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Qui a peur des Innus?Réflexions sur les débats au sujet du projet d’entente de principe entre les Innus de Mashteuiatsh, Essipit, Betsiamites et Nutashkuan et les gouvernements du Québec et du Canada[Notice]

  • Paul Charest

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  • Paul Charest
    Groupe d’études inuit et circumpolaires — GÉTIC
    Département d'anthropologie
    Université Laval
    Québec (Québec) G1K 7P4
    Canada

Du 21 janvier au 7 mars 2003, la Commission des Institutions de l’Assemblée nationale du Québec a siégé pendant 12 jours pour discuter des mémoires reçus au sujet du projet d’entente de principe mentionné ci-dessus : 88 mémoires avaient été déposés à l’avance et 72 organismes et personnes se sont présentés devant la Commission pour en débattre. Comme j’ai suivi presque toutes les séances et que j’ai moi-même présenté un mémoire (Charest 2003), j’ai pensé partager avec les lecteurs et lectrices de cette revue mes réflexions personnelles sur ces débats et les enjeux inhérents qui m’apparaissent fondamentaux pour l’avenir des rapports entre les membres allochtones et autochtones de la société québécoise. Mon intention n’est pas de procéder à une analyse systématique des écrits et des discours dont j’ai pris connaissance, mais de présenter une série de sujets ou de thèmes abordés et d’y réagir encore à chaud par des commentaires personnels fondés sur une longue expérience de recherche et de travail de consultant en milieu innu. Mais, d’abord, il m’apparaît nécessaire de fournir au lecteur non familier avec les questions autochtones des informations sur le contexte juridique et politique dans lequel s’inscrit l’actuelle négociation des Innus. La question des droits territoriaux des Autochtones du Canada a une longue histoire parsemée de nombreux jugements de Cour jusqu’en Cour Suprême, qu’il est impossible de résumer en quelques lignes ou paragraphes. Elle a fait l’objet de plusieurs ouvrages et nous y renvoyons donc le lecteur désireux d’approfondir le sujet (Ash 1993 ; Cumming et Mickenberg 1972 ; Kulshinsky 1996 ; Lavoie et al. 1996 ; Long, Boldt et Little Bear 1991 ; Morse 1991). Disons simplement qu’avant les jugements Calder et Malouf de 1973, les droits territoriaux reconnus aux Autochtones se limitaient à des droits d’usufruit temporaires ou résiduels, c’est-à-dire à des droits d’utiliser les terres ancestrales et leurs ressources tant que la Couronne n’en cédait pas la propriété ou l’usage à d’autres pour la colonisation agricole, l’exploitation forestière, la construction de barrages hydroélectriques et de réservoirs, l’établissement de pourvoiries, etc. Jusque-là, les différents traités signés entre la Couronne du Canada et des groupes autochtones comportaient tous une clause d’extinction de tous les droits aborigènes quels qu’ils soient, donc ne les reconnaissaient pas. Cette non-reconnaissance de droits spécifiques aux Autochtones était encore la politique en vigueur du gouvernement du Canada lorsque le jugement Calder fut rendu public. Sans conclure de façon majoritaire à la reconnaissance de droits aborigènes, y compris de droits territoriaux non éteints aux Nisga’as de Colombie-Britannique, ce jugement ouvrait la porte à un éventuel veto des Autochtones sur tout nouveau projet de développement sur les terres non encore cédées par traité. Le gouvernement canadien fit alors une volte-face et proposa la négociation comme moyen de régler les litiges territoriaux issus d’un processus de revendications déjà ancien (les Nishga’as ont amorcé leurs revendications en 1870), mais qu’il avait réussi jusqu’alors à étouffer en modifiant la Loi sur les Indiens pour interdire à des groupes revendicateurs, comme les Nisga’as, de récolter des fonds et de recruter des avocats pour défendre leur cause en Cour. Depuis 1973, les Autochtones du Canada qui n’ont pas signé de traité ont donc la possibilité d’entrer dans un processus de négociations territoriales, dites globales, c’est-à-dire sur la base de leurs droits aborigènes non éteints par traité ou par une législation quelconque. Ainsi, à partir de cette date, plusieurs « conventions », ou traités modernes, ont été signées, dont celles avec les Cris, les Inuits et les Naskapis du Nord du Québec en 1975 et 1978, celle avec les Inuits inuvialuit et les Inuits du Nunavut en …

Parties annexes