle. Le programme Cultura viva est destiné aux populations pauvres, aux étudiants inscrits dans les écoles publiques, et aux communautés autochtones, paysannes et quilombolas. Il est aussi destiné aux agents culturels, aux artistes, aux professeurs et aux militants qui développent des projets contre l’exclusion sociale et culturelle.
Le programme Cultura viva englobe des initiatives culturelles qui impliquent les communautés dans des activités artistiques, culturelles, de citoyenneté et d’économie solidaire. Ces organisations sont sélectionnées au moyen d’un édit public et reçoivent des ressources du gouvernement du Brésil pour encourager leurs activités, soit l’achat d’instruments musicaux, de costumes, d’équipement multimédia ; soit l’embauche de chargés de cours et d’ateliers ; soit la préparation de spectacles et d’événements culturels. Ce partenariat entre l’État et la société civile s’appelle Ponto de cultura, et reçoit la somme de 185 000 reais[23], divisée en cinq parts payées chaque semestre[24].
Ministère de la culture du Brésil, Arrêté n° 156 du 6 juillet 2004, art. 2
Le programme Cultura viva vise aussi à préserver et promouvoir la diversité culturelle brésilienne, ce qui réutilise l’idée de résistance culturelle très répandue pendant les années 1970. Il reconnaît que les biens culturels produits par les populations pauvres, les étudiants inscrits dans les écoles publiques, les communautés autochtones, paysannes et quilombolas, si elles ne sont pas déjà en train de disparaître n’ont pour le moins pas la possibilité de se développer dans toute leur potentialité. Il faut donc les protéger, les préserver de la culture nationale hégémonique et les aider à atteindre leurs objectifs. Les actions de ce programme permettent à ceux qui produisent des biens culturels de gagner de l’argent pour faire ce qu’ils font déjà. Cela vise à améliorer les conditions de vie de ces populations.
Le programme Cultura viva intègre cinq actions : les Pontos de cultura, le Cultura digital, l’Agente cultura viva, le Griô[25] et l’Escola viva. Le Ponto de cultura est l’action la plus importante, celle qui doit faire la liaison entre toutes les actions prévues. Les activités sont proposées par des organisations civiles qui signent un accord avec le gouvernement brésilien. Ses organisations, les Pontos de cultura, font que le gouvernement et la communauté s’occupent ensemble de la gestion des biens culturels.
L’action Cultura digital fournit l’appui technologique aux Pontos de cultura qui reçoivent une trousse multimédia (un ordinateur contenant des logiciels pour l’édition numérisée de vidéos et qui donne l’accès à l’Internet, des caméras vidéo, des appareils photo, etc.) pour enregistrer des vidéos et des musiques, produire des matériaux imprimés qui pourront être vendus, l’argent recueilli devant alors être utilisé pour améliorer la vie des habitants des communautés.
Agente cultura viva est le nom de l’action visant à éveiller l’intérêt des jeunes gens pour une profession liée à la culture. Les jeunes étudiants entre 16 et 24 ans dont les revenus familiaux sont inférieurs ou égaux au salaire minimum reçoivent une aide en argent pendant six mois pour pouvoir développer des activités culturelles liées à celles identifiées dans les Ponto de cultura. L’objectif est d’encourager la génération de revenus dans les communautés à partir d’une « économie solidaire »[26].
L’action Griô consiste à stimuler la transmission de la tradition orale dans les communautés. On utilise les aînés, appelés griôs, pour raconter les histoires de chaque communauté aux jeunes et assurer la transmission de la tradition et de la mémoire. Elle vise à permettre à ceux-ci d’élaborer une connaissance intégrée à l’ancestralité. Ceux qui sont reconnus comme griôs reçoivent une « bourse de travail » pendant un an afin de divulguer la tradition orale et de mener des recherches. Cette action cherche à valoriser la tradition orale des communautés et à encourager l’échange d’expériences, de pratiques culturelles et de savoirs ; elle a également pour objectif de créer des liens entre les éducateurs et la communauté pour fortifier l’identité du groupe. L’État brésilien reconnaît l’importance de la mémoire dans les processus de construction, de transmission et d’interprétation des traditions populaires, de même qu’il reconnaît l’importance de sa contribution à l’identité nationale.
