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L’auteur de ce livre, écrit très serré, nous entraîne à travers toute l’Afrique dans une équipée qui traite essentiellement des rapports de forces entre ce qu’il appelle le « système de la sorcellerie » et le « système sociopolitique », ce dernier incluant la parenté dans tous les cas et, quand elles sont présentes, une bonne partie des structures plus proprement politiques des chefferies et des royaumes. La sorcellerie est une force impersonnelle qui est utilisée pour faire du mal à autrui, mais qui peut aussi, à l’occasion, servir à se protéger des ennemis, sans que le sorcier bienfaisant cesse pour autant d’être encore et toujours potentiellement un sorcier malfaisant. C’est le cas de certains chefs et rois africains qui sont expressément désignés comme sorciers, ce qui choque profondément notre logique occidentale du pouvoir politique.
Adler examine ce paradoxe dans le second chapitre en faisant le procès des explications fonctionnalistes qui disent paresseusement que le roi doit être un sorcier plus puissant que ses ennemis sorciers pour pouvoir les combattre efficacement. Or, si c’est bien aussi quelquefois le cas, ce n’est pas que de cela qu’il s’agit. D’autres vues fonctionnalistes sont aussi rapidement récusées. La sorcellerie est dirigée le plus souvent envers des proches, qu’ils soient parents, alliés ou simplement voisins. Pour ce qui est de la parenté, les relations avunculaires et leur rapport avec la sorcellerie sont examinées dans deux sociétés matrilinéaires où la relation oncle maternel-neveu utérin est l’objet de spéculations sur la sorcellerie ; dans la première, les Bakongo, c’est l’oncle qui est supposé ensorceler le neveu alors que chez les Mesakin, c’est le neveu qui accuse l’oncle de vouloir l’ensorceler, mettant ce dernier en position de faiblesse. En ce qui concerne les alliés, la relation de couple est analysée chez les Baluba et les Thonga. En dernier lieu, Adler nous montre, chez les Kuranko, que la relation de sorcellerie frère-soeur est indissociable de la relation mari-épouse. On voit bien ici que les accusations de sorcellerie se font par catégories, chaque société décrétant qui peut être agressé et qui doit être accusé. Adler a choisi ses exemples parmi les cas où cet aspect formel a été le mieux analysé dans les ethnographies.
Le troisième chapitre discute la tentative comparatiste que Meyer Fortes avait entreprise entre les Ashanti et les Tallensi, deux sociétés du Ghana qu’il avait lui-même étudiées, les accusations de sorcellerie étant communes dans la première et presque inexistantes dans la seconde. Les malheurs sont attribués à la sorcellerie chez les Ashanti mais ils sont, chez les Tallensi, la conséquence d’un choix prénatal effectué par l’âme d’une personne lorsqu’elle vient au monde, choix qu’elle oublie, mais, si des malheurs la frappent, on peut y remédier par des rites très compliqués impliquant les ancêtres sans accuser autrui. Cette question du choix prénatal et de ses liens avec les ancêtres est poursuivie, dans des pages très denses, dans le quatrième chapitre, chez deux poputations voltaïques, les Samo et les Gourmantché. La question à résoudre est pourquoi, dans ces deux sociétés relativement voisines des Tallensi, les ancêtres ne jouent aucun rôle dans les rites de réparation du mauvais choix, rites correspondant à ceux des Tallensi.
Après avoir clos les relations de la parenté et de l’alliance avec la sorcellerie, la deuxième partie du livre, intitulée « Pouvoir royal et sorcellerie », se consacre plus particulièrement au paradoxe du roi sorcier dans les sociétés qui conçoivent le pouvoir de cette manière (certains pouvoirs des rois ou des chefs africains n’impliquent en rien que ces derniers possèdent la sorcellerie, ce qui serait, souligne judicieusement l’auteur, la base d’une nouvelle classification des systèmes politiques africains). Mais avant de poursuivre, Adler juge utile de tenter de clarifier la distinction entre magie et sorcellerie et de voir comment celle-ci et celle-là s’articulent avec le politique et ce que nous qualifions de religion. Pour ce faire, il se penche, dans le chapitre cinq, sur quelques écrits de Luc de Heusch qui s’était déjà exprimé sur le problème en prenant pour exemples des royautés du bassin du Congo. À ces exemples, amplement discutés, Adler ajoute les Kukuya du Congo-Brazzaville, les Batéké et les Kuba, de la même région, ainsi que les Nyakyusa du Malawi. Le dernier chapitre nous transporte en Afrique occidentale, avec les cas des Songhay, des Yoruba, des Gonja et des Tiv. On s’étonnera peut-être de ce dernier exemple puisque les Tiv sont décrits dans les introductions à l’anthropologie comme des parangons de système lignager unilinéaire, encore plus, s’il est possible, que les fameux Nuer. Mais c’est oublier que juste avant la colonisation anglaise, ils ont essayé d’emprunter, en en modifiant le contenu, le modèle de la royauté voisine des Jukun, mais que ce modèle fut rejeté car, en se subordonnant à un sorcier plus important qu’eux, les aînés se voyaient limités dans leurs pouvoirs, incluant la possibilité d’employer la sorcellerie comme ils en avaient l’habitude. Tous ces cas nous montrent comment, dans quelles sphères et en quelles circonstances, le chef ou le roi pouvait, ou devait, utiliser sa sorcellerie. La conclusion regroupe les interrogations du livre et tente une confrontation entre le roi sorcier et nos idées de la philosophie politique en prenant pour exemple les réflexions de Machiavel dans Le Prince. Cela peut sembler provocateur, mais les arguments sont très convaincants. Le tout donne un ouvrage soigné et bien charpenté qui nous fait appréhender la sorcellerie dans une dimension sociétale globale qu’on aimerait voir appliquée à l’avenir dans chaque monographie particulière.