Commentaire sur le texte de Zygmunt Bauman[Notice]

  • Michael Herzfeld

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  • Michael Herzfeld
    Department of Anthropology
    Harvard University
    Cambridge, MA, 02138
    États-Unis

Dans ce texte, M. Bauman rallie les rangs de ceux qui se méfient des nouveaux pouvoirs, lesquels commençaient déjà depuis longtemps, semble-t-il, à préparer le terrain d’une domination globale et totalisante – domination qui, au fur et à mesure que les circonstances géo-politiques le leur permettent, pourrait dépasser même les cauchemars littéraires les plus imaginatifs. C’est un point de vue que beaucoup de monde partage avec lui, y compris l’auteur de cette réponse. Encore faut-il se demander si reconnaître l’énormité et l’envergure du problème suffit pour en dégager le vrai danger. Cela va peut-être de soi, sans qu’on en discute ; mais qu’y a-t-il de menaçant chez ces gens qui nous offrent un avenir où les guerres irrédentistes et les nettoyages ethniques n’existeront plus? N’est-ce pas ce que l’on souhaite, en effet? Dans quel sens pourrait-on souhaiter le retour de la haine ethnique et de la violence qui apparemment l’accompagne partout? Mais c’est une mauvaise question, ou du moins mal posée. Car la disparition de la violence ethnique ne garantit point la justice sociale, et l’humanité n’a pas lutté pendant des siècles pour qu’on puisse lui ôter, au dernier moment, la liberté du savoir. Voilà alors la formule magique dont ces nouveaux maîtres du monde (car c’est ainsi qu’ils se conçoivent) voudraient bien se servir. « Très bien, nous répondent-ils, dans leur jargon sucré de managers et de psychiatres, mais au moins permettez-vous que nous essayions de réduire la complexité des choix que vous devez faire. Nous sommes à votre service! » Et c’est là qu’ils s’infiltrent dans notre vie quotidienne, avec sollicitude, mais quand même menaçants ; ils procèdent comme les usuriers qui se déguisent en amis sympathiques pour nous fournir l’assistance aux moments difficiles et ensuite nous épater, mais qui nous rattrapent quand nous subissons les conséquences de notre inattention (car c’est toujours la faute de la victime, bien entendu). Certes, rêver d’un monde moins complexe que le nôtre, c’est irrésistiblement séduisant après un jour chargé de tâches compliquées ou lorsqu’on vient de subir une série de difficultés bureaucratiques. Et ce n’est pas par hasard que ces nouveaux managers sont toujours et surtout des gens superficiellement conservateurs ; cela dit, pour leur reconnaître un certain degré d’honnêteté – peu importe que ce soit un geste cynique –, ils parlent souvent de la « révolution » qu’ils veulent nous imposer. De même, ce n’est pas par hasard que ces nouveaux anges qui s’appellent « néo-libéraux » s’opposent aux exigences des fonctionnaires d’État (pour gagner la sympathie des citoyens : souvenez-vous des jours de la puissance de Margaret Thatcher au Royaume-Uni, par exemple) et se moquent des excès de la bureaucratie à tout niveau, national ou transnational comme dans l’Union européenne. Mais faites bien attention, car ce par quoi ils veulent remplacer la bureaucratie d’État ou d’autres institutions est une nouvelle machine mille fois plus efficace parce qu’elle est presque toujours invisible, située au coeur d’une structure virtuelle et, par conséquent, armée contre toute possibilité de critique. Je ne veux pas minimiser la mise en scène que M. Bauman nous présente ; au contraire, je partage ses peurs. J’espère vivement qu’on saura bâtir une épistémologie capable de combattre l’apathie chronique – le dumbing down, selon l’expression nord-américaine – qui amène bien des gens à fuir la complexité. C’est ce qu’on constate aujourd’hui, même dans les meilleures universités du monde, où des étudiants exercent leur droit de consommateurs pour se débarrasser des cours ardus. Et de la même manière, pendant les campagnes électorales, les candidats qui réussissent à réduire les problèmes mondiaux à des caricatures finissent par gagner le pouvoir. …

Parties annexes