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Joseph Masco, The Nuclear Borderlands. The Manhattan Project in Post-Cold War New Mexico. Princeton, Princeton University Press, 2006, 438 p., bibliogr., index.[Notice]

  • Ariane Bélanger-Vincent

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  • Ariane Bélanger-Vincent
    Département d’anthropologie
    Université Laval, Québec, Canada

« In the twentieth century, the United States did not just build the bomb ; it built itself through the bomb » (p. 337). Cette citation permet à elle seule de cerner le projet intellectuel de Masco articulé dans Nuclear Borderlands. De fait, l’anthropologue propose une perçante analyse du Projet Manhattan tel qu’il s’est déployé à Los Alamos (Nouveau-Mexique) et dans ses environs au cours de la période post-Guerre froide. L’ouvrage présente à la fois l’ethnographie diachronique du projet technoscientifique et ses effets culturels, environnementaux, politiques et nationaux. En première partie du livre, l’auteur retrace et décrit le quotidien de quatre groupes sociaux et leurs interactions au coeur de ce qu’il nomme « l’économie du plutonium ». En premier lieu, il s’intéresse aux scientifiques oeuvrant au design et à la fabrication des armes nucléaires (weapons scientists). Il montre notamment, avec éloquence, comment les changements entre les différents régimes d’expérimentation de l’arme nucléaire – qui se sont déplacés de la terre ferme et de la mer (de 1945 à 1962) vers des tests souterrains (entre 1963 et 1992) et ensuite vers les tests virtuels (1992-2010) – ont généré un projet d’armes nucléaires devenu pour ces scientifiques purement intellectuel et esthétique, à la fois normalisé et dépolitisé. En deuxième lieu, Masco explore la perspective concernant le Projet Manhattan adoptée par les Pueblos, peuple qui vénérait la terre ancestrale sur laquelle s’est érigé le laboratoire de Los Alamos. Il porte notamment un intérêt à la cosmologie pueblo afin de mettre en lumière les effets culturels et écologiques du Projet Manhattan. En troisième lieu, l’auteur examine la complexité des relations que les Nuevomexicanos entretiennent avec le laboratoire – tantôt considéré comme une ressource nécessaire à la survie culturelle, tantôt comme une force colonisatrice – et qualifiant au passage Los Alamos de nuclear maquiladora. Enfin, ce sont les activistes antinucléaires qui font l’objet d’un chapitre ; la montée des critiques dans le milieu des années 1990 ayant contribué à questionner les activités du laboratoire et à maintenir un espace public critique de l’institution. En seconde partie, l’auteur explore deux évènements d’importance qui ont participé à faire de Los Alamos, autrefois un lieu socialement invisible, un endroit générant la peur intense et l’insécurité. Un chapitre vise notamment à montrer ce que certaines réponses institutionnelles à des allégations d’espionnage permettent de révéler concernant le projet nucléaire étasunien. L’argument central est que les « America’s nuclear secrets » ne contiennent pas que de l’information sur les manières de construire une bombe, mais constituent un mécanisme social de définition et de contrôle. En guide de conclusion, l’auteur commente l’actuelle « guerre contre la terreur » que mènent les États-Unis depuis le 11 septembre 2001 à la lumière de certains des arguments développés dans les pages qui ont précédé. Il nous convainc que les enjeux nucléaires et, par ricochet, les enjeux sécuritaires sont toujours d’actualité et qu’ils méritent plus que jamais d’être cernés par les anthropologues.