Escola viva est le volet scolaire des Pontos de cultura, qui vise le façonnement d’une connaissance réfléchie sur la réalité locale et nationale. L’objectif est de stimuler les pratiques culturelles et éducatives développées par les Pontos de cultura. Les activités « novatrices » développées dans les écoles seront transformées en Pontos de cultura. Ceux-ci pourront être transformés en écoles de culture brésilienne. Cette action établit un lien entre les jongueiros et les étudiants. Les premiers se rendent dans les écoles pour raconter la mémoire de leur groupe, pour transmettre leur tradition, pour danser et pour chanter le jongo.
L’État reconnaît que les personnes qui vivent dans les communautés marginalisées ont le droit de s’intégrer à la vie nationale en fonction de leurs valeurs et qu’elles sont importantes dans les processus de construction de la culture et de la nationalité brésiliennes. Les mots clés du programme Cultura viva sont protéger, préserver, soutenir, fortifier et intégrer. Les connaissances, les cultures et les modes de vie de ces communautés sont donc considérés comme fragiles, mais importants. Ces politiques sont cependant encore trop récentes pour que l’on puisse évaluer vraiment leur incidence.
Les communautés jongueiras et le Réseau d’appui au jongo et au caxambu s’organisent pour élaborer des projets et les présenter au gouvernement brésilien. Quelques-unes se sont déjà transformées en Ponto de cultura (comme les communautés jongueiras de Serrinha, du quilombo São José et de Pinheiral, par exemple). D’autres attendent que leurs projets soient acceptés. Tous les projets sont basés sur le jongo, mais ils visent aussi la préservation et la transmission d’autres traditions afrobrésiliennes, par exemple la cuisine afrobrésilienne, la fabrication artisanale des tambours, la fabrication des vêtements et des déguisements, et la danse « afro ». Ce moment peut favoriser une certaine intégration des populations marginalisées à la société nationale.
L’identité jongueira
Les communautés jongueiras pratiquent l’affirmation de leur négritude. Jusque-là associé aux aînés et au passé, le jongo a aujourd’hui acquis d’autres significations. Il est à la base de la construction d’une identité qui relie le passé – celui de l’esclavage – avec le présent « affirmatif » où les afrodescendants se montrent fiers de la couleur de leur peau et de leur passé commun. Ce processus de changement a lieu tant dans les petites villes que dans les plus grandes.
Dans la décennie 1970, les mouvements de lutte pour les droits des Noirs se sont renforcés au Brésil. La « question noire » se posait selon deux lignes politiques principales : celle qui sous l’influence des mouvements des droits des Noirs aux États-Unis diffusait la musique, décidait des comportements et promouvait les idées par les moyens de communication de masse (Black power, soul music, etc.) ; et celle qui a initié le mouvement de « résistance culturelle » et a récupéré les éléments de la tradition afrobrésilienne (samba, jongo). Les deux lignes ne se rencontraient pas toujours. Ceux qui ont participé au mouvement noir au Brésil pendant les années 1970 ont fait la connexion entre leurs productions culturelles et leurs idées et celles des créateurs culturels des grandes villes qui font partie de « l’Atlantique noir », selon le terme de Gilroy (1992).
La génération qui s’occupe aujourd’hui du jongo a grandi dans cette conjoncture, dont elle a fait une synthèse, parce qu’elle défend les traditions afrobrésiliennes tout en se trouvant en contact avec la musique et les productions culturelles venues d’autres pays. Cette génération est bien insérée dans les débats actuels du mouvement noir transnational auquel elle se joint comme consommatrice et productrice de biens culturels. Elle s’intègre aussi activement dans les discussions menées au sein de la diaspora noire[27]. Quelques communautés jongueiras ont déjà été invitées à présenter leur danse et leur musique dans différents pays.
