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Malgré son titre un peu difficile pour les puristes de la langue française, La banlieue revisitée s’avère un document extrêmement intéressant. Cet ouvrage collectif qui se concentre sur l’agglomération de Québec nous livre les résultats d’un immense chantier de recherche sur un objet scientifique à la fois original et pertinent, la banlieue. En effet, comme les auteurs le mentionnent, les banlieues sont victimes d’un préjugé défavorable dans le monde des études urbaines. À l’opposé, celles-ci présentent une image idyllique plutôt figée chez la majorité de la population, du moins en Amérique du Nord. Dans les deux cas, une meilleure appréciation de la situation de ce type de milieu géographique est fort utile.
L’ouvrage en question regroupe les contributions de neuf auteurs de différentes formations, principalement des sociologues et des architectes, chercheurs d’expérience et étudiants aux cycles supérieurs. Cette collaboration permet d’aborder autant les aspects fondamentaux, comme la sociabilité de banlieue, que les dimensions appliquées, telles que la réhabilitation des habitations et la qualité de vie des personnes âgées. Le fil conducteur est solide et les passerelles entre les articles, nombreuses, ce qui constitue toujours un défi dans le cadre d’un ouvrage collectif.
La banlieue revisitée comporte dix chapitres réunis en trois parties : les repères historiques, les analyses et les propositions d’aménagement. Plusieurs éléments intéressants en ressortent, surtout pour les banlieues de première génération. Les chapitres de départ décrivent les caractéristiques physiques des secteurs étudiés, les motivations des premiers arrivants ainsi que le profil démographique des résidants actuels. Le chapitre 3 (Dominique Morin) confirme la persistance d’une opposition entre la basse-ville et la haute-ville à Québec, qui se répercute sur les migrations résidentielles centrifuges des trois décennies d’après-guerre. Aujourd’hui encore, cette dichotomie transcende les différences entre le centre et la banlieue. Cette constatation rejoint les études de géographie structurale sur Québec (Ritchot et al. 1994) et il est quelque peu surprenant que l’auteur n’y ait pas fait allusion.
La deuxième partie du livre est la plus consistante. Celle-ci se fonde sur une enquête qualitative composée d’entretiens semi-dirigés. On y apprend plusieurs choses : les banlieusards sont habituellement attachés à leur milieu ; l’attrait du centre se réduit souvent aux seules activités ludiques ; les termes « banlieue » et « centre-ville » doivent céder la place à des classifications plus fines ; la mobilité a beaucoup d’effets sur l’identité de quartier ; les représentations de l’espace urbain varient selon les groupes sociaux au sein d’un même secteur, etc. La troisième section du document se résume à une série de recommandations à caractère architectural et urbanistique, comme le réaménagement des dessertes locales pour favoriser la marche et la rénovation des bungalows pour permettre la cohabitation intergénérationnelle.
Dans ses aspects théoriques, le livre souligne la distinction entre l’identité générique de la banlieue comme forme urbaine et l’identité rattachée à un territoire de banlieue en particulier. Il s’agit d’une question fort complexe qui permet de préciser les fréquents constats sur l’existence ou l’absence d’identité. C’est-à-dire que l’absence d’identité et de sociabilité dans un milieu correspondrait davantage à la seule présence d’une identité générique. Cette interrogation théorique débouche sur celle de la sociabilité québécoise au sens large. Dans le chapitre 5, Andrée Fortin nous présente une banlieue peuplée en grande partie de gens enracinés, territoire au sein duquel se déploient des réseaux familiaux. Sans douter de ces conclusions, s’agit-il d’un phénomène généralisé ou d’une spécificité québécoise? Considérée sur la longue durée, l’urbanisation du Québec est récente et la culture de sa population, incluant celle des banlieusards sondés, est peut-être encore influencée par certaines valeurs associées aux sociétés rurales.
Malgré l’excellence de l’ouvrage, on peut regretter que les démarches méthodologiques ne soient pas toujours bien explicitées. Les informations manquent sur les techniques d’échantillonnage, les questions d’entrevues, etc. Les échantillons sont également de petite taille. Par ailleurs, certains textes combinent des enquêtes multiples ayant leur logique propre. Cependant, les auteurs énoncent les limites de leurs méthodes, et les conclusions restent prudentes et nuancées pour la plupart. En définitive, il s’agit d’un très bon document qui deviendra sans doute un classique des études socio-géographiques sur l’agglomération de Québec.
Parties annexes
Référence
- Ritchot G., G. Mercier et S. Mascolo, 1994, « L’étalement urbain comme phénomène géographique : l’exemple de la région de Québec », Cahiers de Géographie du Québec, 35, 95 : 239-255.