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Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l’anthropologie. Paris, Albin Michel, collection Bibliothèque Idées, 2007, 393 p., notes, bibliogr., index.[Notice]

  • Nassima Dris

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  • Nassima Dris
    Groupe de Recherche Innovations et Sociétés
    Université de Rouen, France

Dans cet ouvrage majeur, Maurice Godelier nous livre une analyse réflexive sur sa discipline en expliquant combien il est urgent pour les sciences humaines et sociales, et en particulier l’anthropologie, de se doter d’une « conscience réflexive et critique » pour inventer de nouvelles manières de les pratiquer. L’usage de l’anthropologie comme arme de guerre au service de la domination des populations n’a pas disparu, en témoigne l’expédition récente d’« anthropologues embarqués » du programme « Human Terrain System », dont la mission est « d’améliorer la capacité des militaires à comprendre l’environnement socioculturel en Irak et en Afghanistan ». Si l’anthropologie comme les autres sciences humaines et sociales traverse une période de transition, marquée par une analyse critique de ses méthodes, de ses concepts, de ses limites et de l’obligation d’une plus grande rigueur analytique, cette situation contribue à sa déconstruction pour une reconstruction plus à même de répondre aux nouvelles exigences d’un monde globalisé. Il ne s’agit pas de discuter la pertinence des sciences sociales, celle-ci étant indéniable, mais de proposer de nouvelles démarches et de renouveler les méthodes d’approche. Les chercheurs en sciences humaines et sociales se doivent de tenir compte du processus de globalisation dont la conséquence immédiate est la soumission des États et des sociétés locales à un « supercapitalisme hyperconcurrentiel » (Reich 2008). Pour exister et se reproduire, les États et les sociétés locales sont sommés de s’insérer dans l’économie marchande capitaliste. Paradoxalement, on observe sur le plan politique une multiplication de nouveaux États-nations qui s’accompagne de la réaffirmation de multiples identités locales, ethniques, religieuses. Le contexte de globalisation a favorisé, d’une part, la redécouverte ou la réinvention des traditions locales et, d’autre part, l’émergence de compétences nouvelles sur le plan de la recherche plus à même de comprendre et d’expliquer les réalités locales. L’anthropologie « occidentale » n’est plus seule sur « son terrain », des voix s’élèvent pour contester à la sociologie, à l’économie et autres sciences sociales, leurs capacités à comprendre les façons de penser et d’agir des sociétés non occidentales. Ces voix provenant des sociétés devenues indépendantes revendiquent le droit d’étudier elles-mêmes leurs traditions retrouvées ou réinventées, et de proposer leur propre interprétation de leur histoire, de leur culture et de leur société (p. 28). Ces déconstructions prometteuses participent à l’expression d’un savoir plus rigoureux et plus complet sur la diversité et la complexité des réalités sociales. S’il est clairement reconnu qu’aucun groupe ou aucun individu ne peut se définir que par rapport à d’autres individus et d’autres groupes, il est utile de rappeler comme le fait brillamment l’auteur, que cela vaut aussi pour les identités. Aucune identité n’est fermée sur elle-même et sa réalisation se trouve dans les rapports qu’elle entretient avec d’autres cultures. M. Godelier soutient avec pertinence l’idée selon laquelle les « sociétés ne peuvent être pensées ni analysées comme des totalités closes, des ensembles finis de rapports sociaux localisés, inaltérables, des totalités murées sur elles-mêmes par leur identité particulière et peuplées d’individus partageant les mêmes représentations et les mêmes valeurs, incapables d’agir sur eux-mêmes ni sur les rapports qu’ils entretiennent entre eux et avec la nature » (p. 26). Il en est de même de la construction des connaissances et du rapport de l’anthropologue à son objet. Aucun anthropologue ne saurait comprendre tous les aspects de la vie d’une société locale à l’aide de ses seuls outils d’analyse (p. 27). Le croisement des méthodes et des outils dans un cadre interdisciplinaire est indispensable, car il n’invalide en rien la légitimité de l’approche spécifique, qu’elle soit anthropologique, sociologique ou autre. Fort de son expérience de terrain et …

Parties annexes