La nouvelle génération jongueira présente une très grande diversité. Elle réunit aussi bien des gens qui ont obtenu leur baccalauréat que des gens qui ont à peine fini les premières années du primaire ; certains sont pauvres, d’autres appartiennent à la classe moyenne. Cependant, ils ont vu et vécu toute l’effervescence culturelle des années 1970. Ils se sont identifiés et se sont intéressés à la tradition afrobrésilienne ainsi qu’aux histoires et aux pratiques culturelles transmises par leurs aînés. Le jongo permet aux individus de certaines communautés de prendre des initiatives auxquelles ils s’identifient ; ils les utilisent dans des rites qui viennent renforcer le sentiment d’appartenance de chacun au groupe et participent à construire l’identité jongueira. Parmi les rites communs à toutes les communautés jongueiras, les plus remarquables sont la préparation des tambours précédant le début de la roda (le moment où ils sont offerts aux âmes des ancêtres, ce qui se fait en cachette) ; la formation du cercle par ceux qui participeront à la roda ; le salut aux participants ; et l’exaltation des âmes des ancêtres (Simonard 2005). L’identité jongueira est constamment confrontée à d’autres identités, ainsi qu’à la conjoncture politique, historique et culturelle de la société brésilienne en perpétuelle transformation. Elle change aussi au gré des interactions entre les réalités internes et externes aux communautés. Elle constitue un repère politique qui fonctionne par opposition et doit être constamment répétée parce qu’elle ne préexiste pas au langage ; elle n’existe qu’au moment où elle est affirmée, propagée et défendue. L’identité n’est pas une qualité acquise, mais « le résultat temporaire d’un processus qu’il faut toujours alimenter », rappelle Denis (2006 : 7). Elle est performative parce qu’elle n’existe que dans l’habitude et au moment même où elle se manifeste.
Le processus de construction des identités jongueiras peut être résumé en quelques étapes. Le jongo, qui existe dans quelques communautés, ou qui, du moins, est encore présent dans la mémoire et les histoires des aînés, réunit aujourd’hui les diverses générations. Ils élaborent ensemble une stratégie de résistance culturelle[28] dont les objectifs sont de produire une meilleure image de leurs membres ainsi que de générer des revenus pour ceux qui y participent. Les comportements symboliques du jongo sont transmis parmi des groupes de jeunes et d’enfants de plus en plus importants. Les leaders des communautés jongueiras les attirent en leur offrant des biens symboliques valorisés par la société hégémonique (de l’argent, des voyages, la possibilité de connaître d’autres villes et de se présenter devant le grand public). Les communautés jongueiras élaborent également des sites Internet, des CD, des livres-CD, des documentaires, etc., pour diffuser ce qui leur semble important d’être connu par le grand public.
Les habitudes et les histoires qui sont transmises et répétées faisant partie de la nouvelle identité construite, cette réitération culturelle produit une identification « qui est issue des citations des conventions de l’autorité » (Butler 1998). Les leaders, en pratiquant la réitération culturelle, gardent ainsi un contrôle sur le contenu des histoires et de la mémoire de leurs communautés. Toutefois, ils choisissent ce contenu parmi les habitudes et les histoires déjà connues et répandues. Il doit en effet permettre d’atteindre les objectifs politiques et culturels établis par le groupe.
L’identité performative qui a été façonnée à partir des années 1970 change la manière dont les membres d’une communauté jongueira se perçoivent et s’insèrent dans la société brésilienne. Elle confère une forme momentanée, puisque modifiable, au monde jongueiro qu’il faut sans cesse actualiser. Elle traduit une identité jongueira changeante selon les particularités de chaque communauté, mais qui possède quelques éléments communs : la valorisation d’un passé esclave, la valorisation des ancêtres et des éléments définis comme africains (rythmes, danses, nourriture, instruments musicaux, histoires et cosmogonie communs), la fierté de son ethnie et une pratique politique active qui ne se contente plus de réagir aux événements, mais qui propose une liste de revendications nouvelles remettant en question les stratégies de domination qui soutiennent le statu quo brésilien, par exemple la défense des politiques publiques ayant établi des quotas pour les Noirs et les pauvres dans les universités publiques brésiliennes.
Cette nouvelle performativité s’oppose et se superpose à l’ancienne, qui considérait le jongo comme quelque chose dont les Noirs auraient dû avoir honte, et dénigrait les pratiques culturelles, ces dernières se révélant surtout en cachette. D’après la tradition afrobrésilienne, le passé esclave se devait d’être dissimulé. Plutôt que de se lancer dans une politique affirmative délibérée, la norme était d’accepter un certain parrainage paternaliste et de se contenter de ce que l’on recevait des couches sociales hégémoniques. Auparavant, la question noire (le racisme, les préjugés raciaux, etc.) n’existait pas pour les anciens jongueiros, malgré l’importance culturelle et démographique des Noirs – surtout dans le Sudeste brésilien – et les anciens membres des communautés jongueiras ne savaient pas s’affirmer pour défendre leurs droits.
