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Ce numéro d’Autrepart publié par l’Institut de Recherche et du Développement entend donner une vision large et diversifiée des relations existantes entre l’Afrique noire, les pays du Golfe persique et le Maghreb. Cette contribution de huit chercheurs d’horizons divers apporte un éclairage sur un sujet encore peu exploré pour des raisons géopolitiques et liées au cloisonnement universitaire qui tend à séparer encore les rives septentrionales des rives méridionales du Sahara.
Si le Sahara a toujours joué un rôle intermédiaire entre l’Afrique du Nord et l’Afrique noire dans le commerce transsaharien, le commerce esclavagiste, les expéditions euro-péennes puis la colonisation de la France ont contribué au déclin de ce commerce et laissé place à de nouvelles entités. Les relations entre l’Afrique noire et le monde arabe sont beaucoup plus récentes et ne se sont développées que depuis le milieu du XXe siècle grâce aux nouveaux moyens de communication et à la volonté de prosélytisme des pays du Golfe à l’intention des pays africains.
Dans son article « Sahara ; espace géostratégique et enjeux politiques », André Bourgeot étudie le « plan d’organisation du Sahara » élaboré par le Père de Foucauld en 1912 et tente de montrer comment et pourquoi à partir de ces ancrages territoriaux, se sont élaborées des politiques berbéristes et les oppositions Blancs-Noirs. L’indépendance de l’Algérie et des pays d’Afrique noire entérina définitivement la partition du Sahara par l’exploitation progressive des ressources minières et pétrolières dont la main-mise par les nouvelles « élites » nationales, en décalage avec l’économie pastorale et caravanière de ses populations favorisa l’émergence de rebellions armées (Touaregs du Niger) qui n’ont pas encore trouvé de solutions à leur sous-développement si ce n’est par le contrôle de nouvelles filières qui « facilitent » la circulation des hommes et des marchandises.
Selon Jean Schmitz dans « L’islam en Afrique de l’Ouest », l’islam se serait longtemps diffusé selon un axe méridien, celui des routes du commerce transsaharien, avant que ne prévale celui des parallèles avec les chemins du pèlerinage et de la colonisation. Le XIXe a vu la naissance d’un mouvement réformiste inspiré des Wahabites et Salafistes lié à la lutte anticoloniale ; celui-ci s’est transformé depuis les années 1970 en un mouvement réformiste proche de l’islamisme prôné par les pays producteurs de pétrole, ce qui a permis l’existence de relations directes entre Afrique noire et monde arabo-musulman. La confrérie Tijaniya niassène se développe aux États-Unis depuis les années 1980 en convertissant les Black Americans à l’islam.
Pierre Bonte dans « Faire fortune au Sahara (Mauritanie) : permanences et ruptures », examine comment à partir du XIXe siècle, certaines tribus maures se sont spécialisées, lors de crises successives dans le développement d’activités commerciales (bétail, céréales, transports) en créant des sharika et en utilisant les solidarités tribales. Au lendemain de l’indépendance, la création d’une monnaie nationale permettra à ces « boutiquiers » de se transformer en hommes d’affaires en important à travers les Canaries et le Sahara, alors espagnol, des produits achetés sous franchise douanière portuaire.
Dans « Les chasses du prince Bandar », Emmanuel Grégoire narre les chasses au faucon d’un prince saoudien dans le Sahel nigérien. Il démontre le déséquilibre économique qui existe entre ces deux mondes et qui engendre une relation inégale permettant d’enfreindre les lois en toute impunité et la destruction des ressources animalières du Niger ainsi que la propagation des idées du courant de pensée wahabite dans ces régions.
Karine Bennafla dans son article « Tchad : appel des sirènes arabo-islamiques » note l’intensification récente des relations du Tchad avec le monde arabo-musulman alors qu’approche la mise en exploitation du pétrole de Doha. La diffusion de produits en provenance du Maghreb entraîne une réactivation du commerce transsaharien. Une aide au développement socio-économique ainsi que le regain d’influence religieuse et culturelle demeurent complexes à cause de la diversité des objectifs et procédés employés par les pays partenaires.
Dans l’article de Marc Antoine Pérouse de Montclos sur « Les réseaux financiers, diasporas et hawilad », l’auteur souligne l’importance historique de la péninsule arabique (commerce de bétail) dans ses relations avec la Somalie qui ne vit que de la contribution essentielle de sa diaspora en faisant transiter les fonds par les pays du Golfe. Le dernier article, de Marie Miran, « Vers un nouveau prosélytisme islamique en Côte-d’Ivoire » s’interroge sur le processus par lequel la dawa, notion classique récemment redynamisée s’est vue réappropriée et transformée par les musulmans ivoiriens.
Si cet ouvrage apporte un éclairage nouveau sur les relations entre monde arabe et Afrique noire, on peut cependant regretter (bien qu’elle soit mentionnée dans l’introduction) l’absence de contribution traitant des nouvelles migrations humaines, sujet brûlant d’actualité.