Comptes rendus

Philippe Bourgois, En quête de respect : le crack à New York. Paris, Seuil, coll. « Liber », 2001, 458 p., illustr., bibliogr., index.[Notice]

  • Abdoulaye Gueye

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  • Abdoulaye Gueye
    Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions — CELAT
    Université Laval
    Québec (Québec) G1K 7P4
    Canada

Traitant de l’exclusion et de la marginalité sociale d’une minorité ethnique, Bourgois décrit et analyse les stratégies de celle-ci pour survivre et pour sauvegarder sa dignité, les conséquences souvent destructrices de ces stratégies sur la communauté en question, l’apport du système politico-économique américain à la reproduction de la misère des habitants du Barrio et l’antagonisme entre les valeurs de ces derniers et celles, dominantes, de la société blanche anglo-saxonne. Par sa pauvreté criante, le Barrio incarne le revers du rêve américain, la fracture sociale au sein de la première puissance industrielle. La description de la promiscuité qui accable les personnes dans leur quotidien ainsi que des corps en décrépitude qui peuplent les espaces publics et les appartements nous renvoie à des photographies de bidonvilles d’Amérique latine ou d’Afrique. La prégnance de la pauvreté dans le Barrio favorise l’invention d’une culture économique de survie, évidemment anomique, faite de débrouillardise et de ruse, qui se manifeste à travers deux types d’initiatives : d’une part, la commercialisation de produits illicites comme les drogues dures (le crack notamment, la cocaïne, l’héroïne, etc.), d’autre part, l’instrumentalisation de l’État. La vente de crack, industrie multimillionnaire, constitue ainsi le poumon de l’économie de ce quartier. Elle s’est développée d’autant plus facilement qu’elle est considérée comme un moyen, certes risqué mais rapide, d’enrichissement individuel. Par cette fonction de promoteur économique qu’on lui suppose, le commerce de crack, quasi monopolisé par les hommes, est devenue une activité économique qui intègre une forte proportion de la population du Barrio. En effet, de la manne financière que dégage cette activité, bénéficient même des préadolescents et des adolescents que son mode d’organisation permet d’intégrer facilement. Bourgois montre que la longévité d’un commerce de crack dépend de la création d’une diversité de postes de travail dont ceux de guetteur et de livreur qu’occupent idéalement des préadolescents parce qu’ils sont moins soupçonnables par les autorités policières et bénéficient d’une plus grande clémence devant les tribunaux que les personnes majeures. La rentabilité financière associée à la vente de crack, en contexte d’extrême pauvreté sociale, constitue une cause première de la violence dans le Barrio. Comme l’auteur nous le donne à voir à travers des phrases abruptes et sèches qui coupent les extraits de ses entretiens ainsi que les commentaires de ses interlocuteurs sur les bruits qui les entourent, chaque jour et chaque nuit ce quartier a droit à son lot de coups de feu et d’homicides. L’usage de la violence est dans plusieurs cas au service du contrôle du marché du crack entre des bandes rivales. Par la violence les dealers cherchent à dissuader leurs homologues de toute attaque sur leurs intérêts économiques. L’exemple de Ray, le propriétaire d’une des maisons de crack, montre à quel point la violence constitue un capital d’une valeur inestimable dans cette économie. Grâce à la brutalité inouïe par laquelle il a construit son identité, il jouit d’un franc respect et d’une autorité dans le Barrio qui se traduit par la volonté des uns et des autres d’épargner ses propriétés. Dans d’autres cas, la violence constitue un moyen de protection ou de défense de soi. Cela se vérifie en particulier chez les catégories faibles comme les femmes. Ayant été socialisées dans une culture machiste mais aussi conscientes du pouvoir qui leur est attribué dans la société américaine, les femmes nuoyoricaines répondent par la violence pour se soustraire à l’emprise et à la terreur des hommes. Pour Candy, l’une des rares femmes revendeuses de crack dans ce milieu très masculin, qui exhorte son amie brutalisée par son conjoint à suivre son exemple, tirer sur son amant constitue le moyen de se …