Pour s’avérer vraiment performative, cette nouvelle identité doit être maintenue par le groupe, afin de ne pas faiblir ou disparaître. Les rites, histoires ou objets qui constituent la culture jongueira et sur lesquels se construit la nouvelle identité doivent circuler et être traduits parmi tous les participants et les structures qui composent le groupe. Avant le façonnement de la nouvelle identité jongueira, le jongo a failli disparaître du fait que des éléments de sa culture ne circulaient plus parmi les enfants et les jeunes, brisant ainsi la chaîne de circulation et de traduction nécessaire à la consolidation du rassemblement de tout ce qui compose la culture[29].
Aucune identité n’est performative en soi. Pour qu’elle le devienne, le groupe doit choisir les éléments qui la constitueront, en sélectionnant certains d’entre eux et en en écartant d’autres. Cette sélection est faite par les leaders du groupe ou de la communauté, ce qui suscite débats et conflits. Contrôler le choix des éléments de son identité collective signifie avoir du pouvoir sur celle-ci et sur ses rites et récits emblématiques. Cette identité n’est, enfin, jamais complète et achevée. Comprendre les identités par le biais de la performativité implique non seulement de les saisir comme le résultat d’un processus politique qui se développe à plusieurs niveaux, mais également de mettre en évidence leurs aspects essentialistes. L’essentialisme est aussi une construction politique qui sélectionne, accepte et réfute ce que les groupes sont censés tenir pour « essentiel ». Par exemple, la sorcellerie, jadis considérée comme l’une des composantes les plus importantes de l’identité jongueria, a vu son importance décliner au moment de l’émergence de la nouvelle identité parce que les leaders actuels pensent qu’elle peut altérer la transmission et la préservation du jongo, empêcher la participation des enfants aux rodas de jongo ainsi qu’entraver la communication entre les communautés et le grand public. C’est ainsi que la sorcellerie est aujourd’hui restreinte aux récits liés à la mémoire de chaque communauté.
Parmi les éléments les plus importants du processus de renouvellement du jongo, on note les Encontros de Jongueiros. De 1996 à 2006, onze des ces rencontres ont eu lieu. Outre l’événement que constitue en lui-même le rassemblement, il s’agit aussi de rendre visible le jongo aux gens qui influencent l’opinion publique – chercheurs, étudiants, documentaristes, médias – pour qu’ils puissent connaître la réalité des communautés jongueiras : leurs problèmes, leurs caractéristiques et leurs productions culturelles. Lors de ces réunions, chaque communauté dispose d’une vingtaine de minutes pour danser et chanter. C’est l’occasion pour chacune d’entre elles de faire une présentation, afin que les autres et le public puissent voir comment elles dansent, jouent des tambours et chantent les pontos.
Performativité, identité, citoyenneté
Le jongo, sa préservation, sa transmission, et la reconnaissance de son importance par le gouvernement du Brésil ont ensemble permis que les habitants des communautés jongueiras se construisent une manière nouvelle de se percevoir et de se reconnaître. Une nouvelle performativité apparaît, qui façonne une estime de soi plus positive chez des gens qui, jusqu’à il y a peu, se sentaient comme des citoyens sans droits. La formation du réseau d’appui au jongo, l’élaboration des projets pour soumettre des demandes à l’État brésilien, la participation des leaders jongueiros à des activités dans les écoles, la demande de l’enseignement obligatoire de l’histoire de l’Afrique et des Afrobrésiliens dans le réseau scolaire, tout cela résulte de cette nouvelle performativité créatrice et de cette nouvelle identité sociale.
L’image du negro pai-joão, de celui qui est prêt à tout accepter, qui se montre résigné et docile n’a plus cours ; les jeunes la récusent. Ceux-ci attirent les aînés auprès d’eux parce qu’ils ont compris qu’ils ont beaucoup à leur apprendre et que, en contrepartie, ils peuvent les aider à traverser plus fièrement leur vieillesse et à jouir d’un peu plus de droits. Néanmoins, ce sont les aînés qui continuent à légitimer chaque groupe. Ils jouent donc un rôle politique important, leur présence près des plus jeunes venant soutenir leurs initiatives sociales et entretenant une mémoire locale particulière à chaque communauté.
