Jeannine Koubi, ethnologue au laboratoire « Asie du Sud-Est et Monde Austronésien », du CNRS, a effectué plus de quatre années de recherches sur les Toradja, ou « Hommes de la montagne », de l’île de Sulawesi en Indonésie, les anciennes Célèbes. Elle a déjà consacré un ouvrage resté fameux aux rites funéraires des Toradja : Rambu Solo’, la fumée descend. Le culte des morts chez les Toradja du Sud (1982), ainsi que de nombreux articles scientifiques sur d’autres aspects de cette société de langue austronésienne. Cette fois, ce n’est pas de la mort ni des ancêtres qu’elle nous entretient, mais, à partir de la riche tradition orale de cette société attachante, de l’autre bout de la chaîne intergénérationnelle : des enfants. Plus particulièrement de ceux qui ont été « exposés », c’est-à-dire marqués, blessés, révélés, particularisés, pour une raison ou une autre, en quelque sorte initiés et à qui sont possiblement dévolus aventures épiques, destins tragiques et hors du commun, situations héroïques ou victoires improbables sur l’adversité, naturelle ou surnaturelle. Ces récits, en même temps qu’ils témoignent de douleurs propres à la société toradja, de drames et dangers qui la menacent, marquent avec finesse et force un espoir de les dépasser, de les vaincre, de les annihiler, et donc ils illustrent la main tendue des Toradja vers le reste de l’humanité qui partage les mêmes angoisses et mène une identique quête d’hypothétiques solutions. Jeannine Koubi nous propose au préalable une très dense et passionnante introduction qui résume en quelque sorte la société toradja, relevant de la sphère des espaces sociaux restreints, ce que l’on a nommé aussi les « civilisations du végétal et de l’oralité » (opposées aux espaces sociaux larges de l’écrit et du bâti) dans ses grandes lignes et dans ses denses imbrications et entrelacs sociaux, religieux, économiques, politiques et culturels, bien localisée à l’aide de trois cartes informatives et éclairantes. Soulignons que la clarté du style, précis, chirurgical même, la richesse des matériaux ethnographiques proposés font de cette introduction un ouvrage dans l’ouvrage, en forme de monographie dédiée à cette société d’Indonésie, fameuse notamment pour ses expressions esthétiques, tant architecturales que rituelles ; la présence de cette introduction, comme celle des index détaillés, font de ce livre un véritable ouvrage de référence général sur les Toradja. Puis viennent les récits de la tradition orale eux-mêmes, dans une présentation agréable au lecteur – qui peut découvrir ceux-ci comme il lirait des contes d’ici ou d’ailleurs, pour leur seul intérêt littéraire –, mais qui restent de très performants outils ethnographiques puisque chaque récit est annoté avec utile précision dès qu’il est nécessaire d’expliquer ou d’éclairer la matière culturelle qui est ici brassée. Outre des éléments d’information de prime importance, ces récits révèlent surtout une manière autre de se concevoir et de concevoir le monde, une manière proprement toradja, et proposent également la chair ethnographique nécessaire à saisir dans leur fonctionnement quotidien des institutions aussi célèbres – et pourtant si méconnues – que la dichotomie « aîné-cadet » ou encore l’importance de la surnature et des signes issus de celle-ci ou proposés vers celle-ci, omniprésentes en Asie du Sud-est mais encore trop ignorées de la plupart des étrangers aux cultures et sociétés d’Asie du Sud-Est et d’Extrême-Orient. Vient enfin une synthèse en forme d’épilogue qui propose explications et éclaircissements nécessaires d’une manière globale, et surtout qui pose les jalons d’une étude comparative, encouragée pour prétendre extirper l’essentiel de ces récits à la fois distrayants, informatifs et pédagogiques : l’on parle ici aussi, et peut-être surtout, des relations de couple, de la relation mère-enfant, de la question de l’inceste, de …
Parties annexes
Référence
- Koubi J., 1982, Rambu Solo’, la fumée descend. Le culte des morts chez les Toradja du Sud. Paris, CNRS.