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Malgré les nombreuses tentatives de modélisation dont elle est l’objet, l’arachnide Mondialisation échappe à toute approche consensuelle qui se risque à éclairer les replis de sa toile. Comment situer la contemporanéité autochtone au sein de cet imbroglio théorique censé éprouver une réalité qui reste prise dans l’obscurité d’un concept fourre-tout (Bauman 1999 : 7) dont on ne sait plus vraiment, finalement, ce qu’il désigne, ni ce qu’il questionne?
Dans la déferlante analytique actuelle, c’est donc au tour de Recherches amérindiennes au Québec de poser la mondialisation au coeur de son propos. Deux entretiens avec des leaders autochtones et cinq études de cas (d’Amérique du Nord et du Sud) rythment la réflexion générale de ce dossier qui s’attache à montrer comment les voix autochtones s’expriment aujourd’hui dans le langage international des scènes « inter-étatique » (ONU) et « extra-gouvernementale » (les ONG) pour contourner l’inaction des États qui englobent leurs territoires dans un cadre national (p. 3).
L’internationalisation des luttes amérindiennes en Guyane face à l’État français (Gérard Collomb) ou « la construction d’un “espace de sens” inuit, transnational » (p. 33) rassemblant les Inuit de quatre états au sein d’un territoire imaginaire circumpolaire (Françoise Morin), semblent conférer à la dimension « transnationale » le statut de réponse face à la marginalisation des populations autochtones qui n’hésitent plus à projeter leurs leaders au sein de cet espace politique inédit d’expression et d’action.
Les entretiens avec Kenneth Deer, représentant à l’ONU de la nation Mohawk de Kahnawake, et Alexis Tiouka, ancien coordonnateur de la fédération des organisations amérindiennes de Guyane (FOAG), autorisent en ce sens le lecteur à pénétrer dans les coulisses du théâtre onusien par le point de vue de leaders autochtones qui, dans un rôle qui semble avoir été mûrement intégré, préservent leur lucidité critique face aux dysfonctionnements opératoires des instances consultatives internationales dans la prise en compte de ce point de vue. En s’exprimant « dans la langue de ceux qu’il faut convaincre » (p. 3), investissant les contextes autant occidentaux qu’autochtones avec aisance et compétence, ces leaders institutionnalisent les revendications au sein d’organisations et d’associations dont le foisonnement en Amazonie brésilienne (Bruce Albert) démontre, s’il en était besoin, le rôle prééminent de celles-ci dans les luttes menées face aux confiscations de terre, à la gestion participative de l’environnement ou à l’éducation. Ces associations reflètent-elles pour autant le point de vue de toute une population?
Dans un texte qui appuie la pertinence d’une approche comparative (Mexique, Bolivie, Colombie, Équateur) Christian Gros insiste sur les enjeux du multiculturalisme à l’école en Amérique du Sud : pour exemple, alors que les élites et les organisations autochtones se sont engagées dans un processus de politisation d’une ethnicité, inscrivant souvent le bilinguisme à l’école comme une constituante à part entière dans la construction de cette identité ethnique, la demande des familles concerne davantage l’acquisition et la construction d’un savoir comme moyens d’intégration (p. 67).
Si l’objectif est d’interroger la réalité autochtone contemporaine à la lumière du versant politique de la mondialisation, le lecteur n’en retrouvera pas moins l’utilisation souvent convaincante d’outils conceptuels désormais classiques en sciences sociales pour penser les dynamiques mondiales actuelles : puissance de l’imaginaire et dimension affective de la « communauté de sens », processus d’« indigénisation » en oeuvre dans les sociétés contemporaines, compression spatio-temporelle et relations sociales planétaires déterminant un nouveau rapport au politique.
Il trouvera également des pistes de réflexion à travers l’article de Jean Rousseau qui nuance clairement cette perception du « transnational » comme réponse autochtone à la mondialisation à travers l’exemple Cri : outre l’acquisition de « ressources organisationnelles leur permettant de prendre part aux débats mondiaux » (p. 78), et la création d’un « deuxième palier politique ou, dans certains cas, d’un troisième » (p. 79), l’accès à cette nouvelle visibilité n’est donc pas sans créer de nouveaux défis susceptibles de marginaliser un peu plus les populations autochtones dans un contexte largement teinté et dicté par un néo-libéralisme exacerbé qui tend à les exclure « d’office de la compétition » (p. 79). Le défi auquel sont confrontées les populations autochtones se doit donc d’être relevé en imposant une globalisation d’en bas (p. 35 et 79), « démocratique et populaire » (p. 79), évacuée de l’imaginaire amérindien du colonisé dont Denys Delâge et Jean-Pierre Warren ouvrent, dans un article dense mais néanmoins percutant, une réflexion sociohistorique de sa construction en repositionnant l’éthique au coeur de la rencontre des deux mondes.
S’appuyant sur une pertinente illustration (photographies contextualisées, articles de presse locaux, retranscriptions de textes officiels) et livrant une vision élargie des points de vue (leaders-associations-populations), le dossier parvient à rendre habilement la parole aux populations locales dans une dimension comparative que vient un peu plus appuyer un récitde voyage de Denys Delâge, dont le « regard » oriente le lecteur vers une autre réalité, celle des réserves de l’Ouest américain.
Parties annexes
Référence
- Bauman Z., 1999, Le coût humain de la mondialisation. Paris, Hachette.