Comptes rendus

Jean-Loup Amselle, Branchements. Anthropologie de l’universalité des cultures. Paris, Flammarion, 2001, 265 p., illustr., bibliogr.[Notice]

  • Stéphane Vibert

…plus d’informations

  • Stéphane Vibert
    Centre interuniversitaire d’Études sur les Lettres, les Arts et les Traditions — CELAT
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    Québec (Québec) G1K 7P4
    Canada

Ce nouvel ouvrage de l’anthropologue spécialiste de l’Afrique noire se décline selon deux axes complémentaires, l’étude de terrain venant enrichir réflexions épistémologiques et discussions de l’objet « mondialisation ». L’auteur prolonge sa visée théorique, élaborée dans ses livres précédents, consistant non seulement à récuser tout « essentialisme culturel », mais plus encore à démontrer l’inanité des discours postmodernes révérant le « métissage », « l’hybridation », « la créolisation », qu’il considère comme autant d’avatars d’une pensée « biologico-culturelle » vouée à reproduire ce qu’elle croit combattre, « l’idée d’une pureté originaire » (p. 22). Contre cette illusion, Amselle développe la thématique métaphorique du « branchement », comme interconnexion constante des « cultures » sur « un réseau de signifiants planétaires » toujours « déjà-là », résultat de toutes les globalisations historiques, antérieures à celles de l’islam, de la colonisation européenne ou de l’actuelle « mondialisation ». Cette thèse est illustrée par un exemple « africain » : la création en 1949 d’une véritable « multinationale culturelle » (présente à Conakry, au Caire, à Bamako), le mouvement n’ko, grâce à l’inspiration d’un penseur mandingue, Souleymane Kanté, inventeur d’un alphabet apte à sortir les cultures africaines de « la malédiction de l’oralité ». Jouant l’une contre l’autre les références à l’Occident et à l’islam, S. Kanté reconstruit une « tradition mandingue » par réappropriation de catégories « étrangères » (anthropologie de l’africaniste M. Delafosse, religion musulmane, droits de l’homme, décentralisation) et retournement nationaliste, incarnant comme tous les prophétismes afrocentristes la quête d’une « essence africaine qui est l’exact symétrique d’une modernité à laquelle ils ne peuvent participer » (p. 100). Le créateur du N’ko, Souleymane Kanté (1922-1987), visait « la sauvegarde de la civilisation mandingue » (p. 163) mais surtout la régénération de cette culture, par la diffusion d’un islam « indigénisé » et la rationalisation de thérapies traditionnelles. La décentralisation malienne se nourrit des ouvrages du « Dr Kanté » — pédagogue, écrivain, médecin, mathématicien, philosophe, historien — consacrés aux empires du Soso et du Mali, hagiographies faisant de l’empereur du Manden, Sunjata, « l’inventeur de la “démocratie” et le pionnier des droits de l’homme » (p. 198), à la suite de l’assemblée de Kurukan Fuga (1236), réinterprétée en termes de « contrat social ». Le « nationalisme culturel mandingue » répondrait aux réquisits de l’espace interculturel contemporain, selon une « déconstruction » des identités « essentialisées », car « pas plus qu’il n’est de philosophie africaine, il n’est de philosophie occidentale, chacune de ces entités étant pensée dans les termes de filiations largement fictives, c’est-à-dire oubliant les branchements latéraux » (p. 176). Si la description du mouvement n’ko permet bien de saisir la « réinvention des traditions » à l’oeuvre dans la pensée postmoderne, la « déconstruction constructiviste » (Caillé 2001) d’Amselle pose problème. Quasi-homologue à la problématique des « réseaux » (Latour 1991), la thématique des « branchements » favorise certes la relecture critique du « culturalisme » classique de la discipline anthropologique (ici Malinowski), trop portée à négliger l’histoire coloniale et le rapport structurant aux sociétés environnantes, accréditant ainsi l’image homogénéisée de pseudo-isolats culturels, « primitifs » et auto-suffisants. Mais cette remise en question frise l’auto-contradiction performative, continuant par défaut à utiliser les termes « culture », « société », « authenticité » ou « identité ». Une fois acceptée l’idée anti-essentialiste des « cultures » comme autant de branchements connectés sur un « réseau » planétaire, jamais totalités closes (car toujours construites de l’extérieur), mais toujours aveuglées par leur illusion auto-référentielle, rien n’est dit quant à la cohérence effective de ces « entités », pourtant horizons …

Parties annexes