Pour se reconnaître en tant que Brésiliens, les Afrobrésiliens ont eu besoin de se façonner une identité liée à l’Afrique et à l’esclavage. Ils ont demandé à la société et à l’État brésiliens de reconnaître leurs héros comme des héros nationaux. Leur sentiment d’appartenance à la nation ainsi que leur citoyenneté se construisent donc à partir du retour au passé de l’oppression et de la résistance : s’ils envisagent donc un avenir de résistance, ils ont espoir que celui-ci s’avère cependant plus égalitaire.
Les communautés jongueiras se réunissent dans le cadre d’un réseau d’appui parce qu’elles ont compris que la solution pour lutter contre l’exclusion sociale passe par l’élaboration collective des stratégies politiques et culturelles collectives. La société brésilienne refuse encore de reconnaître l’existence du racisme et des préjugés raciaux. Plusieurs groupes sociaux, notamment des intellectuels et des anthropologues, critiquent les politiques de réparations qui se développent progressivement. La nouvelle performativité des Afrobrésiliens est vue comme une menace à la « démocratie raciale » brésilienne. Pour le moment, l’État marche aux côtés des Afrobrésiliens ; mais il est impossible de savoir pour combien de temps.
Le jongo est à la base de tout ce processus qui se développe dans les communautés jongueiras. Il fait partie des nouvelles stratégies de visibilité, d’affirmation et de transformation en plus de constituer une illustration de cette nouvelle performativité afrobrésilienne dans le contexte de la transnationalisation du mouvement noir et de ses revendications anciennes et nouvelles. Il est transmis et préservé en fonction de principes qui permettent son renouvellement, ce qui le « réinscrit » dans le quotidien de chaque groupe social où il est présent, même là où on le croyait disparu.
Parties annexes
Notes
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[1]
Ceux qui participent au jongo (chanteurs, danseurs et joueur) forment un cercle (roda en portugais). Les organisateurs invitent leurs amis à participer au jongo ou à une roda de jongo.
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[2]
On appelle communautés jongueiras celles où le jongo est encore présent et vivant et se renouvelle. Jongueiro(a) désigne celui qui danse, chante, joue des instruments ou qui participe constamment aux rodas de jongo auprès des communautés où le jongo est pratiqué.
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[3]
L’estime de soi est une attitude intérieure du sujet qui consiste à se reconnaître comme quelqu’un qui a de la valeur et de l’importance. À partir du moment où il se reconnaît ainsi, le sujet s’accepte tel qu’il est. La majorité des membres des communautés jongueiras sont des Noirs pauvres qui, au long de leur vie, ont été victimes des préjugés, du racisme et de l’exclusion sociale. Pour cette raison, ils ne se reconnaissent pas comme des sujets ayant de la valeur et de l’importance. Ils ont honte de leur passé et de leur culture. Ce sentiment commence maintenant à changer, grâce au travail que les leaders de ces communautés ont entrepris.
-
[4]
Dans quelques régions, la danse du jongo est appelée caxambu.
-
[5]
Ponto désigne tout ce qui est parlé et chanté par le jongueiro pendant une roda de jongo. Quand quelqu’un chante ou parle un ponto, on dit qu’il « jette » un ponto.
-
[6]
Le jongo est amarrado (amarré) quand personne ne réussit à le déchiffrer. La roda continue alors à chanter le même ponto pendant assez longtemps ; les participants, qui s’ennuient, peu à peu se désistent, précipitant la fin de la fête.
-
[7]
En portugais, machado signifie hache. Les jongueiros disent cortar (couper) pour nommer l’action qui consiste à arrêter un ponto pour jeter un nouveau jongo. La hache étant un outil qui sert à couper, sur le plan métaphorique elle sert donc à couper le jongo et à couper la parole à celui qui est en train de parler ou de chanter.
-
[8]
Des mets étaient offerts aux tambours avant le début de la fête. Les tambours sont offerts aux ancêtres et il faut les nourrir pour qu’ils puissent jouer leur rôle dans la fête.
-
[9]
Des ancêtres devenus dieux dans le candomblé ou l’umbanda (religions afrobrésiliennes) et qui sont associés à un élément de la nature (eau, forêt, feu, éclair, etc.).
