Un Québécois « pur laine » se retrouve un jour face à un Innu. Entre les deux, une rivière à saumon coule lentement mais sûrement vers la Grande Rivière connue aussi comme « Le Saint-Laurent ». Le Québécois demande à l’Innu : « Comment faire pour me rendre de l’autre côté de la rivière? ». L’Innu, de répondre : « Mais vous y êtes déjà! ». Cette histoire nous rappelle à quel point dans toute relation interculturelle, comme dans toute rencontre interpersonnelle, tout est question de perspective. D’où l’importance de nous situer politiquement par rapport à la question qui nous intéresse ici, celle de la justice et de la citoyenneté pour les allochtones et les autochtones au Québec. Invités à Québec par la revue Anthropologie et Sociétés, serons-nous en territoire amérindien, québécois ou canadien? Impossible de répondre à cette question sans nous situer dans les débats et mouvements politiques contemporains. Au niveau politique, Québec est une capitale nationale francophone dans un État fédéral officiellement bilingue. Cet État canadien compte le Québec comme une province parmi 10 autres. Le Québec, quant à lui, se compte comme société distincte en Amérique du Nord parce que francophone et héritière d’une culture latine plutôt qu’anglo-saxonne. C’est dans ce cadre politique qu’ils n’ont pas créé, que les autochtones revendiquent aujourd’hui auprès des instances provinciales, nationales et internationales leurs droits au territoire et à l’autodétermination. Comme nous le verrons dans les pages qui suivent, c’est au sein de ces mouvements de revendication qu’individus et groupes cherchent par divers moyens à infléchir le sens de l’histoire. L’objectif politique consiste à instaurer des relations sociales plus justes parce que plus respectueuses des identités et des aspirations profondes des uns et des autres. Il s’agit pour les uns et pour les autres de définir un nouveau cadre constitutionnel et juridique dans lequel corriger des torts trop longtemps subis. Trois textes nous serviront de points de repère au cours de notre discussion des relations entre autochtones et allochtones au Québec : Sovereign Injustice, publié par le Grand Conseil des Cris (du Québec) en 1995 ; Mythes et réalité sur les peuples autochtones. La rencontre Québécois-Autochtones, publié par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse en 2002, et Laïcité et diversité religieuse : l’approche québécoise, publié en 2004 par le Conseil des Relations Interculturelles du Québec. En cherchant à comprendre ces textes, souvenons-nous que Le Petit Robert définit allochtone comme ce « qui provient d’un endroit différent. Des roches allochtones mises en place par action tectonique », par opposition à autochtone qui signifie « issu du sol même où il habite, qui est censé n’être pas venu par immigration ou n’être que de passage ». En discutant les textes mentionnés plus haut pouvons-nous, les allochtones, reconnaître que l’autochtone nous voit déjà de l’autre côté de la rivière lorsque nous pensons la question de la citoyenneté et de la justice pour les autochtones? Pouvons-nous nous regarder de son point de vue? Comment, en d’autres mots, penser la question de la justice et de la citoyenneté au Québec du point de vue des « autres » que nous ne savons plus reconnaître comme nos hôtes? Remontons d’une décennie le cours de l’histoire afin de nous situer à la veille du dernier référendum sur l’indépendance du Québec. Le Grand Conseil des Cris (du Québec) publie le 12 octobre 1995 une étude choc : Sovereign Injustice. Forcible Inclusion of the James Bay Crees and Cree Territory into a Sovereign Québec. Le lendemain, Denis Lessard du journal La Presse présente cette oeuvre comme « une brique …
Parties annexes
Références
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