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Un compte rendu consiste à discuter et, éventuellement, à critiquer un ouvrage par rapport au but qu’il se propose d’atteindre. Samuel Lézé qui a rédigé, à propos de mon livre, Au coeur du sens. Perception, affectivité, action chez les Candoshi, un compte rendu paru en 2004, dans le volume 28, numéro 1, de la revue Anthropologie et Sociétés, passe outre cette règle. En effet, dans un premier temps, il édicte quelques idées qui devraient, selon lui, définir le métier d’ethnologue à l’heure actuelle et conclut finalement sur ce que ce livre aurait dû être, à savoir un texte sur le « contexte national » dans lequel se trouvent les Candoshi. Sans nier l’importance de ce sujet auquel j’ai d’ailleurs consacré d’autres ouvrages (Surrallés et García Hierro 2004 ; Surrallés et Uriarte sous presse), il me paraît regrettable pour les lecteurs de la revue que l’objet de mon livre n’ait donné lieu qu’à une très sommaire présentation. Brièvement, je la compléterai donc en rappelant de quoi il est question.
Dans cet ouvrage, je me suis demandé si la perception et l’affectivité peuvent faire l’objet d’une étude anthropologique et dans quelle mesure l’intérêt nouveau que l’anthropologie porte à ces domaines met en question certains de ses fondements épistémologiques. Grâce à de nombreuses données ethnographiques recueillies chez ce peuple amérindien de l’Amazonie péruvienne, au cours de plusieurs années de terrain, quelques éléments de réponse ont pu être apportés. Ce travail consiste à décrire les rapports sociaux et les pratiques, en considérant la variable d’intensité de la perception et de l’affectivité. Partant du constat, attesté par l’anthropologie de ces dernières décennies, selon lequel le corps est le point d’ancrage de la pensée et de l’ordre social, je suis resté attentif à la compréhension de ce qui est le propre du corps : sa nature affective. Les principaux objectifs de ce livre sont, d’une part, de mettre en rapport une analyse des perspectives locales de la perception et de l’affectivité, et, d’autre part, de rendre compte de la place des affects dans la sociabilité à travers la perception.
Utilisant un ton méprisant et désinvolte, l’auteur de ce compte rendu lésine à rapporter les propos de ce livre. Celui-ci ne lui sert que de prétexte pour énoncer une série de jugements et de critiques qui ne parlent pas du travail effectué, mais d’une conception générale de l’anthropologie. En fait, ses critiques visent une anthropologie qui n’existe que dans l’esprit de cet auteur, fiction qui lui sert d’ailleurs de repoussoir pour donner l’illusion qu’il propose une démarche nouvelle. Il est cependant amusant de constater que, par ce biais, il se pose comme le porte-parole d’une collectivité qui, même s’il avait eu le plaisir de la rencontrer, ne lui aurait certainement pas donné ce droit. Lorsqu’il écrit, par exemple à la fin, que « les préoccupations réelles et actuelles de ce groupe social sont savamment ignorées » le lecteur est en droit de se demander sur quoi S. Lézé fonde cette affirmation. Comme il ne possède aucune preuve à faire valoir, il faut conclure que ses propos ne vont pas au-delà d’une prise de position dogmatique. Or, même si l’anthropologue ne doit pas toujours satisfaire les « préoccupations réelles et actuelles » des groupes auxquels il s’intéresse, il se trouve que, pour mon travail chez les Candoshi, je l’ai réalisé en accord avec leurs organisations représentatives. Contre la vision étatique du « contexte national » sans laquelle, selon Lézé, on ne peut faire « l’analyse des minorités tribales », les Candoshi et d’autres peuples de l’Amazonie péruvienne demandent à l’anthropologue de traduire les espaces d’autonomie qu’ils développent dans le domaine discursif et dans les pratiques, afin qu’ils puissent revendiquer une autodétermination dans le domaine politique. Les points de vue des communautés amérindiennes sur leur forme de vie, que l’anthropologue a les moyens d’attester et que mon livre essaie justement de mettre en lumière, sont autant d’atouts pour réclamer des droits historiques que ces groupes possèdent d’après les conventions internationales signées par l’État péruvien. Quant à leur représentation politique, cela fait au moins deux décennies qu’ils veulent la prendre en charge, mais en prenant bien soin de récuser les intermédiaires autoproclamés.
Parties annexes
Références
- Surrallés A. et P. García Hierro (dir.), 2004, Tierra adentro. Territorio indígena y percepción del entorno. Copenhague, IWGIA.
- Surrallés A. et L. Uriarte, (sous presse), Guía etnográfica de la Alta amazonia, vol.VI. Lima, Panama et Washington, Smithsonian Tropical Research Institute et Institut français d’études andines.