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Maps of Experience. The Anchoring of Land to Story in Secwepemc Discourse d’Andie Diane Palmer présente une argumentation sur les relations entre la terre (land), l’histoire et le lieu (place) dans la vie quotidienne secwepemc, en mettant en lumière comment le regroupement de ces trois éléments dans la vie contemporaine s’avère un instrument de guérison, de construction de l’identité, et même de conscience de groupe.
En concentrant sa recherche ethnographique du peuple secwepemc du lac Alkali en un seul lieu – Dog Creek Road, un endroit important pour les pratiques locales de pêche au saumon et pour la richesse de ses ressources naturelles, notamment les baies et les plantes médicinales – l’auteure montre que des récits individuels d’expérience sont ressentis en tant que communauté de sorte à former une façon de connaître un lieu particulier. L’auteure commence en présentant un aperçu de la trajectoire historique du peuple secwepemc de Colombie-Britannique – de leur passage de la chasse et la cueillette à un mode de vie plus sédentaire et basé sur l’agriculture – comme le résultat d’un processus engendré par la ruée vers l’or, la maladie, la missionarisation et la supression des histoires traditionnelles. Ce tableau de fond est fortement lié à un des arguments principaux du travail : là où le colonialisme fut un processus de séparation entre et de la terre, la langue et l’histoire, l’expérience collective du lieu par la narration constitue l’axe d’orientation le plus important pour construire le sens de la vie et de l’expérience chez les Secwepemc contemporains.
La plus grande partie du travail est consacrée à dévoiler comment la narration est ancrée dans le paysage à travers la présentation et l’analyse d’un ensemble de transcriptions de récits. Palmer montre comment ces récits sont animés par des situations de voyage, de pêche, de chasse et de cueillette, et aussi par des expériences traumatisantes et dangereuses, comme l’accompagnement des troupeaux de chevaux sur des sentiers escarpés, et la sensation de connections avec le passé colonial. Nous voyons que différentes ressources prennent divers degrés d’importance dans les conversations – par exemple, les plantes sont moins importantes que le saumon et la chasse, et les histoires de vie, que celles de mort et d’expériences traumatisantes. Les histoires sont racontées en des endroits particuliers le long du site de l’enquête, chacune apportant un ensemble de textes documentant les tensions et liens entre le « sense of place » et les histoires de vies des individus.
La puissante relation entre l’histoire et le lieu décrite ici réfère à « l’ancrage spatial » de Harry Hajer, ainsi qu’à la notion qui stipule que le sens émerge, et est mutuellement construit, entre les interlocuteurs, ainsi que l’écrivent Greg Urban et Joel Sherzer. C’est peut-être un des éléments qui suscite le plus d’intérêt dans l’ouvrage. En fait, dans chaque analyse des récits des locaux, l’auteure montre non seulement sa propre relation au sens qui émerge, mais aussi la relation qu’elle observe se développer parmi l’auditoire des Secwepemc à la fois à l’intérieur et l’extérieur de la communauté. Toujours sur cette ligne théorique, le noyau de cette étude montre comment les histoires partagées qui sont ancrées dans le lieu – dans le contexte de chasse et cueillette – sont une obligation sociale parmi les membres de la communauté qui sert à former ensemble une « map of experience » orale et cognitive. Les narrateurs Secwepemc incluent d’autres personnes dans leurs récits ; ainsi prises dans leur ensemble, les anecdotes des répertoires de chaque personne sont combinées en une fresque de savoirs locaux. L’auteure suggère ainsi discrètement que de cette façon, l’ancrage du lieu à travers l’histoire peut même constituer un véhicule qui transforme et répare la façon dont les personnes font sens, et remet en question des idées préconçues concernant leur propre histoire et leurs politiques, développant ainsi une sorte de carte culturelle et identitaire.
Un autre aspect captivant de ce livre est la comparaison que fait l’auteure de récits contemporains, par exemple ceux des réunions des Alcooliques anonymes (AA) avec les récits traditionnels. Dans la forme traditionnelle, le récit d’une vie ne se déroulait pas dans une séquence temporelle, mais plutôt dans l’intersection des expériences et des lieux où le narrateur et l’interlocuteur « knit their experience of a place into a whole new world » (p. 157) à travers un processus créatif. À l’opposé, dans les récits des AA, l’auditoire demeure passif et il y a peu d’interaction entre le narrateur et l’interlocuteur, dans le but d’aider à maintenir l’identité du narrateur. Ces récits contemporains aident aussi à situer les participants comme des membres adultes de la communauté d’une façon linéaire, tournée vers l’avenir. Il est particulièrement intéressant de voir comment l’auteure replace les récits AA dans la plus grande « map of experience » décrite dans les histoires traditionnelles basées sur le lieu. Cette ligne de recherche est prometteuse et pourrait s’avérer utile pour d’autres études sur le lieu et le discours. À la fin de l’ouvrage, l’auteure suggère que la seule façon de réparer la séparation est à travers la transmission culturelle de savoir qui se forge lorsque les personnes entrelacent leurs récits pour former des « map of experience ».
Cet ouvrage s’avèrera fort utile pour tous ceux qui s’intéressent aux liens entre la réappropriation de l’espace, la guérison, et la formation de l’identité, bien que l’auteure n’utilise pas expressivement ces catégories. On appréciera sa contribution, qui s’avère importante autant de par la sophistication de la méthode de recherche employée, qui permet de comprendre le processus interdépendant de la construction du savoir et de l’espace, que du fait de son approche théorique innovatrice, qui s’attache à intégrer les interlocuteurs (y compris le chercheur) dans le processus de construction de la narration spécifique au lieu.