-
[10]
Sur le façonnement et l’usage des stéréotypes, voir Bhabha (2007).
-
[11]
D’après le Dicionário eletrônico Houais da língua portuguesa, le mot cumba signifie quelqu’un de brave, de provocateur. Il signifie aussi sorcier. Pour une analyse de l’origine et de la signification de ce mot en Afrique, voir Slenes (2007).
-
[12]
Ce ponto est chanté dans plusieurs communautés. Il a été popularisé par Clementina de Jesus, une chanteuse noire, très connue dans les années 1970, qui chantait sur des rythmes afrobrésiliens.
-
[13]
Clementina de Jesus.
-
[14]
Pour expliquer la contradiction entre les histoires concernant les donations et la pauvreté des Afrobrésiliens, qui en majorité ne sont pas propriétaires de leurs maisons, les jongueiros disent que la plupart de ces propriétés auraient été usurpées par les Blancs et les politiciens locaux. Ces propriétés ne seraient jamais vraiment retournées aux héritiers des anciens esclaves. Cependant, il existe encore des descendants d’esclaves dont les maisons et les propriétés résultent de ces donations.
-
[15]
Pour ce qui est de l’origine du jongo, voir Abreu et Mattos (2007) et Slenes (2007) qui développent la thèse que le jongo est d’origine africaine.
-
[16]
Dans les livres-CD, on peut voir les illustrations Navio negreiro (Nègres à fond de cale) et Rostos (Visages), de Rugendas, et Negros pilando café (Noir pilant des grains de café) de Frond. Johann Moritz Rugendas était un peintre allemand qui avait voyagé dans tout le Brésil de 1822 à 1825, peignant le peuple brésilien et ses habitudes. Jean-Victor Frond était pour sa part un photographe et peintre français propriétaire d’un studio à Rio de Janeiro entre les années 1858 et 1862.
-
[17]
www.jongodaserrinha.org.br, consulté le 18 septembre 2008.
-
[18]
Caxambu est le nom par lequel le jongo est connu dans les communautés localisées au nord de l’État de Rio de Janeiro. Certains appellent caxambu la danse et jongo le rythme.
-
[19]
Institution responsable des recherches sur le folklore brésilien administrée par le gouvernement du Brésil.
-
[20]
L’Iphan, institution subordonnée au Ministère de la culture du Brésil.
-
[21]
Constitution de la République fédérative du Brésil de 1988, article 68 de l’Acte des dispositions constitutionnelles transitoires : « À ceux des communautés des quilombos occupant les terres [de leurs ancêtres] est reconnue la propriété définitive [de celles-ci], l’État devant leur émettre des titres respectifs ».
-
[22]
Arrêté n° 156 du 6 juillet 2004 du Ministère de la culture du Brésil.
-
[23]
Le real est l’unité monétaire brésilienne.
-
[24]
Ma traduction. L’original est disponible en ligne (www.cultura.gov.br/site/wp-content/uploads/2007/11/portaria-156-de-2004.pdf), consulté le 25 septembre 2008.
-
[25]
Griot, en portugais.
-
[26]
L’économie solidaire y est comprise dans le sens des nouveaux modes de production et de consommation qui favorisent les travaux collectifs, l’autogestion, la justice sociale et le développement des communautés d’une façon durable et solidaire.
-
[27]
Maître Darcy, l’un des leaders le plus importants du processus de renouvellement du jongo, a fondé une escola de samba à Toulouse (France) et l’a nommée Império de Toulouse. Império Serrano est le nom de l’escola de samba qui existe dans le morro da Serrinha, le bidonville où il est né et a vécu.
-
[28]
J’utilise l’expression « résistance culturelle » dans le sens d’une stratégie qui s’oppose à l’acceptation naïve des éléments culturels exogènes. Cette stratégie rassemble des éléments culturels endogènes choisis pour leur capacité d’entamer une communication qui renforce l’union du groupe et répande sa culture et ses luttes au sein de la société nationale. Les éléments culturels utilisés dans cette stratégie doivent être faciles à maîtriser et à comprendre.
-
[29]
Sur l’importance des chaînes de traduction pour la performativité des faits, théories et formules, voir Denis (2006).
Références
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