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L’invention de la photographie par le procédé du daguerréotype date de 1839. Stephen Sprague explique dans son texte « Yoruba photogaphy », publié dans African Art en 1978, que le daguerréotype est arrivé en Afrique seulement trois mois après son invention. Il souligne d’autre part à quel point les Yoruba ont activement intégré cette technologie à leur culture. Au-delà, son analyse défend l’idée d’une histoire de la photographie qui s’est étendue à l’ensemble du globe presque immédiatement après son invention. Ce texte, reproduit dans Photography’s Other Histories devient à la fois précurseur et emblématique du projet de ce livre.
Dans l’introduction programmatique, Christopher Pinney, le principal coordonnateur de l’ouvrage, évoque l’importance d’aborder la pratique de la photographie en tant que pratique culturelle. La plupart des travaux sur la géographie de la pratique photographique a appliqué les théories occidentales à d’autres contextes et donc reste sur un point de vue eurocentriste. Or Pinney souhaite montrer que la photographie est une technologie soumise à des appropriations culturelles et susceptible de s’intégrer à d’autres histoires.
Dans cette optique, les douze textes de l’ouvrage couvrent un large ensemble géoculturel et de situations postcoloniales : Australie, Nouvelle Guinée, Chine, Japon, Pérou, Kenya, Inde et Nigeria. Le livre s’ouvre sur « Personnal Archives », une partie composée de trois textes autobiographiques. Ils peuvent être lus comme des témoignages du lien qui se constitue entre la construction identitaire et la photographie support de récits. « Relating to Photographs » le texte de Jo-Anne Driessens raconte la découverte de son passé aborigène à travers les photographies de la collection Tindale et notamment la rencontre avec la photographie de son arrière-grand-père. Les deux autres parties du livre présentent des textes plus attendus, se situant dans le registre anthropologique et des visual studies.
La photographie dans les écrits anthropologiques a souvent été abordée par le thème de l’outil de représentation de l’Autre, l’analyse portant sur les effets idéologiques des images. La partie « Visual Economies » entend nuancer et complexifier ces approches qui présupposent un accord absolu entre l’image et les forces idéologiques qui la motivent. Aussi, la plupart des textes de cette partie reprennent-ils ce thème de la représentation de l’Autre et des constructions de stéréotypes, mais ils montrent que la photographie n’a jamais un plein contrôle sur ce que l’image représente. Le texte de Nicolas Peterson sur la relation de la photographie et la culture aborigène approfondit ce thème. Celui de Christopher Wright, sur les rapports entre la photographie de tatouages de Francis Barton et la photographie érotique, est révélateur d’une photographie comme un espace de multiples négociations intercultu-relles.
La troisième partie « Self-Fashionning and Vernacular Modernism » expose le point de vue « subalterniste » qui parcourt l’ouvrage. Se plaçant sous le thème de la « provincialisation » de l’histoire de la photographie, cette partie est la plus proche de l’intention initiale du livre. Le texte de Deborah Poole sur l’artiste péruvien Figueroa Aznar, explique comment le style moderniste de l’artiste a été modelé par ce qu’on pourrait appeler une compréhension péruvienne de la photographie. Les textes de cette partie s’attachent aux procédés d’inculturation de la pratique photographique. En cela, l’aboutissement est bien de montrer que la photographie ne doit pas être considérée comme une technologie occidentale diffusée de par le monde, mais comme une technologie prise dans des réinventions et composant d’autres histoires.
Dans la relative absence de travaux anthropologiques sur la pratique photographique, ce livre aux diverses pistes innovantes – même si elles peuvent nuire à la cohérence de l’ensemble – est un outil roboratif. Cependant, en participant au développement de la thématique des modernités vernaculaires, l’ouvrage poursuit les ambiguïtés culturalistes de cette notion qui tend à réifier les cultures et à retomber dans la logique du relativisme culturel. Cela est particulièrement palpable dans le principe même du livre en présupposant un ensemble homogène euro-américain face à la diversité de ces autres histoires de la photographie. Cette bipartition reconduit en quelque sorte le thème du Grand Partage. Or, c’est oublier que cet ensemble euro-américain est tout autant soumis à des inflexions locales et à la diversité de sa photographie.