Anthropologue de formation, Kalman Applbaum est passé par la Harvard Business School, puis a dispensé des cours de gestion du marketing à la J.L. Kellogg Graduate School of Management de Chicago. Il signale dans son propos liminaire la piètre attention que les sciences sociales ont portée au marketing, cet aspect vital de l’expansion du commerce et des grandes corporations. Par son livre, Applbaum propose de contribuer à combler cette lacune. Le but de l’ouvrage est de montrer l’aspect culturellement déterminé du marketing ainsi que sa logique de fonctionnement afin d’en mieux saisir le rôle dans la marchandisation croissante qui caractérise le capitalisme de notre époque. À cette fin, l’auteur puisera habilement à la littérature des affaires et du marketing, à plusieurs classiques des sciences sociales et de l’économie, à ses expériences de terrain auprès de hauts responsables du marketing dans diverses corporations de grande envergure. Dans la première section du livre, Applbaum s’emploie à esquisser le marketing contemporain : plus que publicité ou vente, le « concept marketing » est une façon d’envisager et de diriger l’entreprise. Dans un monde où les avantages comparatifs en termes de coûts de production tendent à s’aplanir, le marketing devient un outil central des entreprises. En effet, c’est en s’assurant que ses produits et services seront vendus – et à répétition – au consommateur, qu’une entreprise a le plus de chances de se démarquer et de conquérir des parts de marché. « La recherche de la satisfaction des besoins du consommateur tout en rencontrant les exigences de l’entreprise forme la colonne de ce qui parmi les gens de marketing est universellement connu comme le concept marketing » (p. 29, ma traduction). La logique qui sous-tend le marketing, trempée dans le néoclassicisme économique, prend pour acquise la conception que les besoins sont éternels et cherchent une satisfaction immédiate. Et on comble ces besoins par la consommation. Applbaum distingue clairement le marketing d’une simple relation d’échange entre vendeur et acheteur. Il parle plutôt d’un complexe système d’approvisionnement (system of provisioning) où entrent en relation consommateurs et gens de marketing. Dans une sorte d’accord tacite, les premiers informent de leurs « besoins » les seconds, qui en retour élaborent les marchandises les plus appropriées qui soient. D’où une nécessité permanente d’approfondir la recherche sur les consommateurs. Pour le marketing, l’issue ultime est le marché global : considérer le monde comme un unique marché qu’il faut investir et maîtriser. Comment en vient-on à promouvoir à grande échelle des produits standardisés? Divers moyens sont déployés afin de contrôler toutes les variables du marché : investir au départ les produits de valeur-signe ; lancer des campagnes d’éducation à la consommation ; manipuler l’environnement physique et culturel où se produisent les échanges ; etc. Et comme le marketing est plongé dans une conception occidentale (libérale) de l’humain et des besoins, cela se transpose dans les moyens déployés, en Occident comme ailleurs. Le marketing va décomposer l’expérience humaine pour la réarticuler avec la consommation puisque dans le canon du marketing, liberté et identité se réalisent et s’actualisent par la consommation. L’entreprise prend alors une couleur coloniale : on fonctionne à partir de pratiques et d’idéaux typiquement occidentaux comme la valorisation de la modernité. La seconde section de l’ouvrage nous transporte dans la généalogie du marketing : partant du présent, Applbaum remonte vers le passé, non pas pour expliquer ce qui s’est produit, mais bien pour décrire comment les changements qui y sont survenus ont rendu le présent (le marketing et sa légitimité) logiquement possible. Suivant notamment Geertz et Sahlins, il se penche sur les préalables qui ont conduit aux résultats présentés en …
Kalman Applbaum, The Marketing Era. From Professional Practice to Global Provisioning. New-York et Londres, Routledge, 2004, 283 p., fig., schémas, tabl., réf., bibliogr., index.[Notice]
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Martin Lambert
Département d’anthropologie
Université Laval
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Canada